§2. La remise en cause du juge des dispositions
acceptées par les partenaires commerciaux
197. Le juge peut remettre en cause les dispositions
acceptées par les parties au nom de l'interdiction du
déséquilibre significatif (A). Cette
intervention bat en brèche la théorie de l'imprévision. Si
l'intervention du juge semble inévitable, encore faut-il qu'elle soit
mesurée (B).
A. La remise en cause des dispositions
acceptées au nom de l'interdiction du déséquilibre
significatif
198. « Nul ne peut modifier les conditions ou les effets
d'un contrat valablement formé, sans le consentement unanime de tous
ceux qui y ont contribué226. » Au nom de l'interdiction
du déséquilibre significatif, le juge va pouvoir venir remettre
en cause les dispositions acceptées des parties et cela même sans
avoir été sollicité par elles, puisque l'article L. 442-6,
III du Code de commerce autorise le ministre de l'Économie et le
225 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p.8.
226 Y. GUYOT, Les préjugés socialistes,
conférence faite à Reims le 24 avril 1895 cité in
A. MARIER, De l'autonomie de la volonté individuelle quant aux
modifications des contrats, imprimerie FIRMAN et MONTANE, 1913, p. 144.
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Ministère public à demander au juge qu'il
prononce l'annulation des clauses entachées d'un
déséquilibre significatif227.
Si le juge considère qu'une ou plusieurs des
dispositions acceptées par les parties créent un
déséquilibre significatif, il va déclarer nulles les
clauses illicites. Cette nullité remettrait en cause le principe
pacta sunt servanda (les conventions doivent être
respectées) mis en avant par l'article 1134 du Code civil disposant que
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
à ceux qui les ont faites. »
199. Pour certains auteurs, la règle interdisant le
déséquilibre significatif serait « une arme de destruction
massive des contrats228. » Cette affirmation se renforce par
l'idée que ce ne sont pas les partenaires commerciaux qui ont le pouvoir
de demander la nullité des clauses constituant un
déséquilibre significatif. En effet, l'article L. 442-6, III
donne ce pouvoir uniquement aux autorités administratives. Cependant,
cette position devrait être nuancée après l'avis de la
CEPC229 de 2014. En effet, la CEPC indique que la victime d'un
déséquilibre significatif peut « agir en nullité de
la clause ou du contrat illicite et d'engager la responsabilité civile
de l'auteur de la pratique. » Mais pour l'instant, aucun changement n'a
été effectué par la loi jusqu'à ce jour. En tout
cas, même si la partie victime peut demander la nullité d'une
clause, le pouvoir d'action des autorités administratives sera toujours
possible, ce qui remet en cause les dispositions acceptées par les
parties.
200. Avec la prohibition du déséquilibre
significatif, le juge va déclarer nulles certaines clauses
acceptées par les parties afin de retrouver l'équilibre
contractuel, alors que celui-ci ne compte pas parmi les conditions de
validité du contrat répertoriées à l'article 1108
du Code civil (le consentement, la capacité, l'objet et la cause). Seule
la lésion peut sanctionner le déséquilibre contractuel,
mais elle n'est permise que dans certains types de contrats230 tels
que les contrats relatifs au partage, aux ventes
227 Cf. supra no 128.
228 M. CHAGNY, « Le nouveau droit de la concurrence :
quel impact sur les relations contractuelles ? », CCC,
déc. 2008, Alerte no 70.
229 CEPC, Avis no 14-02, 13 févr. 2014.
230 C. civ., art 887, 1674, 1118, 1123, 1123, 1305 et 1312.
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immobilières ou encore, ceux visant à
protéger un certain type de personnes (mineurs, interdits, etc.).
201. Si l'intervention du juge est inévitable, encore
faut-il qu'elle soit limitée. B. Limitation de l'intervention du
juge
202. L'intervention du juge pour remettre en cause les
dispositions acceptées par les parties semble inévitable. Elle
s'apparente à une remise en cause de la théorie de
l'impré-vision (1), jusqu'à aujourd'hui en
principe rejeté par le juge judiciaire. L'intervention du juge doit
toutefois rester limitée afin de ne pas bouleverser excessivement le
contrat déjà conclu (2).
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