§2. Le besoin de maintien de la trésorerie
222. Plusieurs clauses concernant les modalités de
paiement ont été déclarées constitutives d'un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Ici nous allons essayer de comprendre si ces clauses peuvent
être justifiées par les besoins du partenaire commercial
déclaré fautif.
223. Le tribunal de commerce de Lille a déclaré
qu'une clause imposant au fournisseur un paiement par virement était
déséquilibrée. En l'espèce, le juge reproche au
distributeur d'imposer ce moyen de paiement au fournisseur alors que « le
choix du moyen de paiement doit rester une liberté
économique259. » Le fournisseur se voyait contraint de
payer par virement alors que le distributeur n'est pas astreint à la
même obligation. Cela dit, d'après les conclusions des avocats de
la partie défenderesse, le distributeur payait majoritairement par
virement, soit 72,49% de ses achats260, ce qui laisse penser qu'il
préférait recevoir les paiements sous cette forme par souci
d'organisation. Certes, le coût engendré par un paiement par
virement est peut-être plus élevé que d'autres moyens.
Cependant, il est possible que le distributeur n'organise la réception
des paiements que par virement bancaire et que cette méthode convient
aux deux partenaires commerciaux. La vitesse de cette forme de paiement permet
peut-être au distributeur de constituer une trésorerie plus
rapidement. En assignant le distributeur sans ambages, le ministre de
258
http://www.llllitl.fr/2014/03/investissements-publicitaires-marques-annnonceurs-france-2013/
(consulté le 26 mai 2015).
259
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
260
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
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l'Économie n'a sans doute pas pris soin d'interroger le
fournisseur pour savoir si ce moyen de paiement imposé était
vécu comme une contrainte ou non. D'après les avocats de la
partie défenderesse, le rapport d'enquête effectué par la
DGCCRF au nom du ministère de l'Économie ne contenait aucun
indice d'opposition ou de réclamation des fournisseurs concernant cette
clause261.
224. Nous pouvons nous intéresser aussi à une
autre clause relative au paiement et qui fut déclarée
constitutive d'un déséquilibre significatif. La clause imposait
aux fournisseurs de payer des acomptes mensuels pour des prestations au
distributeur alors que celui-ci disposait d'un délai plus long pour
payer les produits du fournisseur262. Le tribunal relève une
absence de réciprocité. Néanmoins, le
déséquilibre peut là encore trouver une justification. Si
le distributeur impose au fournisseur cette avance des fonds, c'est
peut-être parce qu'il est nécessaire pour lui de constituer une
trésorerie pour pouvoir payer les charges relatives à la revente
des produits. De plus, le distributeur achète les produits et n'en
récupère les bénéfices qu'au moment de la vente.
Cela explique le délai plus élevé dont
bénéficie le distributeur pour payer les produits au fournisseur.
Par ailleurs, d'après les arguments des avocats de la partie
défenderesse « le coût supporté par les fournisseurs
en raison de l'utilisation de cette méthode de paiement est inexistant
ou à tout le moins insignifiant263. »
225. Une dernière clause considérée
comme créant un déséquilibre significatif par le tribunal
de commerce de Bobigny264 pourrait être justifiée. En
l'espèce, les parties ont inséré une clause de protection
des stocks et de mévente des produits. Cette clause faisait supporter au
fournisseur le risque de la baisse du prix des produits ou de leur
mévente. Le tribunal admet qu'en principe la mévente ou la baisse
de prix est prise en compte lors de la fixation du prix d'achat qui n'avait
d'ailleurs pas été revu à la baisse au profit du
fournisseur qui supportait les risques. De plus, la sécurité
qu'apportait cette clause au distributeur l'incitait à acheter de gros
volumes ce qui, en retour, permettait au fournisseur d'augmenter sa
trésorerie et de limiter ses frais de stockage. Dans ce cas, nous voyons
que la clause insérée dans le contrat servait sans doute
l'intérêt des deux parties. Ces
261
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
262
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
263
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
264
trib. com Bobigny 29 mai 2012,
n° 2009/F01541.
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entreprises voient le juge s'immiscer dans leurs contrats pour
rétablir un soi-disant équilibre allant à l'encontre de
leurs véritables intérêts : « l'enfer est vraiment
pavé de bonnes intentions265. »
226. Les partenaires commerciaux ont un
rôle à jouer dans la justification du déséquilibre
significatif, dont le maintien peut connaître différents motifs
qui pourraient expliquer la défiance à l'égard du
dispositif.
265 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'équilibre du contrat en
droit commercial » in L'équilibre du contrat, (dir.) G.
LARDEUX, éd. PUAM, 2012, p. 37.
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