Arrêt de la Cour de Cassation Française : Chambre
Commerciale 15 Janvier 2002
COMMISSAIRE AUX COMPTES. : OBLIGATION DE MOYEN
Le : 08/09/2012
Cour de cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 15 janvier 2002
N° de pourvoi: 98-21831
Non publié au bulletin
Rejet
Président : M. DUMAS,
président
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS AU NOM DU PEUPLE
FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET
ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. X...,
En cassation d'un arrêt rendu le 3 septembre 1998 par la
cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre civile, section B), au profit :
1 / de la société des Etablissements Ribatti
Sauveur, dont le siège est Quartier de Mauran, BP
La responsabilité du commissaire aux
comptes
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21, 13131 Berre l'Etang,
2 / de M. Bernard de Saint-Rapt, demeurant Résidence
«Saint-X...», 90, avenue Gabriel Péri, 84300 Cavaillon, pris
en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession
de la société des Etablissements Ribatti Sauveur,
3 / de la Société marseillaise de crédit,
société anonyme, dont le siège est 75, rue Paradis, 13000
Marseille,
4 / du Crédit lyonnais, société anonyme,
dont le siège est 19, boulevard des Italiens, 75002 Paris, avec agence
sis angle avenue de la Libération et avenue du Sylvanes, 13122 Berre
l'Etang,
5 / de la société Larguier, dont le siège
est 64, cours Caernot, 13309 Salon de Provence,
6 / de M. Albert Jaen, demeurant Val Saint-X..., avenue Jules
Ferry, 13100 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation ;
La société Larguier, défenderesse au
pourvoi principal, a formé un pourvoi provoqué contre le
même arrêt ;
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de
son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent
arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de
son recours, un moyen unique de cassation, également annexé au
présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa
2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 20 novembre
2001, où étaient présents : M. Dumas, président, M.
Métivet, conseiller rapporteur, Mme Garnier, conseiller, Mme Moratille,
greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Métivet, conseiller, les
observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de M. X...,
de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la
Société marseillaise de crédit, de Me Odent, avocat de la
société Larguier, de la SCP Vier et Barthélémy,
avocat du Crédit lyonnais, de Me Vuitton, avocat de Me de Saint-Rapt,
les conclusions de M. Viricelle, avocat général, et après
en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. X...
que sur le pourvoi incident relevé par la société Larguier
;
Met, sur leur demande, hors de cause la Société
marseillaise de crédit et le Crédit lyonnais ;
La responsabilité du commissaire aux
comptes
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Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3
septembre 1998), que la société Etablissements Ribatti Sauveur
(la société), victime de détournements de la part de son
comptable salarié, a assigné son expert-comptable, la
société Larguier, et son commissaire aux comptes, M. X..., en
paiement de dommages-intérêts, leur reprochant des manquements
dans l'accomplissement de leur mission ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois
premières branches :
Attendu que M. X... reproche à l'arrêt de l'avoir
condamné à payer une certaine somme au commissaire à
l'exécution du plan de la société alors, selon le moyen
:
1 / que la mission de l'expert consiste à éclairer
le juge sur des questions de fait d'ordre technique à l'exclusion de
toute appréciation juridique ; qu'il appartient dès lors au juge
à qui sont présentées par les parties des critiques contre
les appréciations d'ordre juridique émises par l'expert, d'y
répondre et d'analyser le rapport sans pouvoir se borner à se
référer aux conclusions de l'expert ; que pour
caractériser la faute qui lui était reprochée, la cour
d'appel s'est bornée à retenir que «l'expert a estimé
devoir retenir à la charge de chacune des parties...une insuffisance
quantitative des diligences prévues par les normes concernant
l'appréciation du contrôle interne et des sondages par le
commissaire aux comptes M. X...» ; qu'en statuant de la sorte sans
procéder à une analyse des diligences accomplies par lui, de leur
conformité à celles attendues d'un professionnel normalement
diligent et de leur efficacité au regard des procédés de
dissimulation employés par l'auteur des détournements, la cour
