2. L'impact sur la flexibilité :
Avec le concept de la société de l'information,
on voit émerger les débats autour de la flexibilité de
l'organisation et de la nouvelle génération des technologies de
l'information et de la communication (TIC).
Les questions portent sur le rapport entre le changement
technologique et le changement organisationnel, mais également sur la
flexibilité organisationnelle qui constitue un facteur important de la
transformation du travail. Ce concept n'est pas nouveau, puisqu'il a
été traité par de nombreux auteurs tels que le sociologue
Daniel Bell ou par le futurologue Alvin Toffler qui caractérisent
respectivement cette société comme étant le prolongement
logique de l'économie post-industrielle ou comme une transition à
la « société industrielle ».
Pour Christopher Freeman et Luc Soete, cette transition
représente un changement de paradigme technico-économique qui
caractérise la passage d'une technologie fondée principalement
sur les intrants d'énergie à bon marché à une autre
fondée sur les intrants d'information peu coûteux.
Cette transition entre les deux paradigmes
technico-économiques ne peut s'effectuer que sous l'effet de convergence
entre les changements technologiques et le climat social et institutionnel
où la dynamique de l'innovation joue un rôle essentiel. Dans une
logique schumpétérienne de création-destruction d'emplois,
les TIC, en introduisant des rationalisations et des restructurations dans
l'industrie, mais également une diversification et une personnalisation
des services, conduisent à l'instauration d'une période
d'adaptation et de transition pour ces nouveaux emplois, à la
précarité et à l'insécurité par certaines
formes de flexibilité des salaires et des contrats.
a. Flexibilité dans les modes d'organisation
:
Les nouveaux modes d'organisation, souvent
caractérisés par le concept de flexibilité et
désignés par le modèle postfordien, se distinguent du
modèle taylorien, défini par une division verticale et
horizontale des tâches, et du modèle fordien, basé sur le
taylorisme avec un mode d'organisation et de régulation de
l'économie. Ces deux modèles taylorien et fordien ont
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marqué les économies occidentales pendant une
période allant des années 20 aux années 70. Face à
la mondialisation, à la concurrence accrue et au dynamisme des
marchés, aux cycles d'innovations technologiques plus courts et à
l'émergence des TIC, ces anciens modèles ne sont plus
adaptés afin de répondre aux variations rapides de la demande,
aux besoins de diversité et de qualité. Le modèle
postfordien est construit en prenant systématiquement le contre-pied des
principes du fordisme2 selon Boyer et Durand.
Toutefois, la transition de l'entreprise fordienne à
l'entreprise postfordienne suscite bien des polémiques. En effet, selon
certains, le modèle postfordien ne tient pas compte des
différences nationales ni des spécificités culturelles
dans les systèmes de production. Les nouvelles formes d'organisation ne
sont pas moins tayloriennes et conduisent parfois à une intensification
du taylorisme à travers des tâches répétitives, de
la codification des services et de l'industrialisation des services. Par
ailleurs, le modèle postfordien est dominé par l'industrie lourde
et ne tient compte que peu de cas de la spécificité du secteur
des services dans lequel la relation avec la clientèle est tout aussi
importante que la logique productive.
Dans la notion de flexibilité organisationnelle, on
retrouve également les concepts de « spécialisation flexible
» ou encore d'« entreprise réseau ». Ce que l'on
recherche dans la spécialisation flexible, c'est une exigence accrue de
qualification, de personnalisation, de flexibilité et d'efficience dans
les pratiques de travail. Les expressions décrivant ces
différentes formes de spécialisation flexible par Piore et Sabel1
sont telles que conglomérats régionaux ou districts industriels,
ou groupements d'entreprises ou encore firmes « solaires ».
Très souvent, ce sont des petites unités de production gravitant
autour d'une entreprise centrale. La firme Benetton dans les années 80
en est l'illustration parfaite conjuguant les forces d'une
spécialisation flexible et l'usage des TIC et des réseaux. En
matière de changement organisationnel, le concept « entreprise
réseau » est caractérisé par la réduction de
taille des grandes entreprises, à l'externalisation de certaines
fonctions et activités, à la décentralisation et à
l'accroissement des activités indépendantes. L'entreprise est
constituée d'un ensemble d'unités de production de biens ou de
services. Pour certains auteurs tels que Charles Handy2 ou Denis Ettighoffer3,
les organisations dans le futur passent de l' «entreprise
réseau» à l' «entreprise virtuelle». Cette
dernière s'apparente plutôt à une « boîte de
contrats » à géométrie variable. L'entreprise n'a pas
de localisation ni du personnel propre avec très peu d'actifs
matériels dans laquelle les relations entre employeur et employé
sont basées sur la confiance et la coopération. Ainsi,
l'éphémère du travail dans cette forme de
flexibilité apparaît sous forme
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de collaborateurs indépendants ou de salariés
sous contrat « à la tâche ». Ce que l'on retient du
changement organisationnel, c'est que c'est un phénomène
évolutif. Les entreprises n'appartiennent pas d'office à une
catégorie d'entreprise flexible, elles évoluent au contraire dans
le temps et de façon continue. Ce changement s'effectue dans
l'accroissement de la flexibilité du travail et porte l'empreinte des
TIC.
b. Les dimensions du travail et leur flexibilité
:
On distingue cinq dimensions clés du travail et de la
relation de travail : le temps de travail flexible, les contrats de travail
flexibles, la localisation flexible du travail, les liens de subordination
flexibles et la flexibilité fonctionnelle Dans chacune de ces dimensions
du travail, les TIC peuvent accroître leur flexibilité, surtout
lorsque cela concerne la localisation du travail. La plupart des études
empiriques sur la flexibilité du travail sont centrées sur les
aspects concernant la flexibilité du temps de travail et des contrats de
travail, la flexibilité liée à la localisation ou à
la rémunération.
En général, cette flexibilité du travail
se fait au désavantage des travailleurs, car avec ces modèles
flexibles, les employeurs transfèrent une partie du risque
entrepreneurial sur les travailleurs. Selon Beck, cette taylorisation des
relations du travail n'est plus située dans un rapport homme/machine
mais dans les aspects contractuels et temporels de la relation de travail.
Selon Manuel Castells, on assiste, à travers les processus de
restructuration, une transformation de la relation de pouvoir entre le capital
et le travail, en faveur du capital. Les TIC permettent aux entreprises
d'obtenir des concessions sur le travail à travers le recours à
l'externalisation et à la sous-traitance. Enfin, le développement
des diverses formes de flexibilité du travail dépend de
l'environnement culturel et réglementaire propre à chaque pays et
on observe que la main d'oeuvre masculine est centrale, alors que la main
d'oeuvre féminine est plutôt périphérique. En dehors
des caractéristiques liées au sexe, il existe une dualisation du
marché du travail qui, avec la restructuration des entreprises
associée à l'usage des TIC, conduira selon Charles Handy1 au
développement d'un marché du travail « central » deux
fois plus petit que le marché « périphérique
».
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