2- La position de la DGCCRF
101. La DGCCRF, comme la CEPC, se reconnaît
compétente pour identifier les situations susceptibles d'entrer dans le
champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce. Elle indique qu'« en tout état de cause, nous
considérons qu'il nous sera possible de mettre en oeuvre cette notion
microéconomique et que les juges pourront sanctionner le
déséquilibre significatif127. » Dans ses rapports
d'information, la DGCCRF fournit de nombreux exemples de situations où
elle estime avoir décelé un déséquilibre
significatif. On y retrouve des clauses imposant au fournisseur des
pénalités excessives, systématiques et
unilatérales, des clauses de retour des produits dégradés
par la clientèle, d'autres imposant des modalités de
règlement abusives et non réciproques, des clauses
prévoyant des modalités asymétriques de révisions
des tarifs, le tout au bénéfice du distributeur, etc.
Si la DGCCRF peut désigner les situations
déséquilibrées, elle n'a pas de pouvoir de sanction en la
matière de déséquilibre et le juge n'est pas lié
par ses interprétations. Toutefois, ces dernières peuvent
être à l'origine d'assignations en justice initiées par le
ministre de l'Économie, nous y reviendrons128.
102. La liste des situations visées par la CEPC et la
DGCCRF est longue et continuera sans doute à s'agrandir en
réduisant chaque fois un peu plus la marge de manoeuvre des partenaires
commerciaux. À défaut de définition du
déséquilibre significatif, ces institutions cernent les
situations concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce. Ces situations sont très variées et il semble
utopique d'arriver à établir une liste exhaustive. Les avis de
ces deux autorités administratives indépendantes sont pris en
compte par les professionnels pour éviter de rentrer dans le champ
d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.
Toutefois, une contradiction persiste dans l'attribution des rôles. La
DGCCRF donne des avis alors même qu'elle dépend du
ministère de l'Économie qui, par le truchement de l'article L.
442-6, III du Code de commerce, peut introduire une action en justice pour
violation des dispositions de l'article
L. 442-6 du Code de commerce où figure l'interdiction du
déséquilibre significatif. C'est
127 F. AMAND, au nom de la DGCCRF, Compte rendu Commission des
affaires économiques, 8 juil. 2009, p. 16.
128 Cf. infra nos 127 s.
60
d'ailleurs la DGCCRF qui introduit les actions en justice au
nom du ministère de l'Économie. La porosité des
frontières révèle une situation de conflit
d'intérêts. Les professionnels et le juge vont se
référer à des avis donnés par une institution
à l'origine des assignations.
B. Les décisions judiciaires
103. La CEPC et la DGCCRF ne sont pas les seules institutions
contribuant à la création d'une liste des situations
déséquilibrées. Par ses décisions, le juge va
également établir indirectement une liste des situations de
déséquilibre significatif. Nous ne pourrons pas étudier
ici l'ensemble des décisions rendu sur le fondement de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce. Nous choisirons seulement quelques
exemples pour essayer de comprendre le raisonnement des juges lorsqu'ils
déclarent qu'une situation est porteuse d'un déséquilibre
significatif.
104. Il est indispensable d'évoquer une des plus
grandes affaires traitées au nom de l'interdiction du
déséquilibre significatif, notamment les assignations «
Novelli », nom du Secrétaire d'État aux PME (petites et
moyennes entreprises). Neuf enseignes furent assignées : Carrefour,
Castorama, Casino, Darty, Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché et
Système U. L'ensemble de ces assignations a fait l'objet d'une
décision en première instance, dont certaines ont
été portées en appel puis en cassation. Le tableau suivant
nous indique les clauses litigieuses considérées comme
constitutives d'un déséquilibre significatif129. Nous
choisirons ensuite quelques-unes de ces clauses afin de comprendre pourquoi
elles ont été déclarées comme créant un
déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des
parties.
129 Mise à jour et modification personnelle des
tableaux de N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations
fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, 2014, p.
52-53.
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Enseigne
|
Décisions de justice
|
Clauses créant un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations
des parties
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Eurauchan
|
-trib. com. Lille, 7 sept. 2011,
no 2009/05105. -CA Paris 11 sept. 2013, no 11/17941.
-Cour de cassation, com, 3 mars 2015, no 13-27-
525.
|
-Clause type prévoyant un taux de service minimum
donnant lieu à l'application de pénalités
dispropor-tionnées.
-Clause relative à la révision des prix du
fournisseur négociés con-tractuellement.
|
Provera
|
-trib. com. Meaux, 6 déc. 2011,
no 2009/02295. -CA Paris, 20 nov. 2013, no 12/04791.
