1- La limite à la liberté contractuelle au
nom de l'intérêt général
188. L'interdiction du déséquilibre
significatif peut être perçue comme une limite à la
liberté contractuelle. Pour les juristes du Cercle Montesquieu, «
la liberté contractuelle et la régulation économique sont
deux principes du droit français inhérents à la vie des
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affaires, mais a priori inconciliables du moins dans
l'esprit du législateur206. » Pour réguler
l'économie, ce dernier a choisi de limiter la liberté
contractuelle, alors qu'elle est à la base d'une relation
commerciale.
189. La limitation législative est intervenue alors
même que le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle
de la liberté contractuelle207. Des restrictions peuvent
toutefois lui être imposées pour des motifs d'intérêt
général208. Ce dernier passe-t-il par une
régulation économique renforcée ou par une sacro-sainte
« égalité des armes209 » ? Ne faut-il pas
donner aux parties les mêmes moyens de défense et les laisser se
débrouiller plutôt que de leur offrir des dispositifs
législatifs qui leur permettront finalement de « remédier
à [leur] légèreté et à [leur]
insouciance210» alors même qu'elles ont librement
accepté les dispositions contractuelles
déséquilibrées ?
190. L'équilibre dans les relations commerciales
est-il un motif d'intérêt général suffisant ? Nous
avons vu211 que le législateur a décidé
d'interdire le déséquilibre significatif pour sauvegarder la
libre concurrence et protéger le consommateur. D'une certaine
manière, l'interdiction du déséquilibre significatif porte
atteinte à la liberté contractuelle pour des motifs
d'intérêt général. Pour certains professionnels de
la distribution, l'intervention des pouvoirs publics est allée trop
loin. Le président directeur général de Leclerc affirme :
« soit les pouvoirs publics décident de s'inviter directement
à la table des négociations commerciales, et à ce
moment-là établissons alors les contrats à trois! Soit on
laisse les acteurs librement commercer, sans jeter la suspicion à priori
sur le seul acheteur, et les conditions de la négociation s'en
trouveront optimisées212. » Nous pouvons ainsi noter le
rejet de ce dispositif par les professionnels de la grande distribution souvent
mise en cause dans les cas d'interdiction du déséquilibre
significatif.
206 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 1.
207 DC, 10 juin 1998, no 98-401 ; DC, 19 déc.
2000, no 2000-437.
208 DC, 13 janv. 2013, no 2002-465.
209 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 2.
210 Y.LEQUETTE « Bilan des solidarismes contractuels
», in Mélanges P. DIDIER, Économica, 2008, p.
267.
211 Cf. supra nos 35 s.
212 M.-E. LECLERC, « Assignations Lefebvre : la justice
limite l'interventionnisme de l'exécutif dans les relations
industrie-commerce », La tribune de Michel-Edouard Leclerc, 26
sept. 2013.
191.
100
L'intervention du législateur dans l'interdiction du
déséquilibre significatif est d'autant plus critiquée
qu'elle advient dans le monde des affaires, celui des professionnels
habitués aux relations commerciales et qui savent établir des
règles adaptées à leurs besoins ou utiliser celles
déjà existantes. Ceci est renforcé par le fait que le
droit commercial a été longtemps nourri par des usages ainsi que
des règles permettant de répondre de manière pertinente
à leurs besoins213.
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