CHAPITRE I. LA NÉCÉSSITÉ DE
PROTÉGER L'ÉQUILIBRE
DE LA RELATION COMMERCIALE
22. L'interdiction du
déséquilibre significatif dans les relations commerciales est
l'une des traductions législatives du solidarisme contractuel
(Section 1). Selon les tenants de cette approche, la
prohibition est une solution adaptée à la protection de
l'ensemble des acteurs économiques (Section 2).
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Section 1. L'influence du solidarisme contractuel
23. La théorie du solidarisme contractuel
considère le contrat comme un instrument permettant la protection de
l'équilibre dans les relations commerciales (§1).
Cette théorie, trouvant ses origines au 19e siècle,
aurait inspiré la prohibition du déséquilibre significatif
dans les relations commerciales. L'équilibre du contrat serait atteint
dès lors que les parties en tirent l'intérêt qu'elles
recherchaient au moment de contracter. Pour atteindre cet équilibre, des
moyens (§2) peuvent être utilisés, tel que
l'intervention du juge.
§1. Le contrat comme élément de
régulation du déséquilibre entre les parties
24. La nécessité de l'équilibre
contractuel pourrait trouver son origine dans la théorie du solidarisme
contractuel (A), théorie ancienne mais toujours
d'actualité qui prône les impératifs de bonne foi et de
loyauté indispensables dans une relation contractuelle selon ses
défenseurs. Cette théorie pourrait avoir influencé le
législateur dans l'interdiction du déséquilibre
significatif dans les relations commerciales (B).
A. La quête d'un équilibre
contractuel
25. Le solidarisme contractuel serait la résurgence
récente d'une doctrine ancienne, née entre la fin du
XIXe et le début du XXe siècle sous la
plume de Léon Bourgeois32 et Célestin
Bouglé33. Ces auteurs souhaitaient donner une base «
scientifique »34 au programme radical35. Il
s'agissait de repenser l'organisation sociale et politique à partir de
ce qu'ils établissaient au rang de loi morale indépassable : la
solidarité. Le but était
32 dans un livre Solidarité
publié en 1896, Paris, Armand Collin.
33 dans un livre Le solidarisme publié
en 1907, Paris, V. Giard et E. Brière.
34 P. REMY, « La genèse du solidarisme
», in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum et M. Nicod,
éd. Économica, 2004, p. 5.
35 Selon le dictionnaire Larousse, le radicalisme
en France est un corps de doctrines d'un état d'esprit propre à
ceux qui proposent une politique de réformes qui réaliseraient
pleinement la laïcité, la liberté et
l'égalité.
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donc de proposer une alternative au socialisme, sans toutefois
verser dans le conservatisme. Les auteurs proposaient en somme de
redéfinir le rôle et l'action de l'État au sein d'une
organisation sociale fondée sur un idéal de justice et dans
laquelle la solidarité devait occuper une place centrale.
Léon Bourgeois et Célestin Bouglé
cherchaient à démontrer la nécessité d'une
cohésion sociale dans les relations entre les individus. Le premier
affirmait ainsi : « nous sommes engagés dans des rapports de «
droit et devoir », de dette et de créance, où nos
volontés individuelles [...] nous lient en fait et que nous n'avons pas
le droit de méconnaitre ou d'oublier ». Il existerait donc une
sorte d'obligation à l'égard de la société qui
naitrait lors de chaque rencontre de volontés.
26. Émile Durkheim s'est
également fait le promoteur de la doctrine solidariste en affirmant que
le « contrat est par excellence, l'expression juridique de la
coopération36 ». Selon lui, le contrat entretient un
rapport avec la division du travail puisque « coopérer [...] c'est
se partager une tâche commune37 ». La relation
contractuelle exigerait des parties une coopération nécessaire
à l'atteinte de leur intérêt commun. La doctrine
solidariste a fait des émules et a donné lieu à de
nombreux courants de « solidarisme juridique » qui perdurent encore
aujourd'hui. Au XXIe siècle, des auteurs comme Denis Mazeaud
ou Christophe Jamin continuent de soutenir la théorie du solidarisme
contractuel38. Cette doctrine se distingue par « l'affirmation
selon laquelle il est nécessaire d'ériger en principe du droit
des contrats les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne
foi qui doivent conduire les contractants à collaborer entre
eux39 ». Les travaux contemporains font la promotion d'une
approche sociale du droit encore renforcée par la crise
économique consécutive au premier choc pétrolier et les
autres qui s'ensuivirent.
36 É. DURKHEIM, De la division du
travail social, étude sur l'organisation des
sociétés supérieures. Paris, éd. Felix Alcan,
1893, p. 132.
37 Ibid.
38 Sur ce point, V. Ch. JAMIN, « Plaidoyer
pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN,
LGDJ, 2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité,
fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? »,
Mélanges Fr. TERRÉ, 1999, p. 603.
39 L. GRYNBAUM, « La notion de solidarisme
contractuel », in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum
et M. Nicod,. Économica, 2004, p. 25.
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Pour les auteurs solidaristes, il existe au coeur du
solidarisme contractuel une obligation contractuelle de loyauté, de
coopération et de bonne foi.
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