d'appel, qui s'en est purement et simplement remis à
l'appréciation de l'expert, a violé les articles 232 et 238 du
nouveau Code de procédure civile ;
2 / qu'il avait rappelé, dans ses conclusions d'appel,
que l'expert avait relevé la «finesse du traitement du
détournement», ce qui expliquait «leur pérennisation et
la difficulté de les détecter» et il avait en
conséquence soutenu que les détournements ne pouvaient donc pas
être détectés dans le cadre de l'exercice normalement
diligent de sa mission de contrôle des comptes de sorte qu'aucune faute
ne pouvait lui être reprochée ; qu'en s'abstenant de
répondre à ce moyen d'autant plus pertinent qu'il était
fondé sur des observations de l'expert dont le rapport avait
été entériné sans discussion par elle, la cour
d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile
;
3 / que le préjudice constitué par les
détournements commis par un salarié de son client après le
dépôt du rapport du commissaire aux comptes peut être en
relation de causalité avec la faute caractérisée par
l'insuffisance du contrôle des comptes ; qu'il avait soutenu, dans ses
conclusions d'appel, que sa responsabilité ne pouvait être
recherchée que pour des détournements commis à partir du
fait dommageable, soit à compter du dépôt de son rapport ;
qu'en le déclarant responsable de la totalité des
détournements y compris ceux antérieurs au dépôt du
premier rapport, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil
;
Mais attendu, en premier lieu, que l'expert, ayant sans
excéder son rôle, conclu à une insuffisance quantitative
des diligences effectuées par le commissaire aux comptes,
La responsabilité du commissaire aux
comptes
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concernant l'appréciation du contrôle interne et
les sondages, la cour d'appel a pu décider, répondant par
là même en les écartant aux conclusions invoquées,
que ces insuffisances avaient contribué, pour partie, à la
réalisation du dommage en ne permettant pas de détecter les
détournements ;
Attendu, en second lieu, que la mission du commissaire aux
comptes n'est pas limitée à un contrôle a posteriori, mais
qu'il est investi d'une mission permanente de contrôle; que la cour
d'appel qui a retenu que le commissaire aux comptes n'avait pas effectué
de contrôles suffisants au regard des normes professionnelles, notamment
en ce qui concerne l'appréciation du contrôle interne de la
société, défaillant selon les constatations de l'expert, a
pu statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé en ses
trois premières branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa
première branche :
Attendu que la société Larguier reproche à
l'arrêt de l'avoir déclarée responsable d'une partie du
préjudice subi par la société et de l'avoir
condamnée à payer une certaine somme au commissaire à
l'exécution du plan alors, selon le moyen, que la responsabilité
d'un expert-comptable ne peut être engagée qu'à la
condition que sa faute ait un lien causal avec la survenance du sinistre ; que
dans ses conclusions d'appel elle avait fait valoir que les manquements qui lui
étaient reprochés et qu'elle reconnaissait, à savoir un
défaut d'analyse de procédures et d'organisation administrative
ou de contrôle interne, étaient dénué de lien causal
avec les détournements opérés qui se seraient produits en
toute hypothèse ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur ce lien causal
entre les manquements invoqués et le dommage subi, ainsi qu'il lui
était demandé, la cour d'appel a privé sa décision
de base légale au regard de l'article 1147 du nouveau Code de
procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que selon le
rapport de l'expert, plusieurs vices des procédures en usage au sein de
la société avaient permis les détournements ; qu'en
retenant à la charge de l'expert comptable une insuffisance de ses
diligences concernant l'analyse des procédures administratives et de
contrôle interne de la société elle a, par là
même, caractérisé l'existence d'un lien de causalité
entre les manquements constatés et la réalisation du dommage et
légalement justifié sa décision ; d'où il suit que
le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa
quatrième branche :
Attendu que M. X... fait le même reproche à
l'arrêt alors, selon le moyen, qu'il avait soutenu, dans ses
écritures d'appel, que la société avait
récupéré indûment la TVA sur les factures
frauduleusement majorées par son comptable et qu'en raison de la
prescription, elle se trouvait à l'abri de toute réclamation
tendant à un remboursement à l'administration fiscale; qu'il en
déduisait que le montant du préjudice devait être
