Section 2. Un nécessaire équilibre
35. Les raisons ayant poussé le législateur
à interdire le déséquilibre significatif dans les
relations commerciales sont plurielles. Néanmoins, les plus saillantes
tiennent au souci de maintenir la concurrence (§1) et la
protection du consommateur (§2).
§1. Un équilibre nécessaire au maintien
de la concurrence
36. La doctrine néoclassique considère que la
concurrence sera pure et parfaite lorsque l'équilibre concurrentiel est
atteint. Il s'agit du point d'intersection de la courbe de la demande avec
celle de l'offre49. Les situations de monopole empêchent
l'avènement de cet objectif et l'obligation d'un équilibre dans
les relations commerciales s'interprète ainsi comme un moyen d'atteindre
cette fin en contrôlant le comportement des entreprises dominantes.
37. En France, l'interdiction des pratiques restrictives de
concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce visent à
protéger certains intérêts des acteurs économiques
engagés dans une relation commerciale. Ces interdictions
qualifiées de « petit droit de la concurrence » ayant comme
objectif de protéger les intérêts catégoriels, ceux
des professionnels, sont volontiers opposées au « grand »
droit de la concurrence qui protégerait le marché dans son
ensemble. D'une façon générale, le droit des pratiques
restrictives protège le cocontractant de son partenaire en
exerçant un contrôle de la formation, du contenu ainsi que de la
rupture du contrat50. L'équilibre contractuel entre
partenaires commerciaux s'inscrit dans le cadre de cette protection.
38. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce prévoit l'interdiction d'un déséquilibre
significatif dans les relations entre partenaires commerciaux. Cette
règlementation est principalement une réponse du
législateur aux abus de certains
49 J. DREXL, « Déséquilibres
économiques et droit de la concurrence », in Les
déséquilibres économiques et le droit de la concurrence,
(dir.) L. BOY, Larcier, 2015, p. 34.
50 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence
interne et européen, 6e éd., Sirey, 2014, p.
122.
29
fournisseurs et distributeurs à l'égard de leurs
partenaires51. Ces abus portaient atteinte à la libre
concurrence dans le secteur de la distribution. En effet, la France compte
quelques grands groupes de fournisseurs de taille internationale dans ce
domaine ayant un pouvoir important à l'égard de leurs
distributeurs. En contrepoint, en matière de grande distribution, les
dix premières entreprises françaises occupent 73% des parts de
marché du secteur des biens de consommation à rotation
rapide52. Mais la plupart des fournisseurs sont des PME (environ
7900 entreprises)53 soumises généralement aux
conditions posées par les grands distributeurs. Nous avons une
distribution assez concentrée et un grand nombre de fournisseur qui ne
créent pas les conditions d'un rapport de force équitable.
Alors que du côté des producteurs, l'offre est
éclatée, du côté des distributeurs, la demande est
concentrée dans quelques grandes centrales d'achat. Le
déséquilibre contractuel est le résultat de la puissance
d'achat des distributeurs dont le montant des commandes représente un
marché incontournable pour le fournisseur. Les fournisseurs consentent
à ce déséquilibre significatif dans la mesure où
les centrales d'achat s'imposent comme un « point de passage quasi
obligatoire pour les industriels qui veulent faire connaitre leurs produits au
consommateur54 ». C'est pour remédier à cette
situation et permettre une libre concurrence que le législateur est
intervenu. L'enjeu dans le maintien de la libre concurrence est de
protéger les opérateurs des abus commis par leurs partenaires
commerciaux. Considérant qu'il n'y a « pas de croissance, pas de
modernisation, sans retour à la loyauté55 », le
législateur entend faire respecter un devoir de bonne foi et de
loyauté.
39. Bien que l'objectif principal du
législateur fût de protéger la relation
fournisseur-distributeur, l'extension de l'interdiction du
déséquilibre significatif à l'ensemble des relations
commerciales illustre sa volonté de combattre toutes les formes de
déséquilibre entre partenaires commerciaux. Il est postulé
qu'en recouvrant un équilibre contractuel perdu, la concurrence sera
plus vive et plus saine. L'interdiction du déséquilibre
51 Cf. supra, nos 9 s.
52 J.-J. ROBERT, Rapport fait au nom de la
commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la
loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Sénat,
30 avr. 1996, no 336, p. 5.
53 G. CANIVET, Restaurer la concurrence par les
prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie
et commerce, La Documentation française, oct. 2004, p. 50.
54 J.-J. ROBERT, rapport préc., p. 11.
55 J.-P. CHARIÉ, rapport préc., p.
41.
30
significatif est une manière d'éviter le
syndrome du « trou noir56 » éliminant toute
idée de contrat de gré à gré. L'objectif est de
permettre aux partenaires commerciaux de négocier librement leurs
contrats sans se voir imposer de clauses
déséquilibrées.
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