CHAPITRE II : LE RECOUVREMENT FACE AU DEBITEUR EN
DIFFICULTE
Le débiteur en difficulté est celui qui est
soumis à une procédure collective186. Celle-ci
désigne « toute procédure dans laquelle le
règlement des dettes et la liquidation éventuelle des biens du
débiteur ne sont pas abandonnés à l'initiative
individuelle de chaque créancier, mais organisés de
manière à ce que tous les créanciers puissent faire valoir
leur droit »187. Cette définition,
dégagée par Gérard Cornu, donne une idée de l'effet
des procédures collectives sur le créancier ou mieux des enjeux
du recouvrement face à un débiteur en difficulté.
Les procédures collectives instituées par
l'OHADA sont au nombre de trois (03). Il s'agit notamment: du règlement
préventif, du redressement judiciaire et de la liquidation des
biens188. Le règlement préventif se singularise
principalement par son caractère anticipatif à la cessation de
paiement189 ou la cessation d'activité qu'il permet
d'éviter190. Cela explique pourquoi il n'est pas
considéré comme une procédure collective stricto
sensu191. En effet, même s'il vise également
l'apurement du passif192 et dispose du même champ
d'application in personam que le redressement judiciaire et la liquidation des
biens193, le règlement préventif, dont l'initiative
est réservée au débiteur qui connaît une situation
économique et financière difficile mais non
irrémédiablement compromise, n'a pour principal effet sur le
banquier créancier hypothécaire que de suspendre provisoirement
les poursuites individuelles. Tandis que les procédures de redressement
judicaire et de liquidation des biens, qui ne sont prononcées
qu'après la cessation de paiement, produisent à l'égard du
banquier, tout comme des autres créanciers, des effets plus
contraignants en les assujettissant d'ailleurs, à la discipline
collective (Section I). Cependant, en dépit de toutes les restrictions
imposées au banquier son paiement demeure aléatoire (Section
II).
186 Il s'agit bien sûr des procédures collectives
d'apurement du passif régit par l'A.U.P.C.A.P.
187 CORNU (G), op. cit, P. 167
188 Article 1 de l'A.U.P.C.A.P
189 La cessation de paiement s'entend aux termes de 25 de
l'A.U.P.C.A.P comme étant la situation dans laquelle le débiteur
est dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec
son actif disponible.
190 Article 2 de l'A.U.P.C.A.P
191 SAWADOGO (F.M), Droit des entreprises en
difficulté. P. 2
192 L'apurement du passif une finalité commune aux
procédures collectives. V. L'article 1 et 2 de l'A.U.P.C.A.P.
193 SAWADOGO (F.M), op. cit. P. 59. Voir aussi, TIGER (P), les
procédures collectives après la cessation de paiement, in Petites
affiches du 13 octobre 2004. N° 205. P.37. Et, les articles 2 et 4 de
l'A.U.P.C.A.P.
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Section I: L'assujettissement du banquier à la
discipline collective
Comme l'indique leur dénomination, le redressement
judiciaire et la liquidation des biens sont deux procédures tout
à fait distinctes dans leur finalité. Mais, qu'il est tout
à fait possible de rapprocher au regard de leur effet sur les
créanciers. Ainsi que l'indique l'article 72 de l'A.U.P.C.A.P, le
jugement d'ouverture desdites procédures à l'encontre du
débiteur constitue « les créanciers en une masse
représentée par le syndic qui, seul, agit en son nom et dans
l'intérêt collectif et peut l'engager ». Ce premier
effet, qui conduit à l'effacement des créanciers (au rang
desquels figure le banquier) au profit du syndic, est suivi et
concrétisé dans leur assujettissement à la discipline
collective. Celle-ci désigne l'ensemble des règles applicables
aux créanciers en cas d'ouverture d'une procédure de redressement
judiciaire ou de liquidation des biens à l'endroit du débiteur.
Ces règles, qui visent à organiser les créanciers «
afin que le paiement se fasse dans l'égalité et la justice
»194 ont, cependant, pour effet de restreindre
considérablement leurs droits (Paragraphe I) et, de les soumettre
à la fondamentale obligation de déclarer leurs créances
(Paragraphe II).
Paragraphe I: Les restrictions imposées aux droits
du banquier
A l'instar de tous les créanciers, le banquier
titulaire d'une créance hypothécaire voit ses droits
considérablement restreints face à un débiteur soumis aux
procédures collectives ouvertes après la cessation de
paiement195. Ces désagréments touchent le banquier
aussi bien dans sa créance qui subit l'arrêt du cours
d'intérêts (B) que dans l'exercice personnel de son droit au
recouvrement qui se trouve suspendu (A).
A)- La suspension des poursuites individuelles
C'est une mesure qui s'applique aux créanciers aussi
bien dans le règlement préventif196 que dans le
redressement judiciaire et la liquidation des biens.
Dans la procédure de règlement préventif,
la suspension des poursuites individuelles s'applique à tous les
créanciers dont la créance est antérieure à la
décision de suspension, à
194 SAWADOGO (F.M), op. cit. P. 2. L'auteur souligne que cette
égalité n'est qu'un leurre. Voir, notamment sur la question
NEMEDEU (R), Le principe d'égalité des créanciers : vers
une double mutation conceptuelle. Etude à la lumière du droit
français et OHADA des entreprises en difficulté. R.T.D Com
N°2 Avril /Juin 2008.
