B - Une position très déterminante de
l'Église
Puisque le Pape Chenouda III, Pape d'Alexandrie et Patriarche de
la prédication de saint Marc, estime que cette collection,
établie par des personnes influencées par la pensée
laïque, violent l'Évangile, il refuse de reconnaître les
divorces prononcés par les tribunaux en vertu de cette collection. En
outre, deux décrets papaux ont été mis en place par le
Pape :
- Le premier décret papal est le décret n° 7
du 18 novembre 1971. C'est un décret par lequel l'Église ne
reconnaît pas le divorce sauf pour l'adultère. Pour les autres cas
de divorce, le mariage existe toujours. En d'autres termes, le pape Chenouda
III a interdit au Conseil clérical de permettre le remariage des Coptes
orthodoxes divorcés par les tribunaux égyptiens pour une autre
raison que l'adultère.
- Le second décret papal a interdit le mariage de
l'époux divorcé. Pour comprendre ce décret il faut
distinguer entre deux situations :
- Si le divorce est prononcé à cause de
l'adultère, l'époux qui l'a commis ne peut pas se remarier. C'est
une personne à laquelle l'Église ne fait pas confiance pour
créer une famille. En revanche, l'époux innocent peut se
remarier.
- Si le divorce est prononcé pour une autre raison que
l'adultère, chacun des époux ne peut pas se remarier car ils sont
considérés comme toujours mariés selon le droit de
l'Église copte.
Cette position signifie que si les époux ont obtenu un
jugement de divorce pour une autre cause que l'adultère, les
prêtres de l'Église copte ne pourront pas célébrer
un nouveau mariage car ils sont toujours mariés au regard de
l'Église copte. Dans ce cas là, ces divorcés (
judiciairement ) ne peuvent pas donc se remarier devant l'Église copte
orthodoxe. Ceci oblige des coptes, soit de rester sans mariage, soit de changer
de religion avant ou après le divorce. Or, l'Église copte
orthodoxe refuse de reconnaître tout mariage de ses fidèles qui
n'est pas célébré par elle. Ce qui crée un conflit
entre les coptes divorcés et leur Église. Les parties
concernées demandent au Pape Chenouda III
39
de revenir sur sa position, mais il refuse de le faire et
interdit au Conseil clérical d'autoriser de tels
remariages54.
La situation actuellement devient plus compliquée
lorsqu'il y a un procès au tribunal entre l'Église et les
époux.
Un procès récent a rouvert le débat sur la
question après quelques années de
calme :
Un époux a obtenu un jugement de divorce pour une cause
autre que l'adultère et il s'est adressé à
l'autorité compétente de l'Église pour obtenir un «
permis de mariage » pour se remarier, mais, étant donné que
la cause du divorce n'était pas l'adultère, l'autorité
religieuse a refusé d'attribuer le « permis de mariage »
à cette personne. Il s'est adressé donc au tribunal. Le
14/3/2006, le tribunal de la jurisprudence administrative a rendu un jugement
qui a choqué l'Église copte et il a fait l'objet d'un très
grand débat sur la question. En l'espèce, le tribunal a
annulé l'arrêté qui refuse l'attribution du permis du
mariage à cet époux. Ceci signifie tacitement obliger
l'Église à reconnaître les cas de divorce figurant dans la
collection de 1938.
* Les arguments selon lesquels le tribunal s'est fondé
étaient :
1- Le tribunal a commencé à poser des principes
constitutionnels relatifs aux droits personnels et à la famille en
précisant que : « ... toutes les constitutions égyptiennes
depuis la constitution de 1923 ont mis en évidence le principe
d'égalité et ont garanti son application pour tous les citoyens
comme étant une base de la justice, de la liberté, et de la paix
sociale, et l'objectif de ce principe est de protéger les droits des
citoyens et leurs libertés de toute forme de discrimination...selon
l'article neuf de la constitution, la famille est la base de la
société et elle est fondée sur la religion, les moeurs, et
la citoyenneté ... le mariage l'entrée naturelle
nécessaire à sa formation, en outre, le mariage fait partie des
droits personnels... »
2- Ensuite, le tribunal explique la spécificité du
mariage copte en disant que : « ... la législation
chrétienne attribue au mariage un système spécifique
propre qui se
54 S. A. ALDEEB, Statut personnel en
Égypte, Fribourg, Suisse, Éditions universitaires, 2006, P.
21
40
formalise par des cérémonies religieuses
organisées par l'un des prêtres de l'église et il se fonde
sur l'idée selon laquelle le mariage est une relation éternelle
comme l'a précisé l'Évangile de saint MATTHIEU
. · « Les pharisiens lui répliquent . · «
Pourquoi donc Moïse a-t-il prescrit la remise d'un acte de divorce avant
la séparation ? ». Jésus leur répond . ·
« C'est en raison de votre endurcissement que Moïse vous a
concédé de renvoyer vos femmes. Mais au commencement, il n'en
était pas ainsi. Or je vous le dis . · si quelqu'un renvoie sa
femme - sauf en cas d'union illégitime - pour épouser une autre,
il est
adultère. » Ses disciples lui disent . ·
« Si telle est la situation de l'homme par rapport à sa femme, il
n'y a pas intérêt à se marier. » Il leur
répondit . · « Ce n'est pas tout le monde qui peut
comprendre cette parole, mais ceux à qui Dieu l'a
révélée. » Il y a des gens qui ne se marient pas car,
de naissance, ils en sont incapables , · il y en a qui ne peuvent pas
se marier car ils ont été mutilés par les hommes
, · il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du
Royaume des cieux. Celui qui peut comprendre, qu'il comprenne ! ». (
MATTHIEU 19, 712)... ».