minoré en conséquence ; qu'en
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comptes
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énonçant «...que les contestations
émises devant la cour qui ne résultent pas de faits nouvellement
apparus auraient dû être présentées à l'expert
afin qu'il donne un avis technique à la cour», et que les calculs
de l'expert devaient être entérinés «... dès
lors qu'ils ne présentaient aucune anomalie flagrante» la cour
d'appel a violé les articles 232 et 238 du nouveau Code de
procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte des pièces de la
procédure, régulièrement produites par les parties, que
l'expert avait répondu aux observations du conseil de M. X... relatif
à la récupération de la TVA par la société
sur les factures frauduleusement majorées ; que la cour d'appel
n'était pas tenue de répondre à la simple affirmation
formulée par M. X... dans ses conclusions d'appel, selon laquelle la
société serait à l'abri de toute réclamation de
l'administration fiscale à ce sujet ; d'où il suit que le moyen
n'est pas fondé en sa quatrième branche ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa
deuxième branche :
Attendu que la société Larguier fait le même
reproche à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'il incombe au juge de
se prononcer lui-même sur les éléments de preuve soumis
à son examen même s'ils n'ont pas été
examinés préalablement par l'expert commis ; que pour rejeter son
argumentation développée à l'encontre de
l'évaluation par l'expert des préjudices invoqués par la
société, la cour d'appel a énoncé que les
contestations émises devant elle qui ne résultent pas de faits
nouvellement apparus auraient être présentées à
l'expert; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a violé
l'article 1353 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'expert a
répondu aux observations du conseil de la société Larguier
concernant l'évaluation du préjudice ; que le moyen, qui
n'indique pas quelle nouvelle contestation aurait été
présentée par la société Larguier dans ses
conclusions d'appel et écartée par le motif critiqué, est
inopérant ;
Et sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa
cinquième branche et le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa
troisième branche, les moyens étant réunis :
Attendu que M. X... et la société Larguier font
encore le même reproche à l'arrêt alors, selon les moyens
que dans leurs conclusions d'appel la société et le commissaire
à l'exécution du plan avaient demandé à la cour
d'appel leur condamnation au paiement des frais divers engagés par la
société par suite des détournements commis par son
comptable salarié à hauteur de la somme de 203 236 francs ;
qu'en fixant néanmoins le montant du préjudice
global en tenant compte d'une somme de 473 716 francs au titre desdits frais,
la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article
4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a énoncé, au
rappel des moyens et prétentions des
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comptes
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parties, que la société sollicitait la
condamnation de M. X... et de la société Larguier à lui
payer la somme de 203 236 francs correspondant aux frais engagés par
elle, n'a pas dénaturé les termes du litige ; que la prise en
compte par l'arrêt attaqué, au titre desdits frais, d'une somme de
473 716 francs, excédant ce qui était demandé, n'est
dès lors susceptible de donner ouverture qu'à la requête
prévue aux articles 463 et 464 du nouveau Code de procédure
civile, le recours en cassation se trouvant par là même exclu ;
d'où il suit que les moyens sont irrecevables ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;
Condamne M. X... et la société Larguier aux
dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
condamne M. X... à payer à M. de Saint-Rapt, ès
qualités, la somme de 1 800 euros, au Crédit lyonnais la somme de
725 euros et à la Société marseillaise de crédit la
somme de 750 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre
commerciale, financière et économique, et prononcé par le
président en son audience publique du quinze janvier deux mille deux.
Décision attaquée : cour d'appel
d'Aix-en-Provence (1re chambre civile, section B) du 3 septembre 1998
Titrages et résumés : SOCIETE
ANONYME - Commissaire aux comptes - Mission. SOCIETE ANONYME - Commissaire aux
comptes - Responsabilité - Définition.
Textes appliqués :
· Code civil 1147
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comptes
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