§2. Le refus du juge d'accueillir les demandes des
partenaires commerciaux
233. L'introduction de l'interdiction du
déséquilibre significatif dans le Code de commerce en 2008 a fait
couler beaucoup d'encre parmi les juristes. Le dispositif a essuyé de
nombreuses critiques et un auteur l'a même assimilé à
« une machine à hacher le droit272. »
269 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
270
trib. com. Nanterre, 25 nov. 2014,
no 2014/F01229. Le juge rejette l'allégation de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce parce « qu'en
décider autrement reviendrait à permettre au défendeur de
choisir son juge. »
271 Information obtenue lors du salon de la franchise 2015.
272 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du
déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels
: l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir
«une machine à hacher le droit» ? », RLC,
2010/23, p. 47.
234. 121
Nous avons vu que le champ d'application ratione materiae
de l'article L. 442-
6, I, 2° du Code de commerce est très
vaste273. L'étude du bilan des décisions de justice
rendues sous l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code
de commerce, révèle que le grief de déséquilibre
significatif est rarement admis par les juges en dehors des assignations
à l'initiative du ministre de l'Économie. En 2013, sur 31
assignations faites par les acteurs économiques, le juge a reconnu
l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties que dans une seule décision274. Les
choses ne furent pas différentes en 2012 puisque le juge refusa
d'appliquer l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans l'ensemble
des affaires fondées sur ce dispositif275.
235. Quant aux assignations faites par le ministre de
l'Économie, le juge y fut plus réceptif puisqu'en 2013, par
exemple, toutes les actions entreprises sur ce fondement, sauf
une276, furent reçues par le juge277. Qu'est-ce
qui justifie cette différence de traitement ? On peut trouver une
explication dans le fait que les litiges soumis directement par les acteurs
économiques sont en général de moindre importance
(contrats de location, crédit-bail, collaboration) que ceux
soulevés par le ministre de l'Économie. L'enjeu économique
ou le nombre de victimes est bien inférieur à celui des actions
initiées par le ministre qui concernent en général tout un
secteur d'activité278. Une autre explication résulte
peut être de la volonté du juge de ne pas utiliser l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce à d'autres fins que
celles originairement prévues, c'est-à-dire la relation
fournisseur-distributeur et plus spécialement la grande distribution. Le
dispositif n'a pas été conçu pour être
appliqué à l'ensemble des relations commerciales. Le juge
souhaite peut-être circonscrire le déséquilibre
significatif au domaine de la distribution bien qu'il commence peu à peu
à accepter les demandes en dehors de ce secteur, mais seulement dans le
cadre des assignations faites par le ministre de l'Economie et qui concernent
généralement des contrats à forte importance
économique279.
273 Cf. nos 62 s.
274 Faculté de Droit de Montpellier, rapport
préc., période du 1er
janv. au 31 déc. 2013, Actions en
justice à l'initiative des acteurs économiques, application du
Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p. 40.
275 Rapport préc., période du 1er
janv. au 31 déc. 2012, p. 35.
276
trib. com Paris, 24 sept. 2013,
n° 2011/058615.
277 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale
2013, juin 2014.
278 Faculté de Droit de Montpellier, rapport préc.,
période du 1er
janv. au 31 déc. 2012, p. 35.
279
trib. com. Paris 19 mai 2015,
n° 2015/000040.
236. En dehors du secteur de la grande distribution, le juge
refuse de prononcer le déséquilibre significatif pour des clauses
qu'il aurait pourtant sans doute déclarées comme
déséquilibrées dans ce même secteur. C'est le cas
d'une décision rendue par la cour d'appel de Paris280. Une
clause litigieuse permettait à l'un des contractants de mettre
unilatéralement fin au contrat et cela, dans le seul objectif d'obtenir
une baisse de tarif de la part de son partenaire. D'après la cour, cette
clause était justifiée dans la mesure où l'entreprise
pouvant résilier unilatéralement cherchait à faire des
économies. Appliquée au secteur de la grande distribution, la
clause aurait été vraisemblablement annulée par le juge
à raison du déséquilibre qu'elle crée.
237. Il est à noter que dans la plupart des
décisions rendues sur assignation du ministre de l'Économie, le
juge prononce des amendes civiles ou encore la répétition de
l'indu, mais rarement la nullité de la clause créant un
déséquilibre dans les droits et obligations des
parties281. Cela s'explique peut-être par la tendance du
ministre de l'Économie à demander systématiquement le
versement d'une amende civile, plutôt que des dispositions favorables aux
victimes282. La fonction première de l'interdiction du
déséquilibre significatif, c'est-à-dire la protection des
acteurs économiques, n'est pas vraiment appliquée. En outre,
quand l'assignation provient des acteurs économiques, les juges
appliquent le plus souvent, en lieu et place du déséquilibre
significatif, l'article L. 420-2 du Code de commerce relatif à l'abus de
dépendance économique283. Le juge sanctionne les abus
sur un autre fondement que le déséquilibre significatif.
122
280 CA Paris, 9 oct. 2014, n° 13/01859.
281 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale
2013, juin 2014.
282 Pour plus d'informations sur ce point, Cf. supra
no 136.
283 Faculté de Montpellier, rapport préc.,
période du 1er
janv. au 31 déc. 2013, p. 40.
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