§2. Une dépendance dissuadant l'action en
justice
248. Les fournisseurs sont-ils réellement dans un
état de dépendance (A) ? Cette situation de
dépendance ne concerne pas tous les fournisseurs, certaines
multinationales échappent à cette situation. De même,
l'état de dépendance ne crée pas forcément un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Néanmoins, la situation de dépendance semble dissuader
les parties assujetties d'agir en justice (B).
A. Un réel état de dépendance
?
249. Nous avons vu300 que le
déséquilibre significatif est venu remplacer un article qui
nécessitait de rapporter la preuve qu'un des partenaires commerciaux
était en situation de dépendance tandis que l'autre avait une
puissance d'achat ou de vente. Bien que la notion de situation de
dépendance économique ne figure plus dans le corps du texte, elle
y est implicitement présente « dans la mesure où la
soumission conduisant à un déséquilibre significatif ne
peut en pratique exister que s'il y a état de dépendance
économique301. » Déséquilibre significatif
implique-t-il nécessairement un état de dépendance ? De
même, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait
référence à l'interdiction de « soumettre. » En
utilisant ce terme, le législateur envisage, d'une certaine
manière que la soumission d'un partenaire commercial entraine sa
dépendance vis-à-vis de celui qui le soumet à une
obligation créant un déséquilibre significatif.
250. La dépendance n'est pas forcément un signe
de déséquilibre. Madame Géraldine Odoul, producteur, nous
indique que même si elle a été d'une certaine
manière contrainte de contracter avec la coopérative agricole -
puisque c'était le seul moyen de vendre ses produits - les dispositions
du contrat ainsi conclu ne lui ont pas semblé
déséquilibrées302, à l'exception d'une
clause relative à l'obligation de l'apport total de la production
à la coopérative agricole. En effet, les producteurs
adhérents à une coopérative ne peuvent
généralement pas vendre leur production à un autre
partenaire commercial ou vendre leurs
300 Cf. supra no 45.
301 F. MARTY et P. REIS, « Une approche critique du
contrôle de l'exercice des pouvoirs privés économiques par
l'abus de dépendance économique », RIDE, avr. 2013,
p. 587.
302 Annexe n° 3, question 8.
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produits directement au consommateur. Toutefois, pour Madame
Géraldine Odoul, cette clause est justifiée par le fait que la
coopérative s'engage à acheter toute la production du
producteur303. Cette justification nous montre que même si les
producteurs ou fournisseurs sont contraints de vendre leurs produits à
un nombre réduit de partenaires commerciaux, cela ne signifie pas que
cette situation de dépendance engendre automatiquement un
déséquilibre significatif. Une exigence peut être
compensée par une autre.
251. Le lien de dépendance ne concerne
pas tous les fournisseurs. En effet, les grandes et moyennes surfaces
réalisent 59% de leur chiffre d'affaires avec 3% de leurs
fournisseurs304 qui sont pour la plupart des sociétés
multinationales propriétaires de marques à forte
notoriété. Les produits vendus par ces fournisseurs sont
convoités par les consommateurs. Même si le nombre de produits MDD
ne cesse d'augmenter, il ne semble avoir aucun impact négatif sur les
ventes des marques de grande notoriété305. Leurs
produits jouissant d'un attrait auprès des consommateurs, ces
fournisseurs sont plus indépendants des distributeurs que ne le sont les
PME. C'est ce type de société qui pourrait éventuellement
prendre le risque d'assigner en justice un distributeur.
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