De la constitutionnalité de l'ordonnance n?° 15/081 du 29 octobre 2015 portant nomination des commissaires spéciaux et commissaires spéciaux adjoints en droit positif congolais.( Télécharger le fichier original )par Fred MUTOMBO MUBABINGE Université de Kinshasa - DIPLÔME Dà¢â‚¬â„¢ÉTAT (BACCALAURÉAT) 2016 |
CONCLUSION GENERALELa confrontation progressive de ces deux hypothèses tout au long de cette étude, a démontré que les circonstances exceptionnelles constatées par la Cour Constitutionnelle, l'ordre donné par elle au Gouvernement de prendre des mesures exceptionnelles et transitoires pour assurer la sécurité et la continuité de l'Etat ne suffisent à justifier la nomination des Commissaires spéciaux à la tête de nouvelles provinces pour la simple raison que l'impasse dans laquelle s'est trouvée la CENI par rapport à l'organisation de l'élection des Gouverneurs et Vice-gouverneurs n'a pas constitué un cas de force majeure selon notre entendement ; parce qu'elle pouvait être surmontée par deux moyens constitutionnellement valides : - Primo, l'on pouvait purement et simplement réviser la loi de programmation n° 15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités d'installation de nouvelles provinces, notamment en son article 10, pour proroger le délai butoir de cent vingt jours. - Secundo, faire application du principe de la continuité de l'Etat et des services publics en maintenant les anciennes provinces dans leur configuration et en renonçant momentanément au démembrement des Assemblées provinciales des anciennes provinces. C'est dire, maintenir les anciens Gouverneurs en place ainsi que les anciennes Assemblées provinciales, et cela de manière provisoire jusqu'à ce que tout soit mis en ordre et enfin, accélérer l'installation des bureaux définitifs des Assemblées provinciales de nouvelles provinces. En la matière, l'on pouvait s'inspirer de la jurisprudence déduite du dépassement du délai moratoire de trente-six mois prévu à l'article 226 de la Constitution, pour l'installation desdites provinces. En outre, il nous revient à constater que l'arrêt de la Cour Constitutionnelle a également fait l'objet d'une mauvaise interprétation par l'exécutif central, car, les mesures transitoires exceptionnelles et urgentes décrétées dans ledit arrêt ne signifient nullement la nomination des Commissaires spéciaux à la tête de nouvelles provinces. Ains, nous n'arrivons pas à comprendre comment le Gouvernement est arrivé à sortir de son contexte de trésorerie, l'ordonnance nommant les Commissaires spéciaux et de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle, de prendre des mesures exceptionnelles d'ordre politique qui violent gravement la Constitution de la République. Bref, l'ordonnance sous examen est non seulement au regard du droit positif congolais, mais également au regard de la forme de l'Etat organisée par le constituant de 2006, inconstitutionnelle. Et sa prise a, à cet effet, donné lieu à plusieurs incidents ou conséquences néfastes, dont nous pouvons énumérer quelques-uns et démontrer en quoi elle est inconstitutionnelle. Ø L'acte de nomination des commissaires spéciaux est inconstitutionnel, par ce qu'il nomme des commissaires spéciaux et leurs adjoints, au lieu d'organiser l'élection des Gouverneurs et vice-gouverneurs : Il désigne des animateurs des provinces sous une appellation qui n'existe pas sous le régime constitutionnel en vigueur. Au fait, la Constitution consacre l'appellation des animateurs des provinces aux fonctions et titres de « Gouverneurs et Vice-gouverneurs », le mode de désignation est l'élection au suffrage universel indirect, les nombres des termes et délai des mandats sont déterminés, comme l'exige l'article 198, alinéa deuxième. Sans pour autant réviser la Constitution, l'acte incriminé annule le principe du suffrage universel indirect consacré au quatrième alinéa de l'article 5 sus évoqué qui dispose que « le suffrage est universel, égal et secret. Il est direct ou indirect ». D'ailleurs, ce principe est interdit de révision, sous l'article 220.En plus, le deuxième alinéa dudit article 220 interdit toute initiative tendant d'en vider la substance ou à réduire les droits et libertés de la personne garantis par la Constitution. En somme, l'acte incriminé est inconstitutionnel, car il a pour conséquence de réduire les droits fondamentaux des citoyens de participer à la gestion de la chose publique à travers leurs élus, en violation de l'article 5 de la Constitution qui reconnait que : « La souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l'exerce directement par voie de référendum ou d'élections et indirectement par ses représentants [...] Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ». Ø La nomination des commissaires spéciaux consacre la rupture entre les exécutifs provinciaux et les organes délibérants que sont les assemblées provinciales. La formation des gouvernements provinciaux doit être conforme à l'alinéa troisième de l'article 198 de la Constitution qui dispose que « les ministres provinciaux sont désignés par le Gouverneur au sein ou en dehors de l'Assemblée provinciale ». En donnant primauté de nommer des ministres, au sein des assemblées provinciales, le législateur tient compte de la participation indirecte des citoyens qui ont élu les membres des assemblées. Ce même principe de participation politique, par suffrage universel indirect, veut que si l'élu des élus provinciaux estime nécessaire, il peut choisir les membres de son Gouvernement en dehors de l'Assemblée provinciale. Ledit article 198 de la Constitution consacre la responsabilité de contrôler les exécutifs provinciaux par les assemblées provinciales, en exigeant que : « Avant d'entrer en fonction, le Gouverneur présente à l'Assemblée provinciale le programme de son Gouvernement. Lorsque ce programme est approuvé à la majorité absolue des membres qui composent l'Assemblée provinciale, celle-ci investit les ministres. Les membres du Gouvernement provincial peuvent être, collectivement ou individuellement, relevés de leurs fonctions par le vote d'une motion de censure ou de défiance de l'Assemblée provinciale ». Ø Le législateur congolais veut que le responsable de l'exécutif provincial, intérimaire soit-il, rende compte aux élus du peuple en province : La loi veut ce qui suit : le Gouvernement provincial répond aux demandes d'information de l'Assemblée provinciale par le biais des questions au Gouvernement, l'interpellation, l'audition et la Commission d'enquête (arts. 39 et 69 de la loi n° 08/12 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces) ; la nécessaire autorisation préalable et l'approbation obligatoire de l'Assemblée provinciale pour certains actes (art. 40 de la même loi) tels que : émission d'emprunts et signature d'accords de prêt ; création, participation et cession d'actifs dans les entreprises ; les actes de disposition du domaine privé de la province ; conclusion d'Accords de coopération avec les provinces limitrophes des pays voisins ; le plan d'aménagement de la province et les Accords de coopération interprovinciale.502(*) Or, dans le cadre de cette ordonnance et du régime voulu par elle, cela n'est pas possible, parce qu'ils ne sont pas élus par les élus du peuple mais plutôt nommés par le Chef de l'exécutif central, d'où, il serait impossible qu'ils répondent de leurs actes devant eux. Ø L'Acte analysé met en difficulté le fonctionnement la Conférence des Gouverneurs, sans violer l'article 200. Il sera impossible, sans violer la Constitution, de tenir la Conférence des Gouverneurs, en respectant l'énumération exhaustive, des personnes ayant cette prérogative, de l'article 200 alinéa 3. « La Conférence des Gouverneurs de province est composée, outre les Gouverneurs de province, du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l'intérieur. Tout autre membre du Gouvernement peut y être invité ». Ø L'Acte prend « des mesures exceptionnelles et transitoires », sans tenir compte des conditions de mise en oeuvre. La nomination des commissaires spéciaux est faite d'autorité, par le Gouvernement, contrairement à l'esprit de l'article 85 de la Constitution qui exige que : « Lorsque des circonstances graves provoquent l'interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l'état d'urgence ou l'état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Et, en informe la nation par un message ». De ce qui précède, il en sort de toutes les conséquences précitées, une toute dernière qualifiée de fâcheux en ce que. Premièrement, au regard de l'inconstitutionnalité qui se dégage de toute analyse objective de l'ordonnance mise en cause ; se référant au deuxième alinéa de l'article 168 de la Constitution qui considère nul de plein droit «tout acte déclaré non conforme à la Constitution » ; les citoyens peuvent exercer leur droit de s'abstenir d'exécuter des instructions émanant des autorités qui n'ont pas de compétences attribuées par la Constitution, car issues d'un mécanisme de désignation réputé inconstitutionnel. En effet, l'article 28 de la Constitution qui dispose que « Nul n'est tenu d'exécuter un ordre manifestement illégal. Tout individu, tout agent de l'Etat est délié du devoir d'obéissance, lorsque l'ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits de l'Homme et des libertés publiques et des bonnes moeurs. [...] » Ensuite, les citoyens peuvent choisir d'agir en se référant au premier alinéa de l'article 64 qui donne le devoir à« tout Congolais de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui [...] exerce le pouvoir en violation des dispositions de la présente Constitution ». * 50 IBRAHIMA NIANE, « Les relations institutionnelles », La consolidation du cadre démocratique en République Démocratique du Congo. Modules de renforcement des capacités à l'intention des institutions parlementaires. Programme des Nations unies pour le Développement, Gouvernance politique, p. 232. |
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