3- Le tribunal fait ensuite référence à la
collection de 1938 qui forme en réalité la législation
confessionnelle des Coptes orthodoxes en matière de statut personnel :
« ... la collection de statut personnel des Coptes orthodoxes selon
lesquelles les époux ont la possibilité de saisir la juridiction
compétente pour demander le divorce ... cette législation
énonce les effets du divorce, parmi ces effets, le droit à chacun
des époux - à la suite d'un jugement de divorce - de se marier
avec une autre personne sauf si le jugement lui-même empêche l'un
ou les époux de se remarier ( article 69 de la collection ), cette
règle rassure à chacun des époux divorcés de se
remarier selon les rites religieux... »
4- C'est ainsi que le tribunal a voulu exercer une pression sur
l'Église pour admettre ce genre de divorce ( et par conséquent,
célébrer un deuxième mariage d'un époux
divorcé pour une cause autre que l'adultère ) au nom de la
liberté de mariage reconnue par la Constitution et par l'Évangile
: « ... le tribunal dans ce domaine, confirme que le mariage est un des
droits sacrés de la législation chrétienne et un des
sacrements de l'Église, de même, le droit au mariage est
considéré comme un droit personnel du citoyen chrétien,
surtout, lorsqu'un jugement de divorce est prononcé mettant ainsi fin au
lien entre les époux, ce
41
jugement, par son autorité et ses effets, ouvre la porte
de l'Église devant le citoyen chrétien qui demande l'exercice de
l'un de ses droits personnels... »
C'est par ces moyens que le tribunal a annulé
l'arrêté du Conseil clérical ayant pour objet le refus
d'attribution du permis de mariage à ces époux.
Le Pape Chenouda III a expliqué le point de vue de
l'Église dans une conférence de presse. Il a refusé
complètement d'obtempérer à cette décision en
déclarant qu'il ne s'inféode qu'à la source principale du
Christianisme qui est la Bible et à sa conscience. Il a dit que : «
Le tribunal est compétent pour prononcer le divorce. En revanche, il
n'est pas compétent pour marier. La question du mariage relève de
la compétence de l'Église. L'Église respecte les
instructions de l'Évangile en ce qui concerne le mariage et le divorce.
Comme la Bible l'a annoncé, le divorce n'est possible qu'en cas
d'adultère ou de changement de religion. Pour tous les autres cas, il
n'est possible ni de divorcer, ni de délivrer une déclaration ou
un permis reconnaissant le deuxième mariage... En ce qui concerne
l'idée selon laquelle l'Église est tenue des jugements de la
juridiction administrative, en réalité l'Église n'est
tenue que par sa conscience et par les instructions de l'Évangile. Ceci
apparaît même très clairement dans le droit musulman qui
dispose que le juge doit juger entre les non-musulmans en fonction de ce qu'ils
croient et comme l'expliquent leurs législations religieuses. Pour ces
raisons, l'Église refusera d'attribuer aucun permis de mariage
après le divorce, sauf si le divorce est fondé sur les
instructions de l'Évangile...
Quant à la collection de 1938 que les tribunaux appliquent
a été profondément contestée par les hommes
religieux. J'ai transmis à l'État un nouveau règlement de
statut personnel sur lequel a signé tous les archevêques
chrétiens en Égypte. On peut attribuer le permis de mariage
conformément à ce nouveau projet selon lequel, le divorce n'est
admis qu'en cas d'adultère ou en cas de changement de religion, sauf
pour les Catholiques qui n'admettent pas du tout le divorce et il est
remplacé par la séparation de corps. Par le biais de ce nouveau
projet, les tribunaux vont juger conformément à notre
législation et conformément à ce qu'on croit, mais
actuellement, les jugements ne sont pas conformes à notre droit ...
».
42
En ce qui concerne les fondements sur lesquels s'est fondé
le tribunal et principalement la liberté de mariage qui a une valeur
constitutionnelle, le Pape Chenouda III dit : « ... Ces individus peuvent
se remarier, mais pas à travers l'Église parce que sa conscience
n'accepte pas ce mariage. Et comme la constitution consacre le droit au citoyen
à être marié, de même, la constitution consacre
à l'Église le droit d'appliquer sa législation et son
droit...».
Nabil Louka BIBAWI, un auteur copte, soutient la position ferme
du Pape Chenouda et estime même que l'application par les tribunaux
étatiques des deux collections citées en matière de
divorce violent la constitution qui dit que l'Islam est la religion de
l'État et le droit musulman est la source principale du droit. Or, le
Coran garantit la liberté religieuse aux communautés
chrétiennes et exige qu'ils soient soumis à leurs
législations religieuses, et principalement l'Évangile. Selon
BIBAWI, les tribunaux doivent se conformer non pas à la collections
citée, mais à l'Évangile et, donc, à la position du
Pape Chenouda III. Pour sortir de ce dilemme, BIBAWI propose l'adoption par le
Parlement égyptien du projet de code de statut personnel
susmentionné55.
Ce projet donne satisfaction au Pape, qui a contribué
à son élaboration, ainsi qu'à ceux qui veulent divorcer
devant les tribunaux et se remarier devant l'Église. En effet, bien que
n'allant pas aussi loin que la collection de 1938, ce projet admet le divorce
pour cause d'abandon du Christianisme (art. 113), d'adultère (art. 114)
et certains actes d'infidélité mentionnés dans l'article
11556.
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