B)- La portée de la conservation du titre
foncier
La conservation des titres fonciers sans préalablement
inscrire l'hypothèque à la conservation foncière est une
mesure sans véritable efficacité. En effet, cette pratique
dénommée `'dépôt libre»très
répandue dans le secteur bancaire, notamment celui des microfinances, ne
garantit en rien la protection du banquier. Puisque, les clients de mauvaise
foi peuvent toujours obtenir de nouveaux duplicata, après
établissement des certificats de pertes et mise en oeuvre de certaines
procédures de reconstitution d'acte, qui leur permettront de disposer de
l'immeuble ou de le grever de nouvelles hypothèques.
En doctrine, la conservation des titres fonciers des immeubles
hypothéqués a été vivement
critiquée116. Il a été avancé qu'elle
dénature la garantie hypothécaire en affectant son
caractère de garantie sans dépossession, et en empêchant le
constituant de consentir une autre hypothèque de second rang. Dans
l'ensemble, cette mesure est perçue comme un signe de manque de
confiance des banques à l'égard de l'administration des domaines
et un abus de droit. Cependant cette critique, bien que fondée en
partie, nous semble un peu trop sévère.
En effet, concernant la dénaturation de l'institution
juridique de la garantie hypothécaire, rappelons d'abord que
l'hypothèque porte sur les immeubles ou les droits immobiliers, tandis
que la conservation porte sur le titre foncier. Cette différence d'objet
suffit pour soutenir que nous avons à faire à deux
mécanismes distincts quand bien même la conservation du titre
s'appuie sur le mécanisme d'hypothèque. Ceci dit,
l'hypothèque ne perd pas son caractère de garantie sans
dépossession par la rétention du titre foncier. Pour que ce
caractère soit affecté, il faudrait que le constituant n'ait plus
la maîtrise de l'immeuble. Autrement dit, qu'il ne soit plus en mesure
d'exercer les droits que lui reconnait la loi à la suite de la
constitution d'une hypothèque, notamment, le droit d'usage, de
jouissance et d'administration117.
116 Sur l'essentiel de la critique V. l'auteur
précité, P.293.
117 Sur les droits du constituant sur l'immeuble
hypothéqué. V. ANOUKAHA (F), CISSE- NIANG (A), MESSANVI (F),
ISSA-SAYEGH (J), YANKHOBA NDIAYE (I), MOUSSA (S), op. cit. P. 191 à 192.
Et, AYNES (L) et CROCQ (P), op. cit. P.298 à 301. Ainsi que, LEGEAIS
(D), op. cit P. 424 à 425.
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La protection du banquier dans les opérations de
crédit hypothécaire en zone CEMAC Par MAKOUBA MOUYAMA Julio
Chancel
Cependant, tel n'est pas le cas. Bien que le banquier conserve
le titre foncier, le débiteur continue d'user et de jouir de l'immeuble.
Seul est légèrement affecté son droit de disposition. Et
ce, non pas seulement par la conservation du titre foncier, mais
également, en vertu des clauses prohibitives régulièrement
consenties par le client lors de la constitution de l'acte de crédit
hypothécaire. De même, ce sont ces clauses qui justifient la
restriction du droit de constituer une nouvelle hypothèque de second
rang. La conservation des titres fonciers n'est donc qu'une mesure qui permet
de concrétiser les clauses prohibitives. Bien qu'à ce niveau
aussi une nuance s'impose. En effet, en dépit du fait qu'il soit
difficile pour les banques d'accepter une hypothèque de second rang, le
banquier, lorsqu'il est créancier de premier rang d'une
hypothèque, n'interdit pas d'une façon drastique la constitution
d'une hypothèque de second rang. Il soumet simplement une telle
constitution à son avis ou à son accord préalable. En
réalité, les parties s'aménagent un terrain de
négociation qui en cas d'impasse pourrait faire intervenir le juge. Ce
dernier pourrait apprécier cette situation, par exemple, en fonction de
la valeur du bien, du risque que court le banquier, ainsi que de
l'opportunité qu'il y a de concéder la nouvelle
hypothèque.
Quant à l'argument d'abus de droit, il n'est valable
que dans le cas où le banquier conserve le titre sans avoir
préalablement obtenu le consentement de son client. En effet, en
pareille hypothèse, le problème de la légitimité de
cette rétention se poserait118. Mais, dans le cas contraire,
la rétention du titre foncier ne saurait être
considérée comme un abus de droit. D'où,
l'intérêt pour le banquier d'inscrire expressément cette
clause dans les conventions de crédit hypothécaire. Même
s'il est vrai que le droit de rétention tel que prévu par l'OHADA
est soumis à aucune condition de forme.
En somme, il faut reconnaître que la conservation du
titre foncier a une importance pratique pour toutes les parties à la
convention de crédit hypothécaire. En effet, si elle a l'avantage
de sécuriser le banquier en paralysant le risque de distraction de
l'immeuble, elle aide également le client en ce qu'elle comble l'effet
d'illusion souvent reproché à l'hypothèque119.
L'hypothèque est considérée comme un acte dangereux parce
qu'elle fait croire au client qu'il conserve l'immeuble en pleine
propriété, alors que, ce dernier risque de se voir
déposséder de l'immeuble hypothéqué. Or,
grâce à la conservation du titre foncier, le constituant de
l'hypothèque prend de plus en plus conscience du risque qui le
guette.
118 Le droit de rétention a été
organisé par le droit OHADA qui prévoit parmi les conditions de
validité, la nécessité pour la créance d'être
exigible. Or, la créance du banquier qui exerce son droit de
rétention, sans consentement du constituant et, après avoir
inscrit l'hypothèque n'est généralement pas encore
exigible.
119 AYNES (L) et CROCQ (P), op. cit. P. 278.
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