Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales.( Télécharger le fichier original )par Lorena Cortissoz Paris Dauphine - Master 2 Droit approfondi de là¢â‚¬â„¢entreprise 2014 |
§2. La nécessité de l'intervention du législateur pour éviter le déséquilibre significatif
gouvernementales ou les associations, d'adopter entre eux et pour eux-mêmes des lignes directrices communes au niveau européen (notamment codes de conduite ou accords sectoriels). » 323 Cf. supra note n° 224. 324 J. STIGLITZ, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, éd. Fayard, 2006, p. 15. 137 faveur des PME, la LME 2008, loi Hamon 2014 montrent définitivement qu'il faut légiférer en la matière pour protéger le marché et les acteurs sensibles. »325 Sans l'interdiction du déséquilibre significatif, un partenaire commercial pourra toujours abuser de sa puissance économique pour infliger à son cocontractant des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Dans l'exemple du secteur de la distribution, l'intervention du législateur est nécessaire non seulement pour éviter l'abus de dépendance de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais aussi pour éviter la mise en place des pratiques restrictives de concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce dont fait partie le déséquilibre significatif. 270. En France, les partenaires commerciaux sont d'une certaine manière privilégiés d'avoir des dispositions législatives les protégeant des déséquilibres significatifs auxquels leurs partenaires commerciaux peuvent les soumettre. Une comparaison peut être faite avec le Tchad par exemple. Monsieur Vincent Munkeni, vice-président de la Tchadienne des Eaux (entreprise de traitement en embouteillage d'eau implantée au Tchad), nous confie les difficultés que son entreprise rencontre avec les dispositions contractuelles qu'il considère comme créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties326. Pour comprendre cette situation, il faut revenir un bref instant sur le contexte dans lequel sont conclus ces contrats. En effet, le Tchad est un pays enclavé et purement continental. L'entreprise dans laquelle il travaille, comme l'ensemble de l'économie tchadienne, est donc dépendante des importations, c'est-à-dire des transports de marchandises dont l'activité est gérée par un petit nombre d'entreprises exerçant un véritable monopôle. Ce dernier est renforcé d'une entente sur les prix. De plus, ces entreprises sont soutenues par un puissant lobby - le syndicat de transporteurs du Tchad - qui leur permet de se maintenir dans cette situation de monopole327. La situation est donc similaire à celle existant en France entre les fournisseurs et la grande distribution. Les entreprises tchadiennes devant faire appel aux services des transporteurs sont contraintes d'accepter leurs conditions contractuelles alors même que certaines d'entre elles présentent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Pour Monsieur Vincent Munkeni, le déséquilibre le plus significatif dans les contrats qu'il signe repose sur la question du prix. En effet, l'entreprise doit payer des sommes exorbitantes 325 Annexe n° 2, question 2. 326 Annexe n° 4, question 6. 327 Annexe n° 4, question 5. 138 ne correspondant pas au réel coût du service. Par exemple, le prix de transport pour acheminer un conteneur par voie maritime de Dubaï à Douala, la capital du Cameroun, est de 1 200 euros environ et la deuxième partie du transport, par camion cette fois-ci, coûte 7 400 euros environ entre Douala et N'Djamena, la capitale du Tchad328. Nous voyons ici qu'il y a une forte disproportion du prix au kilomètre, puisque le trajet Dubaï-Douala fait 13 000 kilomètres et celui Douala-N'Djamena 1 700 kilomètres. D'une façon générale, la cour d'appel de Paris329 affirme que « [s]'il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre significatif entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifiés de significatif. » Nous pouvons supposer que si l'on transposait la situation tchadienne en France, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce trouverait à s'appliquer puisque le caractère excessif du prix crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Or, le droit appliqué au Tchad ne prévoit pas de disposition relative à l'interdiction du déséquilibre significatif. En effet, le Tchad ne dispose pas d'une législation en matière de droit de la concurrence330. Cependant, le pays fait partie de la Communauté économique monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), une organisation internationale formée de plusieurs États d'Afrique centrale331. Cette organisation internationale dicte des normes devant être respectées par les pays membres. Le droit de la CEMAC prévoit une législation relative aux opérations de concentration, d'ententes, d'abus de position dominante lorsque les pratiques affectent le commerce entre les États membres332. C'est précisément le cas des contrats de transport puisqu'il s'agit d'un commerce entre États faisant partie de la CEMAC : le Cameroun et le Tchad. Toutefois, aucune réglementation ne semble prévoir l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence telle que l'interdiction du déséquilibre significatif. Les clauses déséquilibrées introduites par les transporteurs nous 328 Annexe n° 4, question 6. 329 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166. 330 L. BOY, « Quel droit de la concurrence pour l'Afrique francophone subsaharienne ? », RIDE, mars 2011, p. 269. 331 Les pays faisant partie de la CEMAC sont : le Cameroun, la République centrafricaine, La République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. 332 L. BOY, ibid. 139 le démontrent. Du côté du droit de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) appliqué au Tchad, aucune disposition n'a été prise concernant le droit de la concurrence333. Une intervention de l'État Tchadien pour interdire le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties empêcherait sans doute cette situation. Pour Monsieur Vincent Munkeni, une intervention des pouvoirs publics est nécessaire pour réglementer ces abus, d'autant plus que de cette intervention dépend la survie de son entreprise. A cela, il s'ajoute le fait que les entreprises tchadiennes répercutent le coût du transport sur les consommateurs. 271. L'exemple de l'État tchadien nous montre que la nécessité d'intervention du législateur pour interdire le déséquilibre significatif est essentielle et que l'intervention du législateur français est peut-être justifiée. Mais le dispositif interdisant le déséquilibre significatif est-il efficace ? 333 Pour plus d'information : http://www.ohada.com/content/presentations/Presentation-OHADA.pdf 140 |
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