SECONDE PARTIE :
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LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU
164.
87
Les partenaires commerciaux jouent un rôle essentiel
dans le maintien du déséquilibre significatif (Titre
1). Étant prévenus du déséquilibre
significatif auquel ils vont être soumis, les partenaires commerciaux ont
la possibilité de refuser les dispositions contractuelles créant
ce déséquilibre. Ainsi, un manque de prévention contre le
déséquilibre significatif avant leur engagement contractuel peut
être un signe de d'un certain consentement. Les partenaires commerciaux
étant des professionnels avisés, ils ont les moyens de mettre en
place une politique de prévention du déséquilibre
significatif, que ce soit au moment de la négociation ou encore au
moment de la rédaction du contrat.
Il est de même de la préservation des
intérêts légitimes des partenaires qui joue aussi
rôle dans le maintien du déséquilibre significatif. La
création d'un déséquilibre significatif est parfois
nécessaire pour préserver des intérêts
indispensables pour assurer la continuité de l'activité du
professionnel soumettant son partenaire à un déséquilibre
significatif.
165. En outre, la défiance à l'égard du
dispositif interdisant le déséquilibre significatif peut
être une des causes de son maintien (Titre 2). Cette
défiance se traduit par un bilan nuancé de l'utilisation du
dispositif. En effet, les professionnels n'utilisent généralement
le dispositif que de façon subsidiaire et les juges ont tendance
à refuser la majorité des assignations faites par les
professionnels.
Face à ce bilan, l'utilité du dispositif est
remise en cause. Est-il réellement nécessaire d'interdire un
déséquilibre significatif dans les relations commerciales ?
L'opportunité de l'intervention du législateur pour interdire le
déséquilibre significatif doit être revue ainsi que la
réelle efficacité du dispositif l'interdisant.
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TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES
COMMERCIAUX AU MAINTIEN DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
166. Les partenaires commerciaux jouent un
rôle dans la justification du déséquilibre significatif
à deux moments distincts. D'abord, lors du consentement à la
relation contractuelle, quand ils acceptent les stipulations contractuelles
(Chapitre 1). Ensuite, pendant le déroulement
de leur activité, lorsqu'ils cherchent à la préserver
(Chapitre 2).
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CHAPITRE I. RÔLE DU CONSENTEMENT
DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
167. Les parties peuvent choisir de consentir ou non
à s'engager dans une relation contractuelle (Section 1). L'acceptation
des conditions du contrat sert alors de justificatif à l'éventuel
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. L'interdire reviendrait alors à nier la liberté
contractuelle des partenaires commerciaux (Section 2).
90
Section 1. Le pouvoir de décision des
partenaires commerciaux
168. Les partenaires commerciaux ont un pouvoir de
décision qui leur permet d'accepter ou de refuser des clauses porteuses
d'un déséquilibre significatif. Les informations
précontractuelles permettent aux partenaires commerciaux de s'engager en
pleine connaissance de cause (§1). Au besoin, les parties
peuvent toujours recourir à la négociation pour écarter ou
amender une stipulation déséquilibrée
(§2). Le consentement et la négociation
amènent à tolérer le déséquilibre
significatif.
§1. La transparence précontractuelle
permettant d'éclairer le consentement
169. Ce n'est pas en vain que le législateur a
prévu une obligation d'information précontractuelle. En droit
commun, cette obligation découle des articles 1134, alinéa 3,
relatif à l'exécution de « bonne foi » et 1135 du Code
civil évoquant l'équité contractuelle. Cette obligation
d'information est nécessaire à l'existence d'un consentement
libre et éclairé. Les parties peuvent ainsi s'informer et
réfléchir avant de s'engager. Le défaut d'information peut
être sanctionné par l'entremise des vices du consentement des
articles 1109 et suivants du Code civil. Certains droits spéciaux
encadrent précisément ces obligations d'informations dans les
domaines qu'ils régissent. C'est le cas des contrats de bail par
exemple182.
170. Sitôt l'information donnée, l'obligation de
transparence est satisfaite et les contractants avertis veillent à la
protection de leurs propres intérêts. En cas de désaccord
sur les conditions du contrat et si certaines clauses apparaissent
déséquilibrées, les parties demeurent bien
évidemment libres de ne pas s'engager. A contrario, en cas
d'échange des consentements, on en déduira que les parties ont
accepté le déséquilibre significatif en toute connaissance
de cause. L'interdiction du déséquilibre significatif reviendrait
d'une certaine façon à considérer le professionnel comme
victime d'une erreur malgré la présence d'informations
précontractuelles.
182 Par exemple l'article 1721 du Code civil sur la garantie
des vices cachés s'applique si le bailleur n'a pas donné au
locataire toute l'information nécessaire sur le bien loué afin
d'éclairer son consentement.
171.
91
La prohibition du déséquilibre significatif
apparaît d'autant moins justifiée que l'obligation d'information
est renforcée par l'obligation corrélative du cocontractant de
s'informer. Cette obligation est appelée de ses voeux par un
auteur183 et admise par certains prétoires184.
L'Avant-projet de réforme du droit des obligations prévoit de
l'introduire à l'article 1110 du Code civil. Les parties
bénéficient donc d'importants moyens pour bien connaître
les dispositions contractuelles avant de s'engager.
172. Des règles spéciales existent quant
à l'obligation d'information. Par exemple, l'obligation d'information de
l'article L. 330-3 du Code de commerce concernant les contrats de franchise,
introduite par la loi Doubin de 1989185. Avant cette loi, le
franchiseur n'était tenu à aucune obligation d'information
particulière. Depuis, il doit adresser au futur franchisé un
document précontractuel d'information (DPI) contenant des informations
précises sur la relation contractuelle dans laquelle il s'apprête
à s'engager. Ce document est « une sorte d'assurance tous risques
contre les pièges en tous genres qu'il pourra avoir à affronter
au cours de l'exécution du contrat186. » Dans le cas des
contrats de franchise, en l'absence du dispositif de l'article L. 330-3 du Code
de commerce, l'interdiction du déséquilibre significatif aurait
été justifiée. Cependant, avec l'avènement d'une
obligation d'information spécifique, l'interdiction n'apparaît
plus nécessaire.
173. L'information précontractuelle acquise
grâce à l'obligation d'information ou par le devoir de s'informer
éclaire les parties sur les choix à faire. Dès lors que le
professionnel a été correctement informé, il est peu
probable que le juge accepte de remettre en cause les dispositions
acceptées par les parties. C'est l'enseignement d'un arrêt de la
cour d'appel de Paris où le juge indique que la partie alléguant
le déséquilibre significatif avait été
informée par son cocontractant des « conditions en toute
transparence187 », qu'elle ne pouvait donc pas invoquer le
déséquilibre significatif. L'information précontractuelle
pourrait, à elle seule, justifier la disparition de
183 P. JOURDAIN, « Le devoir de se renseigner »,
D., 1983, chron. 139.
184
trib. com. Paris, 28 sept. 2005,
n° 2002/055929.
185 L. no 89-1008 du 31 déc. 1989 relative
au développement des entreprises commerciales et artisanales et à
l'amélioration de leur environnement économique, juridique et
social, JORF, n°1 du 2 janv. 1990.
186 D. MAZEAUD, « Rapport de synthèse Colloque :
La Franchise : questions sensibles », RLDA, 2012, no
73 supplément, p. 58.
187 CA Paris, 1er févr. 2013, no
11/06560.
92
l'interdiction du déséquilibre significatif,
dès lors que les professionnels sont renseignés sur les
conditions de la relation commerciale.
174. Les défenseurs de l'interdiction
du déséquilibre significatif font valoir l'opacité de
certaines informations précontractuelles empêchant les
contractants de faire un choix éclairé. C'est pour cette raison
qu'il est conseillé aux contractants de consulter des experts, avocats
ou juristes, avant de s'engager. Dans le cas de la franchise, une étude
nous montre que 69%188 des franchisés ont consulté au
moins un expert avant de signer le contrat de franchise. Les professionnels
prennent donc le soin de s'informer avant de contracter, respectant ainsi leur
obligation de se renseigner. Un cocontractant bien informé serait mal
avisé d'invoquer ensuite le déséquilibre d'une clause lui
paraissant déséquilibrée.
Tous les professionnels ne s'informent pas de la même
façon, notamment ceux du secteur agricole. N'oublions pas que les
producteurs constituent une des principales cibles que le législateur a
voulu protéger avec la loi LME. Pour Madame Aurélie Charrier,
juriste-conseil au syndicat agricole FDSEA (Fédération
Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles) de l'Oise, « le
problème avec les exploitants agricoles, c'est qu'ils font plutôt
confiance, et ne sollicitent le conseil juridique offert par les syndicats
qu'une fois le litige naissant. Il est donc un peu tard [et c'est] à
nous de développer le réflexe de consultation AVANT
contrat189. » C'est l'une des raisons qui justifient
l'intervention du législateur pour protéger les professionnels
moins avisés ou ceux qui font confiance à leur partenaire
commercial. Mais est-ce réellement le rôle du législateur
que de venir remédier aux omissions ou au refus des professionnels de se
renseigner avant de contracter ?
L'absence de consultation d'un expert n'est pas uniquement due
à l'omission ou au refus des professionnels d'y recourir, mais aussi
à l'impossibilité d'accéder à ce type de services.
Certains professionnels ont accès à un service juridique comme
c'est le cas au sein de certains syndicats agricoles par exemple. Madame
Aurélie Charrier confie que « les adhérents à un
syndicat ont accès au service juridique, si celui-ci en dispose. Au sein
du réseau FDSEA, par exemple, il y a des juristes, mais aussi dans la
plupart des
188 Banque Populaire, Synthèse 2014, Enquête
annuelle de la franchise, p. 6.
189 Cf. Annexe n° 2, question 2.
93
associations spécialisées190. »
Cependant, tous les agriculteurs n'ont pas un accès aux conseils d'un
expert. Madame Géraldine Odoul, producteur associé du GAEC Odoul,
indique qu'elle n'a accès à aucun service de ce type au sein de
la coopérative dont elle fait partie. Elle ajoute qu'elle ne peut
consulter qu'un conseiller du secteur « polyvalent »191.
Ce type de conseil suffit-il à éclairer le choix des
professionnels ?
175. Les obligations d'information et de s'informer devraient
suffire à éclairer le consentement des professionnels qui
acceptent alors en connaissance de cause les éventuels
déséquilibres significatifs du contrat.
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