2- La confusion avec le droit commun
74. L'Avant-projet de réforme du droit
des obligations envisage l'introduction d'un article 1169 du Code civil
permettant au juge de supprimer une clause « qui crée un
déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des
parties. » Nous sommes face à la même interdiction que celle
prévue à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce. Devant ce doublon et dans l'hypothèse où l'Avant-projet
serait adopté, comment ces deux articles vont-ils s'articuler ? Comme
nous l'avons vu précédemment, la qualité de partenaire
commercial visée à l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce est conditionnée à une catégorie
particulière de relations impliquant une « volonté commune
et réciproque d'effectuer des actes ensemble106 ».
Ainsi, specialia generalibus derogant, l'application de
l'éventuel article 1169 du Code civil serait exclue des contrats
conclus
104 D. FERRIER, « Le paradoxe de la nouvelle
réforme des relations commerciales entre professionnels : ni
nécessaire, ni suffisante », JSS, janv. 2014, p. 3.
105 L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative
à la consommation, JORF, n°0065 du 18 mars
2014.
106 CA Nancy, 14 fév. 2013, n°
12/00378.
48
entre partenaires commerciaux107. Mais la
distinction ne sera pourtant pas aisée puisque comme nous l'avons
vu108, le champ d'application ratione personae de l'article
L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce demeure
indéfini, et « un examen concret de la relation et de l'objet du
contrat »109 en chaque espèce sera nécessaire.
L'article à adopter, soit l'éventuel article 1169 du Code civil
ou l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce se fera en
fonction de la situation. Si le projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats est adopté, la question de l'articulation de ces deux
articles devra se poser.
B. Un pouvoir trop important donné au juge
75. En l'absence d'une définition du
déséquilibre significatif, le législateur confie
implicitement au juge la mission d'interprétation et de clarification
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Pour pouvoir trancher les
litiges portés devant lui, le juge devra se livrer à une
interprétation qui peut s'avérer subjective. C'est l'article 4 du
Code civil qui « justifie » l'interprétation des textes faite
par le juge en cas de « silence, obscurité ou insuffisance de la
loi. » Le juge refusant de trancher un litige commettrait sinon un
déni de justice. Ce large pouvoir du juge risque de porter atteinte
à la sécurité juridique. Quoi qu'il en soit, il existera
toujours un garde-fou puisque l'article 12 du Code de procédure civile
obligeant le juge à « trancher le litige conformément aux
règles de droit qui lui sont applicables ».
76. Une des craintes exprimées est de voir le juge
recourir à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce
chaque fois qu'il ne trouve pas un texte plus adéquat sur lequel se
fonder. Cet article deviendrait alors « une bonne à tout
faire110. » Néanmoins, il faut prendre du recul quant
à cette possibilité. En effet, les conditions d'application du
texte sont indiquées dans les avis rendus par la CEPC et la DGCCRF. Le
texte ne peut donc pas
107 SIMON ASSOCIÉS, « Le
déséquilibre significatif, entre droit spécial de la
concurrence et droit commun », Lettres des réseaux,
mars-avr. 2015, p. 8.
108 Cf. supra n° 61.
109 CEPC, avis no 15-01 du 23 févr. 2015.
110 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 44.
49
s'appliquer à n'importe quelle situation, quand bien
même son champ d'application paraît large.
77. De plus, n'oublions pas que les décisions de
justice peuvent faire l'objet de recours et que l'application de la
règle de droit sera examinée avec attention par chaque
juridiction. Il est donc peu probable que le juge abuse de l'utilisation de cet
article. Cette peur d'un pouvoir trop important donné au juge n'est pas
une crainte nouvelle. Elle sera dissipée au fil du temps, surtout si une
définition plus spécifique du déséquilibre
significatif vient à voir le jour.
78. Nous avons vu la naissance et les raisons de la
volonté de protection de l'équilibre dans les relations
commerciales. En droit français, cette volonté s'est traduite par
la mise en place d'un outil d'interdiction du déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Mais pour que le
dispositif soit efficace, il doit pouvoir être mis en pratique
correctement.
50
|