B) Une responsabilité à caractère
professionnel :
Les incertitudes caractérisant le débat relatif
à la nature juridique de la responsabilité civile du commissaire
aux comptes, ont conduit une partie de la doctrine à remettre en cause
et à rejeter dans certains cas, la distinction entre
responsabilité contractuelle et délictuelle, quid à
qualifier à cette distinction d'inopportune, et que la
responsabilité civile du commissaire aux comptes présente
certaines particularités, lui permettant de bénéficier du
caractère professionnel. 1
La responsabilité professionnelle, est une forme
particulière de la responsabilité, qui s'intéresse comme
indique son nom à la catégorie des
professionnelles.2
Elle vise surtout à préserver les
intérêts des professions libérales, par rapport au laxisme
et formalisme du régime de responsabilité civile classique.
La catégorie juridique des professionnels
libéraux est apparue avec le temps, et s'est développé
notamment avec le commerçant, mais au fur et à mesure, , elle a
commencé à s'en détacher du droit commercial, et à
prendre son autonomie.
En effet une profession est libérale lorsqu'elle
réunie les critères suivants : un exercice en toute
indépendance, à l'égard des clients, respect des
confrères, l'objet de la profession est la prestation de services
à titre personnel ou avec l'assistance de collaborateurs, et la
soumission de la profession à une déontologie
rigoureuse.3
Dans ce contexte certains auteurs4
considèrent le commissaire aux comptes, comme étant une
autorité extérieure exerçant son activité dans le
cadre d'une profession libérale rémunérée à
ce titre.
Il en résulte que le commissaire aux comptes appartient
évidemment à cette catégorie.5
1 A. Robert, Responsabilité des commissaires
aux comptes, Dalloz, 2008, p 18
2 A. Merville, Les professions libérales
exposées à de nouvelles formes de responsabilité, , «
Les particularités de la responsabilité des dirigeants et des
associés au sein des structures des professionnels libéraux
», Actes du Colloque AON Professions, 15 Décembre 2011, p 11
3 J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux
comptes, Dalloz, 1995, p 22
4 A. Sayag, le commissariat aux comptes : renforcement
ou dérive, Litec,1989, p 425
5 Tonye, Epargnants d'afrique, Inquietez vous ,
L'harmattan, 2009, p 82
La responsabilité du commissaire aux
comptes
33
Par leur caractère « professionnel », les
commissaires aux comptes sont soumis à des devoirs particuliers comme le
devoir d'alerte, le devoir de révélation des faits
délictueux. L'existence de ces devoirs professionnels donne à
leur responsabilité une certaine particularité.1
Ainsi, l'adaptation du régime classique de
responsabilité au caractère professionnel, demeure une
nécessité, puisque à titre d'exemple l'appréciation
de la faute se diffère lorsqu'il s'agit d'un particulier, que par
rapport à un professionnel. Il s'en suit que si pour un particulier la
faute consiste en un manquement à un devoir général de
prudence, pour le commissaire aux comptes, il y a un alourdissement de la gamme
des fautes en raison de la diligence particulière qu'il doit mettre dans
l'exercice de son activité. 2
Conséquemment, la faute professionnelle, a une nature
propre par ce qu'elle est commise par des personnes ayant des obligations
particulières dans l'exercice de leurs missions.
Dans le même ordre d'idées, la faute du
commissaire aux comptes se concrétise d'une certaine façon, elle
s'apprécie, par référence non à ce qu'aurait fait
un bon père de famille, mais à ce qu'aurait fait un bon
professionnel de sa branche dans ses missions.3
En effet la profession d'expert comptable suppose dans le
commissaire aux comptes, un homme de métier, qui doit être plus
diligent et avisé, car il est le maitre de son activité.
D'ailleurs, le commissaire aux comptes, compte tenu du
caractère d'intérêt général que revêt
sa mission, il est soumis, à de règles de comportement
spécifiques, qui le distinguent de tout profane à titre d'exemple
: l'obligation d'indépendance, et en méme temps une obligation de
silence (secret professionnel), avec une obligation de
révélation, d'où résulte le caractère
particulier de ses obligations, et de sa responsabilité.4
C'est dans ce sens qu'il est tenu d'inspirer confiance, aussi
bien aux dirigeants et actionnaires de la société, qu'au tiers,
puisque son travail consiste à donner image fidèle des
1 M. Mouthieu, L'interet social en droit des
sociétés, L'Harmattan, 2009, p 127
2 M. Coipel, Droit des sociétés
commerciales, Kluwer, 2006, p 891
3 Y. Guyon, et G. Coquerau, Le commissariat aux
comptes : aspects juridiques et techniques, Librairies techniques, p 275
4 A. Sayag, le commissariat aux comptes : renforcement
ou dérive, Litec,1989, p 472
La responsabilité du commissaire aux
comptes
34
comptes de la société, et par là, en cas
de trahison de cette confiance1, il doit en assumer les
conséquences.
