1- Une amende civile à connotation pénale
139. Lors de la validation constitutionnelle de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce158, la
société requérante alléguait qu'il portait atteinte
à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen (DDHC) relatif au principe de légalité des délits
et des peines. Le Conseil constitutionnel a indiqué que l'action en
demande d'une amende civile devait respecter les exigences de l'article 8 de la
DDHC. Cette décision conduit à assimiler l'amende civile à
une sorte de « peine » du droit pénal. Or, de l'article 8 de
la DDHC découle le principe de la non-rétroactivité de la
loi pénale. Par conséquent, l'action en demande d'amende civile
ne devrait pas s'appliquer aux contrats en cours au moment de l'entrée
en vigueur de la loi LME. Pourtant, plusieurs décisions ont jugé
recevables des actions du ministre de l'Économie visant l'obtention
d'une amende civile pour des relations commerciales nées avant la
promulgation de la loi159. Certains auteurs de la doctrine
espèrent une intervention de la Cour de cassation pour préciser
ce point160.
140. Par ailleurs, puisque l'action civile aboutit au
prononcé d'une peine, les principes de l'action pénale devraient
être respectés, notamment en ce qui concerne le principe
d'égalité des armes issu de l'article 6 § 1 de la CEDH. Les
autorités administratives disposent d'un important pouvoir
d'enquête et peuvent se procurer des preuves très facilement
contrairement à la partie assignée.
141. Notons qu'une décision de la cour d'appel
d'Orléans semble remettre en cause cette assimilation de l'amende civile
aux peines de droit pénal. Selon la cour, l'action du ministre de
l'Économie fondée sur l'article L. 442-6, III du Code de commerce
est « hors de toute référence au code pénal. 161
»
158 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.
159 CA Paris, 22 mai 2013, no 10/19022; CA Versailles,
25 juin 2013, no 11/07513.
160 J.-L. FOURGOUX et L. DJAVADI, « Les clauses
contractuelles à l'épreuve du «déséquilibre
significatif»», CCC, nov. 2013, n°11,
étude 14.
161 CA Orléans, 12 avr. 2012, no 11/02284.
77
2- Un montant élevé mais dérisoire
142. L'article L. 442-6, III du Code de commerce permet aux
autorités administratives citées de demander le prononcé
d'une amende civile d'un montant maximum de 2 millions d'euros ou correspondant
au triple du montant des sommes indument versées par la victime. Comment
le juge fait-il pour fixer le montant d'une amende civile visant à
« réparer » l'atteinte à l'équilibre du
marché ? Quels sont les facteurs qui doivent être pris en compte ?
Le juge pourrait tenir compte du degré de gravité du comportement
de la partie fautive ou bien fixer proportionnellement le montant en fonction
du chiffre d'affaires. Si nous prenons comme exemple le montant des amendes
civiles de trois des enseignes assignées lors de la
célèbre saga « Novelli », nous voyons dans le tableau
ci-dessous162 que le montant de l'amende civile n'est pas
proportionné au chiffre d'affaires de chacune des
sociétés. Nous pouvons supposer que l'amende sera fixée
par rapport à la gravité du comportement du cocontractant
accusé.
Enseigne
|
Amende
|
Chiffre d'affaires en 2013
|
Eurauchan
|
1 000 000 €163
|
519 999 261 €
|
Darty
|
300 000 €164
|
1 989 857 823 €
|
Provera
|
250 000 €165
|
9 440 337 €
|
|
143. Même si le montant des amendes peut sembler
élevé, il est dérisoire par rapport au chiffre d'affaires
de chaque entreprise. Par exemple, l'amende civile prononcée à
l'encontre de Darty représente environ 0,01 % de son chiffre d'affaires
de l'année 2013. Ce faible montant risque de ne pas être assez
dissuasif pour les parties mises en cause et laisse la porte ouverte à
de possibles récidives. Toutefois, avec le récent projet
Macron166, le législateur souhaite établir une
correspondance entre le chiffre d'affaires de l'entreprise
162 Source : Lorena Cortissoz en tenant compte des jugements
rendus par les tribunaux.
163
trib. com. Lille, 7 sept. 2011,
no 2009/05105. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en
cassation.
164
trib.com Bobigny, 29 mai 2012,
no 2009/F0154.
165
trib. com. Meaux, 6 déc. 2011,
no 2009/02295. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en
cassation.
166 Projet de loi pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques n° 473,
texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 févr.
2015.
78
fautive et la sanction. L'article 10 D du projet de loi
propose de remplacer le plafond de deux millions d'euros à 5 % du
chiffre d'affaires de l'auteur des pratiques incriminées
réalisé en France. Si cette modification de l'article L. 442-6,
III est votée, les entreprises seront contraintes de verser un montant
extrêmement important en cas de prononciation d'amende civile. Ce
changement peut s'expliquer soit par la volonté du législateur de
dissuader les partenaires commerciaux d'utiliser des pratiques restrictives de
concurrence, soit par le souhait de faire rentrer de l'argent dans les caisses
de l'État.
144. En attendant que le projet soit voté et en
attendant l'application qui en sera faite par les juges au moment de fixer le
montant de l'amende civile, les sanctions les plus importantes sont
prononcées au profit de la victime.
B. Des actions au bénéfice de la
victime
145. Bien que l'action fût contestée, le
professionnel victime d'un déséquilibre significatif peut se voir
restituer les sommes indument versées du fait du
déséquilibre significatif (1). Il peut aussi
agir en responsabilité (2) afin d'obtenir une
indemnisation du fait du préjudice engendré par le
déséquilibre significatif.
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