B - L'épouse : des droits et des devoirs
spécifiques
L'épouse bénéficie de plusieurs droits comme
la dot et la nafaka. Mais elle est liée aussi par des devoirs
comme l'habitation au domicile conjugal, l'obéissance du mari et
notamment, le devoir de fidélité.
Certes, la fidélité découle du
mariage163. Le rattachement de la fidélité au mariage
semble échapper à toute application pratique pour l'homme
à cause de la polygamie164. Monsieur FERKH trouve que la
législation musulmane n'a voulu faire de la fidélité une
obligation pour l'homme marié. Il doit simplement éviter les
femmes débauchées ou courtisanes. D'autres auteurs trouvent que
le mari n'est pas tenu du devoir de fidélité165.
À l'inverse, la fidélité de l'épouse
vis-à-vis de son mari est absolue. Les conséquences de
l'infidélité de la femme sont
désastreuses166.
En droit français, l'article 212 du Code civil indique que
le devoir de fidélité est un devoir mutuel pour les époux.
On a toujours l'idée d'identité de droits et de devoirs en droit
français.
En ce qui concerne le droit musulman, il faut remarquer que les
droits et les devoirs cités ici ne sont que des exemples des droits et
des devoirs spécifiques pour
162 P. MALAURIE et H. FULCHIRON, La famille, op. cit. P.
663, s
163 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en
droit musulman et sa pluralité en droit français, op.
cit. P.77
164 ibid.
165 L.MILLIOT et F. P. BLANC, Introduction à
l'étude du droit musulman, op. cit., P.339
166 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en
droit musulman et sa pluralité en droit français,
op.
cit.
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chaque époux. La citation de ces exemples ici a pour objet
de montrer la divergence entre les droits et les devoirs réciproques de
chaque époux. Ces droits et devoirs sont très larges et pourront
même faire l'objet d'un sujet indépendant.
Quant au droit international privé français, les
juges français, pour reconnaître la répudiation, devront
aussi prendre en compte l'idée de puissance maritale qui existe dans les
sociétés orientales en général.
§ 2 - Une puissance maritale originale
La puissance maritale, selon Monsieur FERKH est
la situation dans laquelle la femme est sous la dépendance de son mari
ou que les femmes sont soumises à leur mari comme à un
maître. Cette puissance maritale existait dans l'ancien droit
français167. En droit musulman classique,
Monsieur FERKH trouve que c'est « un monopole marital ».
Effectivement, il dit : « Le principe du monopole marital a un sens
particulier en droit musulman. Il implique spécialement une
autorité sur la personne de la femme. En ce sens, le monopole n'est pas
commandé, dans la théorie musulmane, par la
nécessité de l'unité de direction qu'exige tout groupe ou
tout foyer, mais bien par la supériorité des hommes sur les
femmes dans tous les domaines »168. Puis, il ajoute :
« Dans la théorie de droit classique, les légistes
musulmans tirent toutes les conséquences possibles du principe de la
supériorité masculine ; pour eux, l'autorité du mari
comporte, non seulement le pouvoir de fixer le domicile conjugal et de prendre
les décisions concernant le ménage, mais elle s'étend
à la personne physique de la femme, sans que l'on puisse vraiment
dessiner les limites de cette autorité, et sans que l'épouse soit
en position de se plaindre des abus commis par son mari »169.
Il est sans doute clair que la position de Monsieur FERKH est trop
exagérée. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque
préislamique, la situation de la femme était très
difficile. Avant l'Islam, lors du décès du mari, la femme passait
à son héritier le plus proche, lequel avait le droit de la
prendre pour épouse ou de la marier à quelqu'un
d'autre170.
167 ibid., P. 67
168 ibid., P.68
169 ibid.
170 L.MILLIOT et F.P. BLANC, Introduction à
l'étude du droit musulman, op. cit., P.317
84
Actuellement, la personnalité juridique de la femme est
distincte est indépendante de celle de son mari. L'épouse garde
son nom ( et pas celui de son mari ), le mariage ne la frappe pas
d'incapacité. Elle a un patrimoine propre. Certains auteurs affirment
que le mariage musulman n'emporte entre les conjoints aucune communauté
de biens, même meubles171. En outre, la femme conserve la
gestion de son patrimoine, même pendant le mariage ; ce qui signifie que
le mariage ne lui rend pas incapable. Si la femme était en tutelle avant
le mariage, c'est le tuteur, et non le mari qui gèrera son patrimoine
pendant le mariage.
En comparant cette situation avec la position du droit
français actuel, on trouve que pour les pays de tradition musulmane, il
appartient au mari de fixer le domicile conjugal, de préparer, et
d'appeler la femme à le rejoindre. Cette situation implique que la femme
doit rejoindre son mari172. En revanche, l'article 215 du Code civil
français dispose dans son 2e alinéa que : «
la résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun
accord », ce qui signifie qu'en droit français, un accord est
nécessaire. La puissance maritale se concrétise en droit musulman
par le contrôle exercé par le mari des sorties de sa femme, ce qui
signifie que le mari pourrait interdire de sortir sans sa permission il
pourrait aussi ( selon Monsieur FERKH ) « lui interdire de recevoir
chez elle des gens qui ne lui sont pas apparentés
»173.
