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Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales.

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par Lorena Cortissoz
Paris Dauphine  - Master 2 Droit approfondi de là¢â‚¬â„¢entreprise 2014
  

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B. Un champ d'application ratione materiae indéterminé

62. Le champ d'application ratione materiae de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, interdisant le déséquilibre significatif, n'a pas été défini par le législateur et ce, dans une quête d'exhaustivité de situations pouvant être concernées par l'interdiction (1). A son tour, la jurisprudence continue à élargir ce champ d'application et l'absence de définition de la notion de déséquilibre significatif contribue à son élargissement (2).

1- Une quête d'exhaustivité

63. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdit le déséquilibre significatif entre partenaires commerciaux, mais il n'indique pas précisément le type de relation commerciale visé. Le législateur a recouru à des termes larges afin d'obtenir un périmètre d'application étendu. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirme cette idée puisque d'après elle « c'est précisément sa généralité qui en fait un instrument que l'on espère efficace, puisqu'il permettra d'appréhender tout nouveau comportement qu'une rédaction trop étroite n'aurait pas permis de qualifier87. » Les pouvoirs publics choisissent des termes vastes afin de faire rentrer le plus grand nombre de pratiques possibles dans son champ d'application.

64. La cour d'appel de Douai signale que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce concerne les partenaires commerciaux « sans instaurer la moindre réserve concernant la nature ou la forme des relations commerciales88 ». Le champ d'application de cet article est donc très vaste et, selon un auteur, l'élargissement du champ d'application de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce pourrait conduire à un contrôle « sans limites » des contrats entre professionnels89. Cet élargissement ne doit cependant pas surprendre dans la mesure où le législateur souhaitait encadrer les relations commerciales au sens large pour éviter les abus.

87 DGCCRF, Questions-réponses sur « Les relations industries/commerce », 28 nov. 2008.

88 CA Douai, 13 sept. 2012, no 12/02832.

89 M. CHAGNY, art. préc., I, 196.

65. 42

Lors de l'analyse du terme « partenaire commercial » apparaissant à l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, la cour d'appel de Versailles confirme que l'existence d'un contrat écrit entre les parties n'est pas nécessaire90. Selon la cour, « le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties doit s'apprécier dans la formation et l'exécution des relations contractuelles entre les parties au contrat [...] peu [importe] qu'il n'y ait pas de contrat écrit. » Cette décision vient confirmer cette volonté de couvrir la plus grande variété de pratiques commerciales, ainsi, tout échange de consentement, transposé par écrit ou non, entrera dans le champ d'application de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Une question reste en revanche en suspens : jusqu'où s'étend le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce? Pour un auteur, cette extension est regrettable, car l'article n'a pas vocation à être « l'exutoire de toutes les souffrances économiques91. »

66. Nous savons que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a été principalement conçu pour protéger les fournisseurs de la grande distribution, cependant les juridictions ont rendu des décisions concernant d'autres types de relations mais dans une moindre mesure.

À titre d'exemple, la cour d'appel de Paris a supprimé du règlement intérieur d'un groupement d'intérêt économique (GIE) formé par des radio, une disposition qui prévoyait qu'en cas de sortie du GTE d'une radio adhérente, elle devait continuer à figurer dans le GIE pendant la période de préavis pour les résultats d'audience. En cas de refus de cette contrainte, la radio sortante devait s'acquitter d'une indemnité égale à 30 % de son chiffre d'affaires annuel de publicité nationale92. Pour la Cour d'appel, le montant de l'indemnité en cas de non-respect du règlement était disproportionné et que, plus qu'une indemnité, « il [s'agissait] d'un coût dissuasif » et qualifie la clause comme créatrice d'un déséquilibre significatif. En l'espèce, le juge accepta le déséquilibre significatif alors que le requérant aurait pu se limiter à demander une révision classique de cette clause pénale, comme le permet l'article 1152 du Code civil. Cette décision montre une volonté

90 CA Versailles, 27 oct. 2011, no 10/05259.

91 G. PARLÉANI, « Le devenir du déséquilibre significatif », AJCA, 2014, p. 104.

92 CA Paris, 30 mai 2014, no 11/23178.

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d'augmenter le nombre de situations pouvant être concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

2- Quel déséquilibre ?

