Arrêt de la Cour de Cassation Française :
Chambre Commerciale 14 Décembre 2004
COMMISSAIRE AUX COMPTES. : LE DEFAUT DU LIEN DE
CAUSALITE
Cour de cassation
chambre commerciale
Audience publique du 14 décembre 2004
N° de pourvoi: 00-20287
Non publié au bulletin
Rejet
Président : M. TRICOT,
président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET
ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Aix-en Provence, 9
juin 2000), que M. Philippe X..., président du conseil d'administration
de la société Vectral, s'est engagé, par un protocole
d'accord signé le 18 janvier 1994, à céder avec certains
autres actionnaires, membres de sa famille, à M. Bernard Y... les
actions qu'ils détenaient dans la société Vectral ; que ce
protocole précisait notamment que les dividendes acquis sur les
résultats de la période du 1er janvier au 31 décembre 1993
resteraient acquis au vendeur ; que lors d'une assemblée
générale, tenue entre la signature du protocole et la
réalisation de la cession, les actionnaires de la
société
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Vectral ont approuvé la distribution de dividendes pour
un certain montant ; que postérieurement à la cession, M. Y... et
la société Pulsar, co-acquéreurs des actions de la
société Vectral, estimant que celle-ci présentait des
irrégularités relatives aux documents sociaux, ainsi qu'au regard
des dispositions légales et réglementaires et considérant
que les parties n'étaient pas d'accord sur la chose ni sur le prix, ont
assigné les consorts Z... pour les faire condamner, notamment, au
remboursement de dividendes répartis après la promesse de
cession, ainsi que du montant de l'emprunt contracté pour
procéder à l'acquisition des actions, contre restitution de
celles-ci ; qu'ils ont attrait à la procédure, la
société de commissariat aux comptes A & T Audit, dont ils ont
demandé la condamnation à des dommages-intérêts pour
les fautes commises dans l'accomplissement de sa mission de commissaire aux
comptes de la société Vectral ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y... et la société Pulsar font
grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes tendant
à faire constater la nullité des assemblées
générales des 2 septembre 1992, 23 juin 1993 et 7 septembre 1994,
ainsi que le défaut de rapport de gestion aux mêmes
assemblées générales, alors, selon le moyen :
1 / qu'ils demandaient à la cour d'appel de constater la
nullité des assemblées générales des 2 septembre
1992, 23 juin 1993 et 7 septembre 1994 en raison de leur
contrariété aux dispositions d'ordre public de la loi du 24
juillet 1966 ; qu'ils en déduisaient non seulement que les dividendes
distribués aux consorts X... avaient été
irrégulièrement votés, mais encore que ces nullités
caractérisaient la violation par les cédants des engagements
souscrits dans le protocole d'accord du 18 janvier 1994 et l'acte de garantie
d'actif et de passif du 31 mars 1994, garantissant que les documents sociaux
avaient été tenus conformément aux dispositions
légales et réglementaires en vigueur et que lesdites
nullités étaient d'une gravité telle qu'elles devaient
nécessairement entraîner la nullité de la cession d'actions
elle-même ; qu'en déclarant cependant, pour refuser de les
examiner, que les moyens invoqués par M. Y... et la
société Pulsar pour démontrer la nullité des
assemblées générales litigieuses n'avaient pour objet que
de critiquer la distribution de dividendes génératrice selon eux
d'une augmentation frauduleuse du prix de cession des actions, la cour d'appel
a dénaturé ces conclusions en violation de l'article 4 du nouveau
Code de procédure civile ;
2 / qu'aucune disposition n'impose que le demandeur à
l'action soit actionnaire de la société à la date de
l'acte ou la délibération dont il poursuit l'annulation ; qu'en
se fondant dès lors sur le motif erroné que M. Y... et la
société Pulsar n'étaient pas eux-mêmes actionnaires
de la société Vectral en 1992, 1993 et 1994, pour les
débouter de leur action en annulation des assemblées
générales en cause, la cour d'appel a violé les articles
360, alinéa 2, de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 235-1
du Code de commerce, ensemble l'article 31 du nouveau Code de procédure
civile ;
3 / que M. Y... et la société Pulsar soutenaient
qu'ils justifiaient d'un intérêt légitime à agir
dès lors que les nullités affectant les
délibérations litigieuses étaient d'ordre public par
l'effet de la loi ; qu'ils faisaient notamment valoir que les
délibérations des 2 septembre 1992 et 7
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avril 1994 ne comportaient ni rapport général ni
rapport spécial du commissaire aux comptes, ce qui entraînait leur
nullité de plein droit au regard des articles 157, alinéa 2, et
173, alinéa 1, de la loi du 24 juillet 1966 ; que dès lors, en se
bornant pour refuser d'examiner les moyens de nullités invoqués,
à affirmer de manière péremptoire que
l'intérêt à agir des exposants n'était pas
démontré, sans répondre à ces conclusions
précisément de nature à établir leur
intérêt à agir, la cour d'appel a violé l'article
455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ainsi que le soutient la première branche
du moyen, la demande de constat de la nullité des assemblées
générales litigieuses visait à faire constater que ces
nullités étaient d'une telle gravité qu'elles devaient
entraîner la nullité de la cession des parts ; que l'arrêt
retient, par un motif non critiqué, que postérieurement à
