1- La prise en compte de l'existence ou de l'absence
d'autres clauses
114. Il est possible qu'une clause entraîne un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties du fait de l'existence d'une autre clause. L'association de ces
stipulations dans un même contrat justifie alors leur condamnation.
Prises isolément, ces clauses n'auraient pas été
considérées comme déséquilibrées. À
titre d'exemple, nous pouvons citer un arrêt rendu par la cour d'appel de
Paris131. Il concerne, d'une part, une clause disposant que lorsque
le fournisseur souhaite augmenter ses tarifs en cours de contrat, le
distributeur peut refuser ou revoir les conditions de
référencement des produits du fournisseur. D'autre part, une
seconde clause stipulant que le fournisseur s'engage à répercuter
immédiatement sur son tarif la baisse de prix d'un des
éléments composant son offre tarifaire. C'est parce que les
obligations ne sont pas réciproques que le déséquilibre
est prononcé. En l'absence d'une seule de ces clauses, l'autre n'aurait
pas été considérée comme
déséquilibrée. Le juge tient donc compte de l'ensemble des
obligations incombant à la partie prétendument
lésée. Cette décision nous montre la tendance pour le juge
à considérer l'ensemble du contrat dans la recherche d'un
déséquilibre significatif.
115. Dans le même ordre d'idée, les juges
considèrent que l'absence d'une clause prévoyant une contrepartie
en réponse à une clause imposant une obligation est constitutive
d'un déséquilibre significatif. Le tribunal de commerce de Lille
sanctionne ainsi l'absence de clause constituant une contrepartie
sérieuse à une autre clause. En l'espèce, la
société Castorama exigeait le paiement d'acomptes mensuels sans
que le contrat prévoie de clause de révision de ces acomptes.
Selon le tribunal, « les pratiques de Castorama concernant le paiement
d'acomptes mensuels [...] ne sont pas réciproques ; qu'elles sont sans
contrepartie et nettement défavorables aux fournisseurs ; que leur
ampleur est caractérisée [...] que le déséquilibre
ainsi provoqué en défaveur des fournisseurs est significatif.
» Il estime que les exigences de Castorama plaçaient le fournisseur
dans une situation défavorable puisqu'il devait faire une avance de
trésorerie à la faveur de Castorama sans contrepartie ni avantage
réciproque.
131 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.
116.
66
Dans une décision plus récente132, la
Cour de cassation confirme le raisonnement de la cour d'appel qui avait «
procédé à une analyse globale et concrète du
contrat et apprécié le contexte dans lequel il était
conclu ou proposé à la négociation, et qui n'était
pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre
significatif auquel la société Provera avait soumis ou
tenté de soumettre ses partenaires. » Une nouvelle fois, le juge
analyse la réciprocité dans les obligations des parties.
Était ici en cause l'absence de réciprocité dans les
conditions de révision des tarifs.
Le même jour, la Cour de cassation rendait un autre
arrêt affirmant que les juges du fond doivent apprécier le
contexte dans lequel le contrat est conclu après avoir examiné
les relations commerciales des parties au litige133. Cette approche
contextuelle correspond à une analyse globale du contrat pour
définir le déséquilibre. Non seulement le juge tient
compte de l'existence d'une clause venant contrebalancer les effets d'une
autre, mais il va également apprécier le comportement des
parties.
2- La prise en compte du comportement des
parties
117. Certaines décisions de justice laissent supposer
que le juge prend en compte le comportement des parties pour déterminer
si la clause dénoncée est porteuse ou non d'un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Saisi à propos d'une clause litigieuse, le tribunal de commerce
de Créteil déclarait irrecevable l'action en justice dans la
mesure où le demandeur de l'action, le ministre de l'Économie, ne
faisait pas référence à des contrats précis ou
à des fournisseurs précis, mais à des clauses d'un
contrat-type134. Cette nécessité d'individualiser les
parties et les relations contractuelles traduit la volonté du tribunal
d'évaluer leur comportement dans l'évaluation d'un
éventuel déséquilibre significatif.
118. Rappelons que l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce condamne le fait de « soumettre ou tenter de soumettre
le partenaire commercial à des obligations créant un
déséquilibre significatif entre les parties. » Le verbe
« soumettre » renvoie à un comportement de la partie fautive.
Pour analyser le déséquilibre significatif, il faut donc
132
Cass. com., 3 mars 2015, no
14-10.907.
133
Cass. com., 3 mars 2015, no
13-27.525.
134
trib. com. Créteil, 3. déc.
2011, no 2009/F01018.
67
prendre en compte le comportement des cocontractants. Cette
hypothèse est confirmée par une décision du tribunal de
commerce de Lille dans laquelle le juge estime qu'imposer une modalité
de paiement au fournisseur sans possibilité de négociation
engendre un déséquilibre significatif. C'est bien à l'aune
du comportement de la partie fautive que le déséquilibre
significatif est apprécié.
119. L'incertitude quant à la façon
d'appréhender le déséquilibre significatif provoque une
incertitude quant à la preuve. Le demandeur doit-il prouver le
déséquilibre global ou le déséquilibre d'une clause
?
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