195 Il s'agit ici des procédures collectives stricto
sensu qui sont le redressement judiciaire et la liquidation des biens. SAWADOGO
(F.M), op. cit. P. 2, TIGER (P), op. cit. P.37. Lire également GATSI
(J), Le recouvrement des créances bancaires en droit OHADA, op. cit. P.
15.
196 Précisons que dans le règlement
préventif, les créanciers ne sont pas soumis à la
discipline collective. Le rapprochement vise exclusivement à ressortir
la portée de la suspension des poursuites individuelles qui varie selon
que l'on se trouve dans le règlement préventif ou dans les
procédures collectives stricto sensu.
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condition que cette créance ait été
visée dans la requête du débiteur197. En effet,
le débiteur a l'obligation d'indiquer, dans sa demande de
règlement préventif198, les créances pour
lesquelles il sollicite une suspension de poursuite199. Dans le
redressement judiciaire ou dans liquidation des biens par contre, la suspension
de poursuites individuelles s'applique à tous les créanciers de
la masse dès le prononcé de la décision
d'ouverture200. Notons qu'il n'est pas étonnant dans ces
conditions que le banquier titulaire d'une créance hypothécaire
puisse toujours voir son droit suspendu. En effet, si cela paraît plus
évident dans le cas du redressement et de la liquidation, l'on peut
également convenir dans l'hypothèse du règlement
préventif, que le débiteur va, certainement, «
opérer une discrimination en fonction des caractéristiques de
ses dettes: montant élevé ou faible, exigibilité
immédiate ou à terme, existence ou non d'une sûreté,
importance du bien servant à l'assiette de la
sûreté.»201. Situation dans laquelle le
banquier s'y retrouvera certainement.
Qu'il s'agisse du règlement préventif, du
redressement judiciaire ou de la liquidation des biens, le champ d'application
de la suspension des poursuites individuelles est bien large. En effet, sont
visées par cette suspension aussi bien les demandes en paiement que les
voies d'exécution202. S'agissant particulièrement des
voies d'exécution, principal moyen d'action du banquier créancier
hypothécaire. L'on peut noter sur la base de l'article 75 al 1 qui
concerne le redressement judiciaire et la liquidation des biens, que dès
le prononcé de la décision d'ouverture, les saisies
immobilières sont interdites ou suspendues. L'interdiction concerne les
procédures non encore entamées, alors que la suspension vise les
procédures déjà entamées mais, qui ne sont pas
encore devenues définitives203. Ainsi, l'on peut
aisément constater que même après adjudication, si la
publication du jugement n'est pas intervenue, la procédure de saisie
immobilière sera suspendue en cas d'ouverture d'une procédure
collective204.
197 Article 9 de l'A.U.P.C.A.P. Lire également SAWADOGO
(F.M), Commentaire de l'A.U.P.C.A.P in OHADA Traité des actes uniformes
commentés et annotés 3e édition, Juriscope 2008, P.
900.
198 Cette requête doit s'accompagner ou être suivi
dans les trente jours (30) à compter de son dépôt d'une
offre de concordat. Article 7 de l'A.U.P.C.A.P.
199 Article 5 de l'A.U.P.C.A.P.
200 Article 75 de l'AUPCAP. V. NEMEDEU (R), op. cit. P.253
201 SAWADOGO (F.M), Droit des entreprises en
difficulté. P. 60
202 Idem P. 64 et 206.
203 KOUNGA (G.J) Procédures collectives et voies
d'exécution, mémoire de D.E.A Université de
Yaoundé II. P. 23
204 V. pour un jugement d'ouverture intervenu entre
l'adjudication et la surenchère : civ. 2e 24 mars 1993
Bulletin. civ. II, n°128.
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Cependant, il y a lieu de souligner quelques limites à
la règle de suspension. L'on notera d'abord que la procédure
d'ordre n'est pas une mesure d'exécution, mais une mesure de
distribution, de sorte qu'elle n'est pas concernée par la mesure de
suspension205. On remarquera, ensuite, que la suspension de
poursuite ne s'étend pas aux tiers. Ainsi, les cautions
hypothécaires peuvent être poursuivies. Par ailleurs, la
suspension des poursuites ne s'applique pas également aux actions
tendant en l'annulation ou la résolution du concordat de
redressement206. Enfin, la suspension des poursuites individuelles
ne joue plus en cas d'annulation ou résolution du concordat de
redressement, et qu'en cas de liquidation des biens, lorsque (03) trois mois
après la décision de liquidation, le syndic n'a pas entrepris la
procédure de réalisation de l'hypothèque207.
En effet, l'article 134 al 4 et l'article 150 de l'A.U.P.C.A.P
reconnaissent respectivement au banquier, créancier hypothécaire,
le droit de pouvoir procéder à la réalisation de
l'hypothèque après annulation ou résolution du concordat
de redressement, ainsi que le droit d'exercer ou de reprendre leurs poursuites
individuelles, à charge d'en rendre compte au syndic, si dans les
délais de trois (03) mois suivant la décision de liquidation des
biens, le syndic n'a pas entrepris la procédure de réalisation
des immeubles. Toutefois, la suspension des poursuites n'est pas l'unique
désagrément qui touche le banquier créancier
hypothécaire.
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