la cession des actions, la société Vectral ayant, pendant
plusieurs années, continué son activité, M. Y... ne peut
plus prétendre avoir été trompé sur les
qualités de ces titres, ce dont il se déduit que quelle que soit
la nature ou la gravité des vices allégués, affectant les
assemblées générales précédent la cession,
ceux-ci n'ont pas mis la société dans l'impossibilité
d'exploiter son activité et n'ont donc pas affecté les
qualités substantielles des actions ; qu'il en résulte que le
moyen est inopérant ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Y... et la société Pulsar font
grief à l'arrêt d'avoir rejeté leurs demandes tendant
à faire constater que la société Vectral n'était
pas en état d'être cédée et à faire annuler
en conséquence le protocole d'accord du 18 janvier 1994, les ordres de
mouvement pour 1 125 actions nominatives intervenus le 31 mars 1994 et l'acte
de garantie d'actif et de passif de la même date, alors, selon le moyen
:
1 / que dans leurs conclusions d'appel, M. Y... et la
société Pulsar avaient soutenu que la cession d'actions
litigieuse était entachée de nullité pour avoir
été réalisée par les consorts X... en violation de
l'article 13 des statuts de la société Vectral subordonnant
formellement toute cession d'actions à des tiers à une
procédure d'agrément préalable dont les modalités
étaient strictement déterminées ;
Qu'ils offraient en preuve une lettre de la
société A & T Audit, commissaire aux comptes de la
société Vectral, du 2 mai 1995 faisant état de ce qu'aucun
conseil d'administration n'avait été réuni afin
d'agréer les nouveaux actionnaires ; que dès lors en omettant de
répondre à ce moyen la cour d'appel a violé l'article 455
du nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'ils faisaient valoir qu'en raison de défaut
d'agrément préalable exigé par les statuts de la
société Vectral, l'inscription en compte du transfert d'actions
réalisé le 31 mars 1994 devait être annulé ;
Qu'en délaissant également ce moyen, la cour
d'appel a de nouveau violé l'article 455 du nouveau Code de
procédure civile ;
3 / que M. Y... et la société Pulsar soutenaient
expressément, qu'à supposer même que l'agrément
eût été accordé par le conseil d'administration de
la société Vectral, il ne pouvait
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produire aucun effet en raison de l'inexistence, à
compter du 23 juin 1993, de tout organe d'administration et de direction
valablement nommé ; qu'ils observaient à cet égard qu'en
violation de l'article 90 de la loi du 24 juillet 1966, les mandats des
administrateurs statutairement désignés pour une durée de
trois ans venant à expiration après le troisième exercice
social, le 31 décembre 1992, n'avaient pas été
renouvelés lors de l'assemblée générale ordinaire
d'approbation des comptes du 23 juin 1993 ; qu'en négligeant pourtant de
s'en expliquer comme l'y invitaient pourtant les conclusions, la cour d'appel a
violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que seuls la société ou les
actionnaires dont l'agrément est requis pour autoriser une cession
d'actions peuvent invoquer la nullité de la cession qui pourrait
résulter du non-respect ou de l'irrégularité de cet
agrément ; que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre
les parties dans le détail de leur argumentation, a pu statuer comme
elle a fait sans avoir à répondre aux conclusions de M. Y... et
de la société Pulsar sur ce point ; que le moyen n'est pas
fondé ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Y... et la société Pulsar font
grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande de condamnation
solidaire des consorts Z... à leur verser la somme de 300 000 francs
à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que
les administrateurs sont responsables individuellement ou solidairement, selon
le cas, envers la société ou envers les tiers, des violations des
statuts ; qu'en l'espèce M. Y... et la société Pulsar
soutenaient que les consorts X... avaient engagé leur
responsabilité à leur égard en violant la clause
statutaire d'agrément en cas de cession d'action à des tiers,
avec les conséquences dommageables en résultant quant à
l'inopposabilité pour eux de se prévaloir à l'égard
desdits tiers de leur qualité d'actionnaires
;
qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pourtant
de nature à démontrer le bien-fondé de l'action en
responsabilité à l'encontre des cédants, la cour d'appel a
violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que M. Y... et la société Pulsar ont
seulement fait valoir devant la cour d'appel, d'un côté, que le
non-respect d'une clause imposant l'agrément en cas de cession d'actions
à des tiers, comme toute violation des statuts, expose les dirigeants
sociaux à une action en responsabilité et, d'un autre
côté, que la cour d'appel ne pourra que prononcer l'annulation des
diverses inscriptions relatives aux titres cédés ; que la cour
d'appel qui, ainsi qu'il ressort de la réponse au moyen
précédent, n'avait pas à prononcer l'annulation des
inscriptions de cession de titres, n'était pas tenue de suivre les
parties dans le détail de leur argumentation et n'avait pas à
répondre à ces conclusions ; que le moyen ne peut être
accueilli ;
Sur le quatrième moyen :
Attendu que M. Y... et la société Pulsar font
grief à l'arrêt de les avoir déboutés de leur action
en responsabilité dirigée à l'encontre de la
société A & T Audit, commissaire aux comptes de
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la société Vectral lors de la cession litigieuse,