Par ailleurs, il convient de préciser un autre
critère qui permet de caractériser la responsabilité
professionnelle d'une manière générale, et du commissaire
aux comptes en particulier à savoir l'obligation de souscription d'une
assurance de responsabilité professionnelle. 2
S'inscrit également dans le cadre des obligations
particulières, auxquelles le commissaire aux comptes demeure tenu,
l'obligation de souscription d'assurance de responsabilité
professionnelle. 3
Cette obligation a été édictée par
le législateur marocain dans le cadre de l'article 14 de la loi n°
15-89 4réglementant la profession d'expertise comptable et
qui dispose :
«Les experts comptables sont tenus, pour garantir la
responsabilité civile qu'ils peuvent encourir en raison des travaux
mentionnés à l'article premier de la présente loi, de
souscrire une police d'assurance.
A cette fin, l'expert comptable avant d'accomplir aucun
acte professionnel, est tenu de fournir à l'Ordre:
- s'il exerce à titre individuel ou en qualité
d'associer, un certificat attestant qu'il a souscrit une assurance, couvrant
tous les risques dont il peut être responsable.
- s'il exerce en qualité de salarié, un
certificat attestant que sa responsabilité est couverte par une
assurance souscrite par son employeur. »
Toutefois, il faut rappeler ici, que le commissariat aux
comptes s'inscrit parmi les missions de l'expert comptable. 5
Cette assurance couvre les conséquences
pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les
commissaires aux comptes du fait de leurs négligences ou de leurs fautes
commises dans l'exercice de leurs missions.
1 62 VINEY (Geneviève), Responsabilité des
professionnels, Rapport de synthèse, Colloque « La
responsabilité des professionnels », Rouen, 26 et 27 janvier 2001,
Université de Rouen, Petites Affiches, 11 juillet 2001, n° 137, pp.
95-103.
2 A. Cossé, Lancez et gérez votre activité
en profession libérale, All About Knowledge, 2006, p 31
3 J. Monéger, et T. Granier, Le Commissaire aux
comptes, Dalloz, 1995, p 169
4 loi 15-89 réglementant la profession d'expert
comptable, et instituant un ordre des experts comptables,promulguée par
le dahir n° 1-92-139 du 14 Rejeb 1413,(8 janvier 1993), ( Bulletin
officiel n° 4188 du 11 chaabane 1413/( 3 février 1993)
5 O. Mustapha, Le Commissaire au comptes au Maroc,
Sijelmassa, 2010, p 70
La responsabilité du commissaire aux
comptes
35
En fait l'assurance ne couvre pas seulement un individu face
aux aléas ou aux conséquences de sa propre défaillance,
elle réalise le bien commun en conciliant les droits et la
liberté individuelle. 1
Ainsi on peut voir ici, que le manquement à une
obligation de type professionnel, donne lieu à une faute
séparable des fonctions. En effet les commissaires aux comptes sont
assujettis à l'obligation de souscrire une assurance de
responsabilité, et le défaut de cette assurance constitue un
délit prévu et réprimé, par la loi 15-89
réglementant la profession d'expert comptable.2 En outre
grâce aux assurances, l'obligation de réparations imposée
à l'assureur, est reportée, ce qui certes une garantie pour les
victimes mais se répercute d'une façon négative sur la
fonction coercitive de la responsabilité civile des commissaires aux
comptes.
Cependant bien qu'utilisant les concepts et les outils issus
de la théorie du risque, l'assurance de responsabilité civile
professionnelle, a donc pour propriété de ne pas supprimer la
faute parmi les conditions de la responsabilité. Mais au contraire elle
crée véritablement la faute professionnelle.3
Par ailleurs l'étude d'un sujet comme celui de la
responsabilité civile du commissaire aux comptes, doit être
replacée dans son contexte de création, à travers la
recherche de ses fondements.
1F . Chateauraynaud, La faute professionnelle : une
sociologie des conflits de responsabilité, Métailié,
1991,p 78
2 L'article 104 de la loi 15-89 règlement la
profession d'expet comptable dispose : « Est passible d'une peine de 5.000
DH à 10.000 DH toute infraction à l'article 14 de la
présente loi. »
3 A. Robert, Responsabilité des commissaires
aux comptes, Dalloz, 2008, p 122
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comptes
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