1.1.2.3. Les enjeux de la connaissance
Pour le domaine du nucléaire, la quantité de
données qui a été cumulée depuis plusieurs
générations est colossale. Il est donc nécessaire de la
conserver. De plus, son avenir étant basé sur les recherches dans
la sécurité, la sûreté et le développement
des nouvelles technologies, il est capital de la développer en faisant
appel aux nouvelles générations. Le domaine du nucléaire
est fondé sur la connaissance. Cette situation est aussi vraie, mais
dans une moindre mesure, pour l'ensemble des autres industries. En effet,
depuis l'ère post-industrielle, les métiers ont
évolué, le mode de fonctionnement des entreprises a
changé. Déjà en 1996, la différence entre les
chiffres de capitalisation boursière des entreprises et la valeur de
leurs actifs physiques et matériels était très importante.
Cette différence était composée de perspectives de
croissance, de gains futurs, et de biens dits « immatériels ».
Ces derniers sont alors composés pour partie, de la connaissance que
possède l'entreprise [MALLIE (2003, p.15-16)]. Nous pouvons donc
facilement affirmer que la connaissance est aujourd'hui valorisée
financièrement de façon indirecte. Par exemple, Microsoft avait
en 1996 une valeur boursière totale de 85,5 milliards de dollars et
comptabilisait seulement 930 millions d'actifs
24 Ibid
physiques et matériels (locaux,
équipements...)25. La différence étant donc due
aux éléments que nous avons cités plus haut. De plus, la
part des métiers dit « intellectuels » faisant appel à
la manipulation de concepts et d'idées est en forte hausse dans notre
société post-industrielle. Les métiers de
l'ingénierie, de l'innovation ou de la créativité sont en
pleine croissance. Les technologies avançant, les recherches
scientifiques sont poussées toujours plus loin et sont toujours plus
nombreuses. L'apparition récente (une vingtaine d'années) des
métiers de la Gestion des connaissances (GC) en est d'ailleurs un
symptôme marquant. Si ces métiers sont en croissance, c'est que la
demande est bien présente. Pour Brice Mallié (2003), « le
retour sur investissement du Knowledge Management [ou Gestion des
Connaissances] n'est plus à démontrer »26. En
effet, d'après lui, deux types de gains se dégagent d'une
démarche de GC. Le premier est lié aux économies directes
facilement identifiables permettant une optimisation de la connaissance au sein
de l'entreprise. Ainsi, des gains de productivités de 13% ont
été observés au centre d'appels clients de 3M suite
à la mise en place d'un outil de GC. Cela a permis aussi une baisse de
35% en besoins de formation des téléconseillers. Avec un simple
intranet permettant l'échange de bonnes pratiques entre techniciens,
l'entreprise Xerox économise plus de 7 millions de dollars chaque
année. L'entreprise Dow Chemical, quant à elle, a vu la valeur de
ses brevets augmenter de plus de 400% grâce à de nouvelles
méthodes de gestion des connaissances. Le deuxième type de gains
est plus indirect. Il est lié à un changement de culture au sein
de l'entreprise avec une meilleure communication, des échanges de bonnes
pratiques et un développement accru des compétences. Ainsi
d'après les responsables de l'entreprise Buckman, les ventes de nouveaux
produits de l'entreprise ont augmenté de 50% et les
bénéfices par associé de 93% après la mise en place
d'un projet de GC. Brice Mallié identifie alors la potentialité
d'une autre utilisation de la connaissance : celle dirigée vers la
création de valeur directe. C'est-à-dire, la « vente »
de la connaissance. Celle qui est directement dirigée vers les clients.
Il montre que le savoir peut être utilisé comme une arme
commerciale et marketing et qu'il peut aussi être sujet à la vente
par des « produits » comme le conseil, la formation, les brevets, les
supports informatiques, etc... Chez Areva, cette « vente » de
connaissance existe déjà sous une forme indirecte. En effet, les
experts sont souvent à l'appui des projets de vente. Ils « vendent
» alors leur expertise aux clients en les accompagnant. Le client veut
être suivi et soutenu. Il veut avoir l'assurance, d'autant plus
25 Brice Mallié, Transformer le savoir
en profit - Enjeux et bénéfices du Knowledge management,
Village Mondial,Pearson Education France, Paris, 2003, 236 p.
26 Idem
dans le nucléaire, que son produit est sans danger et
que le fournisseur maitrise parfaitement les produits et services. Ce n'est
plus le client passif, apolitique et relativement compréhensif qui
existait dans les années 1970. Le client d'aujourd'hui est exigeant, car
le milieu économique est exigeant. Il veut comprendre comment et
pourquoi il lui est préférable de choisir tel produit ou service
plutôt qu'un autre. Ainsi les entreprises doivent prendre conscience de
l'importance de la maitrise et du développement de leurs connaissances
pour répondre aux attentes du client. Tôt dans la Gestion des
Connaissances, la notion de business apparait. Dès 1994, Stan Davis et
Jim Botkin mettent en avant le caractère avantageux à fournir des
informations à ses clients. Pour eux, les entreprises qui
réussiront le mieux seront celles qui auront réussi à
transformer des informations en savoir. Aujourd'hui, les entreprises
spécialisées sur la mise à disposition d'experts dans un
domaine de connaissance spécialisé pour les entreprises se sont
développées. L'entreprise Experconnect27, dont Areva
est cliente, en est un bon exemple. Pour Areva, l'enjeu de la connaissance est
primordial. En effet, comme nous l'avons vu, le secteur du nucléaire est
particulièrement rattaché à la gestion de la connaissance.
De plus, d'après le Directeur des Ressources Humaines du groupe,
l'innovation pour Areva est inévitable, car l'énergie atomique
est aujourd'hui plus chère que d'autres sources d'énergie. Les
études réalisées par Jean-François Ballay ou
Jean-Louis Ermine, deux experts en GC, sur le domaine du nucléaire
montrent à quel point ce secteur est en besoin. La rareté des
connaissances au sein du nucléaire amplifie ce phénomène
et permet aux entreprises de se distinguer sur un marché
concurrentiel.
Dans le secteur du nucléaire, il peut être vital
pour une entreprise de conserver les connaissances acquises depuis plusieurs
générations. Or, les départs à la retraite et
l'arrivée des nouvelles générations peuvent être
synonymes de perte de savoir. Il est donc fondamental de s'intéresser au
transfert de connaissances (TC).
27 Experconnect propose aux entreprises
d'accéder à des compétences de jeunes retraités
souhaitant apporter leurs connaissances (pointues ou rares) à des
projets de haute valeur ajoutée dans l'industrie ou les services.
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