En comparant le droit français avec le droit des
États de tradition musulmane, Monsieur Hassan FERKH trouve que pour les
Français ( à l'époque où la tradition catholique
était dominante en France ) « vu l'impossibilité du
divorce et du remariage ... La puissance maritale est sans doute mal
supportée par les femmes, mais ni le contexte religieux de
l'époque, ni la situation matérielle ne permettent à ces
dernières de sortir du mariage »174. En revanche,
la situation des époux musulmans est très différente car
Monsieur FERKH considère que la répudiation ou la dissolution du
mariage en général, allège beaucoup l'intensité des
conflits conjugaux175. Malgré cela, le même
171 ibid.
172 H. FERKH, L'unicité de la notion de famille en
droit musulman et sa pluralité en droit français,
op.
cit. P.68
173 ibid.
174 ibid., P. 79
175 V. ibid.
85
auteur trouve que la situation de la femme française est
plus favorable que la femme musulmane car selon lui, « le droit
canonique n'a jamais mis l'accent sur l'enfermement et la claustration des
femmes dans les foyers »176. On voit ici que le principe
d'indissolubilité du mariage, influencé par la tradition
catholique, a rencontré des difficultés dans sa mise en oeuvre.
Ce principe n'est plus respecté en droit français. En revanche,
la législation des Catholiques égyptiens respecte toujours ce
principe. On voit bien donc que la puissance maritale existe dans les
sociétés arabes, mais elle existait aussi dans l'ancien droit
français.
En effet, à partir du XIIIe siècle, la
France ( pays de coutumes et pays de droit écrit ) connaissait une
puissance maritale assez forte177. Pendant cette période, le
mari était, en droit français, le chef de la maison et il devait
agir en conséquence, sans l'intervention de quiconque. En outre,
l'obéissance de la femme à son mari impliquait un droit de
correction178. Même pendant la période du
Christianisme, la puissance maritale a toujours existé. Selon
l'Église catholique, le mari est considéré comme le chef
de la famille et l'épouse doit l'obéir179.
Effectivement, il n'est pas étonnant que l'Église catholique
consacre l'idée de la puissance maritale en France. On pourrait
justifier sa position par des versets de la Bible relatifs à
l'organisation de la famille et à la puissance
maritale180.
Heureusement, on voit ici que, dans l'histoire du droit
français et du droit égyptien, il existe un point où les
deux droits étaient d'accord sur la puissance maritale qui est
actuellement très contestée. Mais malheureusement, cette
cohérence et cette coordination n'existe plus actuellement. Il ne faut
pas donc oublier que le droit français avait un jour, la même
conception d'égalité que le droit égyptien.
Présentement, la seule différence qui existe entre les deux
droits est que le droit français ait subi plusieurs réformes pour
arriver à la conception actuelle du principe d'égalité.
Effectivement, en droit français actuel, la notion
d'identité de droits et de devoirs est bien établie. Les textes
du Code civil le montrent très bien. Par exemple, l'article 212
176 ibid.
177 ibid., P. 67
178 ibid.
179 Pour plus de détails sur la puissance maritale dans
l'ancien droit français, V. H. FERKH, ibid., P.66,
s
180 Par exemple : V. dans la Bible, (
Éphésiens 5, 23 ), et ( 1Timothée 2, 12 et 13 )
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dispose que « Les époux se doivent
mutuellement respect, fidélité, secours,
assistance. » ; l'article 213 dispose que :
« Les époux assurent ensemble la direction morale et
matérielle de la famille. » ; de même l'alinéa 2
de l'article 215 dispose que : « La résidence de la famille est
au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord. ».
Les États arabes n'ont pas suivi le même rythme
que celui du droit français181. En revanche, certains
États arabes ont pu atteindre le rythme français comme la Tunisie
et le Maroc, sachant que le dernier a essayé d'établir une
nouvelle conception de l'égalité tout en gardant la
répudiation. En ce qui concerne l'Égypte, la conception de
l'égalité n'a pas beaucoup évolué. En revanche, une
réforme a été mise en place en 2000 pour ouvrir à
la femme une nouvelle voie de divorce, tout en gardant la même conception
d'égalité.
On voit donc que l'harmonisation entre le droit français
et égyptien qui existait à l'époque de l'ancien droit
français n'existe plus maintenant. Pour rétablir cette harmonie,
il faut qu'il y ait des réformes. Chacun des États a sa
méthode pour réformer. Cette méthode peut changer selon
les circonstances politiques, sociales et religieuses de chaque pays. Le droit
égyptien a voulu rétablir l'égalité entre
époux en ajoutant des cas de divorce nouveaux. La répudiation n'a
pas été supprimée ; voyons même l'expérience
marocaine. La nouvelle réforme marocaine n'a pas pu supprimer la
répudiation. La solution proposée par le droit égyptien
est d'attribuer à la femme un droit qui ressemble à la
répudiation pour arriver enfin à une équivalence ou un
équilibre entre les droits et les devoirs accordés à
chacun des époux.
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