alors, selon le moyen :
1 / que les commissaire aux comptes sont responsables à
l'égard des tiers des conséquences dommageables des fautes et
négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions ; qu'en
l'espèce M. Y... et la société Pulsar faisaient valoir que
la société A & T Audit avait gravement manqué à
sa mission en établissant le rapport spécial et le rapport
général pour l'exercice 1991, le 15 septembre 1992, soit
après que l'assemblée générale annuelle du 2
septembre 1992 eût approuvé les comptes ; qu'en se bornant
dès lors à énoncer que les fautes imputées à
la société A & T Audit n'étaient pas suffisamment
caractérisées, sans s'expliquer sur ce moyen de nature à
démontrer le comportement fautif du commissaire aux comptes, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale au regard de
l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 234 de la loi du 24 juillet
1966, devenu l'article L. 225-241 du Code de commerce ;
2 / que M. Y... et la société Pulsar soutenaient
également que la société A & T Audit avait commis une
faute de nature à engager la responsabilité en certifiant
dès le 16 février 1994 les comptes de l'exercice clos le 31
décembre 1993, alors même que ces comptes n'avaient pas encore
été arrêtés par le conseil d'administration de la
société Vectral ; qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi pareil
manquement ne caractérisait pas suffisamment la faute du commissaire aux
comptes, la cour d'appel a, de nouveau, privé sa décision de base
légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 234
de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-241 du Code de commerce
;
3 / que M. Y... et la société Pulsar soutenaient
que les ordres de mouvement d'actions faisant suite à la cession
litigieuse avaient été enregistrés sur une
comptabilité-titre manifestement irrégulière, le registre
des mouvements de titres n'ayant été ni signé ni
paraphé, en violation de l'article 13 des statuts de la
société Vectral ; qu'ils imputaient à faute à la
société A & T Audit l'absence de toute vérification ou
contrôle sur ce point ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme ils l'y
invitaient, si cette carence ne caractérisait pas une faute du
commissaire aux comptes, la cour d'appel a privé sa décision de
base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble
l'article 234 de la loi du 24 juillet 1966, devenu l'article L. 225-241 du Code
de commerce ;
Mais attendu qu'ainsi qu'il a été dit en
réponse au premier moyen, l'arrêt retient, par un motif non
critiqué, que, postérieurement à la cession des actions la
société Vectral ayant, pendant plusieurs années,
continué son activité, M. Y... ne peut plus prétendre
avoir été trompé sur les qualités de ces titres, ce
dont il se déduit que quelles que soient la nature ou la gravité
des vices allégués affectant les assemblées
générales précédent la cession, ou les
irrégularités du registre des mouvements de titres, la
société n'a pas été mise dans
l'impossibilité d'exploiter son activité et que les
qualités substantielles des actions n'ont pas été
affectées ; que l'arrêt relève aussi, par d'autres motifs,
d'un côté, que le protocole d'accord accepté par M. Y...
stipulait expressément que les dividendes acquis pour l'exercice
précédent la cession resteraient acquis au vendeur et, d'un autre
côté que M. Y... ne rapportait pas la preuve de ce que des
dividendes fictifs auraient été distribués ; qu'il en
résulte que M. Y... et la société Pulsar ne pouvaient
prétendre avoir subi de préjudice du fait de la certification des
comptes de l'exercice clos le 31 décembre 1993 ; d'où il suit que
le moyen n'est pas fondé ;
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Et sur le cinquième moyen :
Attendu que M. Y... et la société Pulsar font
grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande reconventionnelle en
dommages-intérêts formée à leur encontre par la
société A & T Audit et de les avoir condamnés en
conséquence au paiement de la somme de 10 000 francs à ce titre,
alors, selon le moyen, qu'en application de l'article 624 du nouveau Code de
procédure civile, la cassation à intervenir sur le
troisième moyen du chef du dispositif déboutant les exposants de
leur action en responsabilité à l'encontre de la
société A & T Audit pour manquements à sa mission de
commissaire aux comptes, entraînera, par voie de conséquence,
celle du chef de dispositif condamnant les exposants à lui verser des
dommages-intérêts en réparation du préjudice
causé par l'abus de droit d'agir commis selon la cour d'appel à
l'égard de la société A & T Audit, en raison de fautes
du commissaire aux comptes suffisant à engager se responsabilité
professionnelle, qui se trouve dans sa dépendance nécessaire ;
Mais attendu que le quatrième moyen formé contre
l'arrêt ayant été rejeté, le moyen qui invoque la
cassation par voie de conséquence est inopérant ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... et la société Pulsar aux
dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
condamne M. Y... et la société Pulsar à payer aux consorts
Z... la somme globale de 1 800 euros et à la société A
& T Audit la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre
commerciale, financière et économique, et prononcé par le
président en son audience publique du quatorze décembre deux
mille quatre.
Décision attaquée : cour d'appel
d'Aix-en-Provence (8e Chambre B commerciale) du 9 juin 2000
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