-Cour de cassation, com. 3 mars 2015, no 14-10-
907.
|
-Clause prévoyant la possibilité pour le
distributeur de résilier le contrat en cas de « contre-perfor-mance
» du produit.
-Clause prévoyant un paiement sans contrepartie.
|
Castorama
|
-trib. com. Lille, 6 janv. 2010,
no 2009/05184.
|
-Clause sur le paiement d'acomptes mensuels sans pouvoir
modifier les montants en fonction du chiffre d'affaire atteint.
|
Galec
|
-trib.com. Créteil, 13 déc.
2011, no 2009/F01018. -CA Paris, 18 déc. 2013, no
12/00150.
|
-Clause visant à exclure les CGV du fournisseur.
-Clause imposant de payer en
avance les prestations pour le fournisseur alors que le
délai est plus long pour le distributeur.
-Clauses pénales, puisqu'aucune pénalité
n'était prévue à la charge du distributeur en cas de
manquement à ses obligations.
-Clause relative au retour des produits dégradés
par la clientèle.
|
Darty
|
-trib.com. Bobigny, 29 mai 2012, no
2009/F01541.
|
-Clause prévoyant, en cas de baisse du tarif d'un
produit, l'établisse-ment par le fournisseur d'un avoir au profit du
distributeur correspondant à l'écart entre le
précédent prix
et le nouveau multiplié par le nombre de produits en
stock chez le distributeur.
-Clause permettant d'établir un
avoir sur des produits devenus obsolètes au
bénéfice du distributeur.
|
Carrefour
|
-trib. com. d'Evry, 26 juin 2013,
no 2009/F00729. -CA Paris 1er oct. 2014, no
13/16336.
|
-Clause autorisant l'annulation de la commande et le refus de
la livraison sans payer si la livraison est effectuée après la
date et l'heure convenues entre les parties.
-Clause prévoyant la négociation entre les
parties sur les pénalités dues par Carrefour.
|
62
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-Clause imposant le paiement des services des
coopérations commerciales dans un délai plus court pour les
fournisseurs par rapport au distributeur.
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Casino
|
-trib. com. Meaux, 24 janv. 2012,
n°2009 /02296. -CA Paris, 4 juill. 2013, no
12/07651.
|
-Clause prévoyant le retour des invendus.
-Clause relative aux changements de tarifs uniquement au profit
du distributeur.
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Système U
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-trib.com. Créteil, 13 déc.
2011, no 2009/F01017.
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Action irrecevable
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Intermarché
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-trib. com. d'Évry, 6 févr.
2013, no 2009/F00727.
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Action rejetée
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105. Clause relative au retour des produits
dégradés par la clientèle (CA Paris, 18 déc. 2013,
no 12/00150). La clause incriminée disposait «
dans le cas où le fournisseur proposerait des produits contenant par
exemple des primes ou des offres promotionnelles détachables ou
découpables, il garantit au Galec, aux centrales et aux magasins, qu'il
s'est assuré que le mécanisme les assemblant n'entraînera
pas la destruction par le consommateur de l'emballage et/ou du produit dans les
points de vente. Si tel n'est pas le cas, les frais et coûts liés
à la reprise ou à la destruction de ces produits seront à
la charge du fournisseur. » Ici, le distributeur transférait sur le
fournisseur le risque d'une éventuelle détérioration par
les clients des produits faisant l'objet de prime ou d'offres promotionnelles.
La cour estime que cette clause conduit à un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties puisque pesait sur le
fournisseur une obligation de résultat alors qu'il ne maîtrisait
pas totalement les moyens pour l'exécuter correctement, notamment le
choix de l'emplacement, la mise en rayon du produit ainsi que la surveillance
de la clientèle. De plus, dans cet arrêt, la Cour estime que
« Galec ne [démontrait] pas que ce déséquilibre
aurait été compensé par une obligation ou une contrepartie
pécuniaire. » Nous voyons là l'importance de la contrepartie
lors de l'appréciation du déséquilibre significatif. Si le
défendeur parvient à démontrer que l'exigence de son
cocontractant était compensée par d'autres droits, alors le
déséquilibre ne sera pas caractérisé.
63
106. Clause de retour d'invendus (CA Paris, 4 juill.
2013, no 12/07651). Selon la clause litigieuse, « le
fournisseur [s'engageait] expressément à reprendre, dans son
intégralité, le stock des produits invendus en fin d'exercice
et/ou de période de commercialisation saisonnière. » Cette
stipulation crée un déséquilibre significatif puisque
l'obligation de reprise était dénuée de contrepartie. De
plus, le fournisseur devait payer le coût de la reprise. Comme dans la
décision antérieure, la contrepartie joue ici un rôle
important de justification. En l'espèce, son absence conduit à la
caractérisation du déséquilibre significatif.
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