CHAPITRE II. L'UTILITÉ DU DISPOSITIF
INTERDISANT LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
260. Le dispositif interdisant le
déséquilibre significatif est-il utile ? Pour répondre
à cette question, nous allons nous interroger sur l'opportunité
de l'intervention du législateur en la matière (Section
1). Ensuite, nous étudierons l'efficacité du dispositif
(Section 2). Est-il possible de contourner l'interdiction du
déséquilibre significatif ? Est-il envisageable d'éviter
l'apparition d'un déséquilibre significatif autrement que par son
interdiction ?
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Section 1. L'opportunité de l'intervention du
législateur pour éviter le déséquilibre
significatif
261. Le législateur devait-il intervenir ? Les parties
pouvaient-elles éviter le déséquilibre significatif sans
aide du législateur ? (§1) Ce n'est pas en vain
que le législateur est intervenu pour interdire le
déséquilibre significatif, car il appert qu'une
autorégulation entraîne des abus (§2).
§1. Le déséquilibre significatif
évité par les partenaires commerciaux
262. Si le législateur a interdit le
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties, c'est parce qu'il estimait que les partenaires commerciaux ne
pouvaient pas l'éviter par eux-mêmes dans la mesure où l'un
d'eux se trouve en position de faiblesse par rapport à l'autre. C'est
principalement la relation fournisseur-distributeur, archétype de
l'oligopsone317 où le fournisseur est
généralement en situation de faiblesse, que le régulateur
a voulu encadrer. Cependant, pour le Professeur Yves Lequette, sont des «
bigots [ceux] qui considèrent que la réponse aux
difficultés de déséquilibre de puissance doit être
recherchée dans une politique d'inspiration dirigiste qui conduit
à réglementer impérativement le contenu du
contrat318. » En effet, l'équilibre devrait être
atteint spontanément par l'action même des partenaires
commerciaux.
263. L'équilibre dans les droits et obligations des
parties serait atteint lorsque les partenaires commerciaux retirent de cette
relation l'intérêt qu'ils cherchaient au moment où ils ont
contracté319. L'intervention législative est-elle
nécessaire pour atteindre cette situation d'équilibre ? Comme
Adam Smith le souligne en parlant de sa théorie de la main invisible,
« ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière
et du boulanger que nous attendons notre diner, mais bien du soin qu'ils
apportent à leurs
317 Cf. supra note n° 16.
318 Y. LEQUETTE, « Bilan des solidarismes contractuels
», Mélanges P. Didier, Économica, 2008, p. 264.
319 Pour plus d'informations sur ce point Cf. supra
nos 30 s.
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intérêts320. » L'équilibre
dans la relation commerciale, c'est-à-dire le juste milieu dans la
balance des droits et obligations, passe par la satisfaction de leur
égoïsme propre.
Toute tentative du législateur de réguler les
relations contractuelles peut être vue comme une volonté de
transformation de la nature humaine profonde. Le législateur souhaite
que les partenaires commerciaux soient « solidaires » entre eux afin
de préserver l'intérêt général. Pourtant,
l'homme est par nature égoïste et c'est précisément
ce sentiment qui va permettre d'éviter le déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Même si le droit
voulait organiser l'économie, c'est elle qui, en dernier ressort
commande le droit321. Les parties vont privilégier le recours
à des moyens économiques pour atteindre leurs
intérêts plutôt que de se reposer sur une intervention
providentielle du législateur.
264. Même si pour les juges, une disposition
contractuelle engendre un déséquilibre significatif, dès
lors qu'elle donne lieu à une forme de rentabilité
économique pour chacune des parties, la disposition n'est pas
qualifiée de déséquilibrée. En effet, les
partenaires ont retiré l'intérêt qu'ils attendaient de la
relation commerciale, c'est-à-dire qu'ils sont parvenus à faire
du profit.
265. Les partenaires commerciaux n'ont aucun
intérêt à imposer à leur partenaire un
déséquilibre significatif qui le mettrait en difficulté.
Au contraire, un professionnel a intérêt à ce que son
cocontractant maintienne son activité commerciale afin d'avoir à
sa disposition le plus grand nombre de partenaires commerciaux possible. Il
pourra ainsi accroître la concurrence entre eux et obtenir les meilleures
conditions commerciales possibles. Le respect du partenaire commercial est donc
paradoxalement le meilleur moyen d'atteindre ses intérêts
propres.
266. Cet ensemble d'arguments explique sans doute pourquoi
l'Union européenne promeut autant le développement de
l'autorégulation322. Il s'agit de normes
européennes
320 A. SMITH, La richesse des nations, éd.
Garnier Flammarion, 1992, t. 1, p. 82.
321 J.-M. LELOUP « Intervention du Bâtonnier,
Colloque : la franchise : questions sensibles », RLDA, 2012,
no 73 supplément, p. 16.
322 Comité économique et social européen,
« L'état actuel de la corégulation et
l'autorégulation dans le marché unique », Les cahiers du
CESE, mars 2005, p. 11 : l'autorégulation est définie comme
« la possibilité, pour les opérateurs économiques,
les partenaires sociaux, les organisations non
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communes élaborées par des comités en
collaboration avec des professionnels d'un milieu économique et
permettant à ceux-ci d'adopter des lignes directrices en phase avec les
réalités et leurs besoins. Ces normes peuvent prendre
différentes formes telles que des codes de conduite, des accords, des
chartes, ou des déclarations, etc. Bien que, pour l'instant, ces accords
relèvent de la soft law323, c'est déjà
un pas en avant vers une éventuelle régulation plus
contraignante. Cette approche remet en question l'intervention
législative qui tendrait à produire des normes inadaptées
alors que les professionnels seraient plus à même de
déterminer un cadre optimum pour leurs relations commerciales.
267. Pour autant, est-il judicieux de laisser aux parties le
soin de trouver par elles-mêmes l'équilibre de leur relation
commerciale ? Comment être sûr que les partenaires atteindront
l'équilibre contractuel recherché sans l'aide d'un tiers ?
Jusqu'à quel point la régulation des relations commerciales
peut-elle être confiée aux seuls partenaires commerciaux ou aux
forces du marché ?
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