3.5.2. Modèles socio-culturels alimentaires
Selon Poulain151, il
rêgne, actuellement, une cacophonie diététique qui exacerbe
l'anxiété du mangeur. Il considère que la multiplication
des discours sur l'alimentation et leurs dimensions contradictoires dans la
société française, se rapprochent de la situation
constatée dans la société nord-américaine :
discours diététique, discours moraux, discours
identitaires... L'affaiblissement des contraintes sociales,
parallèlement à la montée de l'individualisme et à
une industrialisation de
Alexia Charreton Monnet 2013
la production, de la transformation et de la commercialisation
(processus favorisant une rupture entre l'homme et ses aliments) favorise toute
une série de transformation des pratiques alimentaires :
déstructuration des rythmes alimentaires, grignotage... et est
considérée comme une source d'anxiété
supplémentaire. En observant un allègement des contraintes
sociales, Poulain rejoint le concept de
Fischler194 de gastro-anomie
qui considère que l'espace décisionnel
alimentaire se serait développé en même temps que le
mangeur aurait perdu la sécurité qu'apporte un système
normatif socialement défini. Et c'est dans cette brèche que
prolifèreraient les pressions de la publicité et injonctions
hygiénistes, identitaires, hédonistes, esthétiques,
diététiques... Corbeau195
considère que cette anomie écarte l'acteur de la
reproduction des normes coutumières, et favorise, une
créativité collective ou individuelle.
Les injonctions diététiquement correctes,
n'auraient pas le même impact en fonction de la classe sociale
d'appartenance de l'individu. En effet, dans le prolongement des travaux de
Bourdieu, Régnier et Masullo
(2009)196, relèvent une réponse
très différénte des femmes aux messages
sanitaires. Ainsi les femmes de classes aisées intégrent les
normes pronées en matière d'alimentation et de contrôle du
poids, elles attestent de leur bonne compréhension, d'une mise en
pratique aisée et d'une forte aptitude à se les approprier au
terme d'une expérimentation réussie. Au sein de cette
catégorie, des distinctions sont visibles en fonction de la
problématique liée à un excès de poids.
Les femmes ayant connu cette problématique témoignent d'un souci
d'allier la cuisine à la diététique et de toujours
maîtriser les plaisirs culinaires dans un souci de santé et
minceur. Tandis que les autres mentionnent la recherche d'un équilibre
uniquement pour la santé ou se détachent des normes et
témoignent d'une approche plus
gastronomique que les autres.
Les femmes de catégories intermédiaires font
preuve d'une grande conformation aux normes et prennent moins de
libertés que les femmes des catégories aisées. Elles ont
une forte tendance à caractériser les aliments comme
«bons» ou «mauvais». Mais tout en adhérant à
la norme, ces femmes sont conscientes de la distance entre ces normes
nutritionnelles et les pratiques, créant un sentiment de
forte culpabilité.
Les catégories modestes et populaires mentionnent
également de bonnes connaissances des recommandations nutritionnelles
mais expriment à leur égard une distance. Elles affichent
également une position critique face aux
institutions chargées de les diffuser. Certaines
témoignent d'une forte culpabilité de ne pas être conformes
à la norme.
Quant aux femmes précarisées, elles ne
mentionnent pas de connaissances en matière d'alimentation et de
corpulence, de même, n'évoquent pas leurs propres
préférences alimentaires, mais leurs obligations en
matière d'approvisionnement, de préparation des repas et surtout
un profond soucis de se conformer aux goûts des enfants, ce qui constitue
une façon d'attenuer les
difficultés quotidiennes et de limiter le
gachis.
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