CHAPITRE II. L'ASPECT DISSUASIF DE L'INTERDICTION
125. Le principal moyen pour faire respecter
l'interdiction du déséquilibre significatif est, comme pour la
plupart des interdictions, le risque de sanction. L'auteur du
déséquilibre s'expose non seulement à une action en
justice (Section 1), mais aussi à une sanction
administrative (Section 2).
Section 1. La menace d'une action en justice
126. Avec la loi NRE de 2001143, le
législateur a doté un certain nombre d'autorités
administratives du pouvoir d'agir en justice en cas de manquement
constatés aux dispositions de l'article L. 442-6. Cette action s'est
révélée difficile à mettre en place
(§1). Ainsi, depuis la loi Hamon de 2014, le
législateur a donné à ces autorités la
possibilité de sanctionner les acteurs économiques en cas de
non-respect d'injonction en cessation des activités contraires aux
dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce
(§2).
§1. Une action en justice des autorités
administratives de mise en oeuvre difficile
127. Le pouvoir d'action en justice octroyé à
certaines autorités administratives a été instauré
par la loi NRE de 2001 dont l'objectif était de contribuer à la
régulation de l'ordre public économique (A).
Cette interdiction, bien que présumée efficace, n'est pas
exemptée de difficultés d'application (B).
143 L. no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux
nouvelles régulations économiques, JORF
n° 113 du 16 mai 2001.
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A. L'instauration d'un pouvoir d'action en justice
administratif
128. La loi NRE fut introduite par le législateur
à des fins de régulation de l'ordre public économique de
direction, traduisant une volonté de régulation et de
normalisation massive des pratiques commerciales. Cette loi a introduit dans
l'article L. 446-2, III, 1° du Code de commerce la possibilité pour
« toute personne justifiant d'un intérêt, le Ministère
public, le ministre chargé de l'Économie ou le président
de l'Autorité de la concurrence, d'introduire une action en justice pour
toute pratique mentionnée à l'article
L. 442-6 du Code de commerce. » Ces autorités ont
la possibilité de demander au juge d'ordonner la cessation des
pratiques, de faire constater la nullité des clauses et de demander la
répétition de l'indu.
Cette possibilité d'agir offerte à une
pluralité de personnes conforte notre thèse de la volonté
des pouvoirs publics de faire cesser le plus grand nombre de pratiques
restrictives de concurrence. En ce qui concerne l'interdiction du
déséquilibre significatif, ce souhait a été
clairement confirmé par Monsieur Frédéric Lefebvre, alors
secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie,
qui - à propos de cet article - annonçait qu'« [il] avait
décidé de donner systématiquement suite aux demandes
d'assignations qui seraient faites par la DGCCRF sur ce
fondement144. » De plus, l'article R. 442 du Code de commerce
indique que lorsque l'action est exercée par le ministre de
l'Économie ou par le président de l'Autorité de la
concurrence, il est dispensé de la représentation d'un «
avocat ». Ceci montre la volonté du législateur de faciliter
l'action en justice de ces autorités.
129. Le pouvoir d'agir des autorités administratives
serait le « fer de lance de la lutte contre les pratiques commerciales
abusives145. » Nous avons affaire à une action semblable
à celle de l'article L. 421-1 du Code de la consommation relatif aux
actions d'associations de consommateurs. Le pouvoir d'assignation des
autorités administratives est « autonome » selon la Cour de
cassation146, elles peuvent agir en justice en l'absence de la
victime au procès. D'après les travaux parlementaires, ce pouvoir
donné aux
144 Fr. LEFÈVRE, « Bilan d'activité 2010 de
la DGCCRF et priorités d'action pour 2011 », Dossier de presse,
p.3.
145 F. BUY, « Le «déséquilibre
significatif» devant la Cour de cassation : enfin des précisions ?
», D., 2015, p. 1021.
146
Cass. com., 16 déc. 2008
no 07-15.589.
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autorités administratives permettrait de ne pas laisser
impunies les mauvaises pratiques puisque les victimes n'osent pas introduire
d'action par crainte de représailles147.
130. Lors d'une question prioritaire de
constitutionnalité visant à établir la validité de
l'article L. 442-6 III du Code de commerce, le Conseil a souligné que
cette action a été créée afin de rétablir un
équilibre dans les rapports entre partenaires commerciaux148.
L'emploi du terme « équilibre » par le Conseil Constitutionnel
nous laisse penser que l'action des autorités administratives vise
très particulièrement la sanction du déséquilibre
significatif dans les relations commerciales, bien que cette action soit aussi
possible pour la sanction des autres pratiques restrictives de concurrence
prévues à l'article L. 442-6 du Code de commerce.
131. Mise à part l'action de la partie supposée
lésée, c'est le ministère de l'Économie qui a
entamé la plupart des actions civiles sur le fondement de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce. À titre d'exemple, en
2013, parmi les décisions rendues en application de l'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce, 31 avaient pour origine une action
des acteurs économiques et 15 celle du ministère de
l'Économie, mais il n'y a pas eu d'actions de la part d'autres
autorités ayant la possibilité d'intervenir149.
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