CHAPITRE II. LE RÔLE DE LA PRÉSERVATION
DES INTÉRÊTS LÉGITIMES DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
206. Nous allons analyser la possibilité de ne pas
sanctionner le déséquilibre significatif lorsqu'il est
justifié. Des raisons légitimes peuvent en effet conduire un des
partenaires commerciaux à soumettre son cocontractant à des
obligations engendrant un déséquilibre significatif.
207. Nous avons classé ces justifications en plusieurs
thèmes non exhaustifs. Tout d'abord, le maintien du
déséquilibre significatif peut être justifié par le
besoin de préserver les aspects immatériels qui font la force
d'une entreprise, tels que son image ou son savoir-faire (Section
1). Le maintien du déséquilibre peut également se
justifier par le besoin des partenaires commerciaux de maintenir une
trésorerie indispensable au fonctionnement de leur activité
(Section 2).
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Section 1. La préservation de
l'immatériel
208. La protection des aspects immatériels d'une
entreprise peut justifier le maintien du déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Ces aspects
immatériels peuvent être : la préservation de l'image des
partenaires commerciaux à l'égard des autres acteurs
économiques (§1), élément
indispensable pour la survie de l'entreprise, ou encore celle de son
savoir-faire (§2).
§1. La préservation de l'image des
partenaires commerciaux
209. L'impossibilité de négocier le contenu du
contrat est considérée comme un déséquilibre
significatif.241 Ici, nous allons essayer d'étudier si ce
déséquilibre pourrait être justifié. Prenons le cas
des contrats de franchise, l'image de la franchise étant essentielle
pour la survie de l'enseigne, ce n'est pas en vain que le code de
déontologie européen de la franchise prévoit à son
article 7 que « le franchiseur entretient et développe l'image de
marque. » Ainsi, le franchiseur doit mettre en place tous les moyens
nécessaires à la sauvegarde de l'image de la franchise. C'est une
des raisons qui peut justifier que les contrats de franchise soient, par
nature, des contrats d'adhésion. Ils sont rarement
négociés et le franchiseur propose au franchisé une
solution « clé en main » comprenant un concept défini.
Or, pour que le déséquilibre significatif ne soit pas
caractérisé, le contrat doit pouvoir être
négocié. La difficulté avec le contrat de franchise est
que le respect des conditions du franchiseur est indispensable à la
sauvegarde de l'image et de la réputation de l'enseigne. Si le
franchisé ne respecte pas à la lettre les conditions
imposées dans le contrat de franchise, l'image de l'enseigne s'en
trouvera détériorée au détriment de l'ensemble du
réseau. Des clauses imposant la décoration du magasin ou encore
l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou des
fournisseurs sélectionnés par lui sont nécessaires
à la protection du réseau. Comme le souligne Monsieur Guy Gras,
Président de la Fédération Européenne de la
Franchise, « appliquer le déséquilibre significatif sans
mesure au contrat de franchise serait [...] totalement
241 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.
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inapproprié en l'espèce, mais également
de nature à remettre en cause l'essence même du monde
économique de la franchise242. »
210. Non seulement l'impossibilité de
négociation du contrat de franchise peut créer un
déséquilibre significatif, mais certaines clauses du contrat
même pourraient également être qualifiées de
déséquilibrées par le juge. Or, « la franchise est un
contrat qui est intrinsèquement fondé sur une relation
déséquilibrée entre le franchiseur et le
franchisé243 ». Des clauses sont imposées
uniquement dans le but de préserver cette image de marque. Par exemple,
l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou de
fournisseurs sélectionnés par lui. Cette clause peut être
considérée comme déséquilibrée puisque le
franchisé impose unilatéralement cette condition. Toutefois, la
particularité du contrat de franchise autorise ce type de clause
puisqu'elle est, selon la CJCE, « considérée comme
nécessaire à la protection de la réputation du
réseau244. » Ces clauses ne devraient donc pas
être considérées comme
déséquilibrées.
211. Un autre exemple de clause confirme que le
déséquilibre significatif peut être justifié afin de
préserver l'image du partenaire commercial. Il s'agit de celle relative
au retour des produits dégradés par la clientèle. Ce type
de clause a d'abord été déclaré comme constitutif
d'un déséquilibre significatif par la cour d'appel de
Paris245. En l'espèce, sur les produits contenant des offres
promotionnelles sur l'emballage, une clause prévoyait qu'en cas de
destruction par le consommateur de l'emballage ou du produit, les frais
liés à la reprise ou à sa destruction seraient à la
charge du fournisseur. L'insertion dans le contrat d'une clause de ce type
pourrait être justifiée par la nécessité de
préserver l'image de l'enseigne du distributeur. En effet, il est
possible de justifier cette clause puisque le distributeur ne peut laisser un
produit dégradé dans le rayon car il doit proposer aux
consommateurs des biens « présentables » à la vente.
Pour moi, consommateur, « l'image des produits que je consomme est ma
propre image246 » ; cette image du produit donnée au
consommateur est donc essentielle. Que les frais de destruction ou de retour
du
242 G. GRAS, « Propos conclusifs, Colloque : la franchise
: questions sensibles », RLDA 2012, n° 73
supplément, p. 55.
243 Ibid., p. 54.
244 CJCE Pronuptia, 28 janv. 1986, no 161/84, pt.
21.
245 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.
246 A. CADET et B. CATHELAT, « À propos de l'image
du consommateur », Les Cahiers de la publicité,
no16, p. 142.
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produit soient à la charge du fournisseur semble assez
logique puisque c'est bien lui qui a décidé de mettre en place
les offres promotionnelles sur l'emballage du produit. C'est donc à lui
de s'assurer de la solidité globale des emballages.
212. Une autre cause pouvant justifier le
déséquilibre significatif et la nécessité de
protection du savoir-faire.
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