67. Une des plus grandes difficultés de l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est la définition du déséquilibre significatif. Elle ne fait l'objet d'aucune définition légale. L'incertitude quant à ses contours inquiète non seulement la doctrine, mais aussi des élus. C'est le cas de Monsieur le député François Brottes qui a demandé au gouvernement de définir clairement la notion de déséquilibre significatif93. Le ministre délégué de l'Économie sociale et solidaire et de la consommation proposait alors de se référer aux avis de la CEPC et de la DGCCRF, ou encore aux décisions de justice afin de déterminer les situations pouvant être considérées comme déséquilibrées. Il est pourtant essentiel d'avoir une définition précise de cette notion pour déterminer quelles situations elle est appelée à régir.

68. La seule définition du déséquilibre significatif a été donnée par le juge. Cependant, elle n'a pas été reprise par le législateur et rien ne nous garantit qu'elle ne fera pas l'objet d'un revirement de jurisprudence. Selon la cour d'appel de Paris94, il s'agit du « fait pour un opérateur économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne. » Il convient de s'attarder sur cette définition. Tout d'abord, la cour d'appel invoque le « fait d'imposer » alors que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait référence à « soumettre » ou « tenter de soumettre ». La cour d'appel ne tient donc pas compte de l'éventuelle « tentative » d'imposer un déséquilibre significatif. Ensuite, la cour évoque l'interdiction « d'imposer », cette interdiction nous fait penser à certaines clauses « imposées » au salarié, telles que les clauses de confidentialité. Si le salarié souhaite être recruté, il doit accepter certaines clauses impératives dans le contrat. Dans un contrat entre professionnels, cette « imposition » est interdite. Nous ne sommes pas dans le même type de relation. C'est pourquoi, il convient de rappeler les critiques qui ont été faites à propos de l'assimilation du professionnel au consommateur, les deux se trouvant dans une situation différente, c'est aussi le cas du salarié. La cour d'appel fait

93 F. BROTTES, question écrite au ministre délégué de l'Economie sociale et solidaire, no 29378.

94 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

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également référence à l'interdiction de « recevoir une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne. » La cour d'appel ne tient pas compte ici du fait que la contrepartie de l'autre partie n'est pas forcément de même nature95. Comment savoir si une contrepartie est disproportionnée alors que chaque obligation est différente ?

Les doutes quant à cette définition donnée par la cour d'appel de Paris nous indiquent que cette définition n'est pas réellement adaptée au dispositif interdisant le déséquilibre significatif. Une définition claire et précise devrait être donnée par le législateur afin de faciliter l'application de cette disposition.

69. Il serait judicieux de s'interroger sur cette volonté du législateur de ne pas donner de définition exacte du déséquilibre significatif. Comme nous l'avons vu, plusieurs modifications de l'article L. 442-6 du Code de commerce se sont succédées avant d'arriver à son actuelle formulation96. Malgré cela, le législateur ne parvient pas à donner une définition claire du déséquilibre significatif. La mise en oeuvre d'une notion « fourre-tout » ne révèle-t-elle pas l'impuissance des pouvoirs publics à protéger efficacement les professionnels d'éventuels abus ? Comme le souligne Monsieur le Député François Brottes, est-il utile d'avoir une telle marge d'incertitude pour une notion ayant un champ d'application aussi large97 ? Enfin, l'imprécision de ce texte explique sans doute son impopularité auprès des justiciables. Un auteur le considère même comme « un outil fourre-tout, une machine à chasser l'abus, une «bonne à tout faire» du droit des pratiques restrictives98. »

95 M. CHAGNY, « Quel droit français et européen de la distribution ? Approche prospective », RLDA, supplément au n° 83, juin 2013, p. 58.

96 Cf. supra n° 4.

97 F. BROTTES, question préc.

98 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels : l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir «une machine à hacher le droit» ? », RLC, 2010/23, p. 44.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe