2 - Les aménagements à l'application de droit
musulman aux non-musulmans
La doctrine égyptienne s'est posée la question de
savoir si les règles du droit musulman s'appliquent aux non-musulmans
comme s'ils étaient des époux musulmans
35 C.Cass. 30/3/1966, Le Caire
36 S. A. ALDEEB, « Rôle de la religion
dans l'harmonisation du droit des pays arabes », R.I.D.C. 2-2007,
P. 259, s.
30
ou bien la religion des époux non-musulmans est prise en
compte en appliquant le droit musulman pour les cas de divorce ? 37
La cour de cassation égyptienne affirme toujours que les
règles de droit musulman applicables aux non-musulmans sont les
mêmes règles matérielles que celles qui s'appliquent aux
musulmans.38
En revanche, cette règle affirmée par la Cour de
cassation égyptienne a une exception. Le droit musulman ne s'applique
pas si ses dispositions heurtent les droits fondamentaux de la religion des
époux. La jurisprudence considère que dans chaque religion il y a
des principes fondamentaux qui sont essentiels. En plus, on ne peut pas
déroger à ces principes, par conséquent, les règles
du droit musulman qui vont à l'encontre de ces principes fondamentaux
seront écartées. Le droit égyptien a voulu garder un
certain respect aux autres religions.
* Mais quel est le contenu de ces principes fondamentaux
?
La Cour de cassation égyptienne estime que ces principes
sont ceux qui constituent l'essence de la religion. C'est la cour qui fixe ces
principes à la lumière des situations en l'espèce. Ceci
peut paraître étrange ! Les principes fondamentaux devraient
normalement être définis à l'avance par les
autorités religieuses et non pas par la Cour. De même, la Cour n'a
pas crée une liste des principes fondamentaux, mais, elle examine
à chaque espèce ( au cas par cas ) si la règle en cause
est un principe fondamental ou pas. Par exemple, la Cour d'appel du Caire a
décidé que le mari chrétien avait le droit de contracter
un mariage polygamique, puisque c'est le droit musulman qui est applicable aux
musulmans qui régit le mariage de non-musulmans qui ne sont pas unis en
communauté et en confession. Ceci montre bien comment l'époux
non-musulman est traité comme étant un musulman sans tenir compte
de la spécificité religieuse des parties.
37 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P.219
38 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit.,
P. 602
31
Heureusement, la Cour de cassation a cassé cette
décision de la Cour d'appel du Caire. Il s'agit d'un arrêt de
principe du 17 janvier 1979 par lequel, la Cour de cassation a affirmé
que la polygamie se heurte aux principes fondamentaux du christianisme puisque
le mariage chrétien se caractérise par la monogamie.
En effet, le Christianisme depuis son origine jusqu'à nos
jours, sous ses différentes confessions, ne reconnaît pas la
polygamie. Le Doyen ELEHWANY a raison lorsqu'il dit : « Permettre un
deuxième mariage est une atteinte à la religion chrétienne
et à sa morale ; par conséquent la polygamie doit être
éliminée dans les rapports entre non-musulmans, et ceci constitue
une exception aux règles du droit musulman applicables aux
non-musulmans. »39
Mais, il faut en plus répondre à une autre question
concernant les principes fondamentaux du Christianisme. La question qui se
posera sera la suivante : est-ce que l'existence des cas de divorce ou leur
absence dans une législation confessionnelle est considéré
comme un principe fondamental lié à la religion ?
Plus concrètement, deux situations peuvent faire l'objet
de très grandes discussions. La première situation concerne la
législation catholique qui ne connaît pas le divorce. La seconde
situation concerne les autres législations qui contiennent des cas de
divorce très limités. La question à laquelle il faut
répondre maintenant est ce que ces deux situations forment-elles des
principes fondamentaux ou non ?
a-Le degré d'incompatibilité entre la
législation catholique et le divorce
Il faut souligner que la législation catholique ne
prévoit aucun cas de divorce, car selon le droit de l'Église
catholique le divorce est considéré comme un lien indissoluble.
La question qui s'impose donc à ce stade est : est-ce que les cas de
divorce du droit musulman peuvent-ils être utilisés pour divorcer
deux époux qui ne sont pas unis en communauté et en confession
dont l'un d'eux est catholique ? En d'autres termes, les cas de divorce du
droit musulman heurtent-ils les principes fondamentaux du droit de
l'Église catholique ?
39 ibid. P. 604
32
En effet, l'article 99 alinéa 7 du décret loi
n° 78 de 1931 dispose que : « L'action en divorce intentée
par un conjoint n'est recevable que si la loi de chacun des deux conjoints
admet le divorce. ». La note explicative dit : « Les
tribunaux charis, en vertu de l'article 280 de la loi sur les procédures
des tribunaux musulmans, admettaient le divorce d'un non-musulman avec sa femme
non-musulmane lorsque l'un des deux conjoints intentait une action contre
l'autre. Ceci mettait en difficulté les communautés qui ne
reconnaissent pas le divorce. »
Évidemment, ce sont les Catholiques qui sont visés
par ces dispositions, ceci a été clairement affirmé par la
Cour de cassation égyptienne dans un arrêt du 14 février
1968. Par conséquent, le mari copte catholique ne peut ni demander le
divorce ni répudier sa femme grecque catholique, car leurs
législations n'admettent pas le divorce.
Mais la question se pose aussi si un seul des époux est
catholique ? Le divorce peut-il être admis ?
L'article 99/7 est très clair sur ce point. Il dit que le
divorce n'est recevable que si la loi de chacun des
époux admet le divorce. Alors la réponse à la question
précédente est certainement « non ». Il suffit qu'un
seul époux soit catholique pour limiter l'application du droit musulman,
et par conséquent écarter les cas de divorce prévus par le
droit musulman. Effectivement, si la femme catholique est divorcée par
le tribunal, elle ne pourra pas célébrer un autre mariage selon
les rites catholiques en raison des législations que sa
communauté applique, restant ainsi liée par l'ancien mariage ...
40
Il faut donc préciser à ce stade que le
décret loi n° 78 de 1931 a été abrogé par la
loi n° 1 de l'an 2000. L'article 99/7 a été donc
remplacé par un article 17 alinéa 3 dans la nouvelle loi de 2000.
Ce nouvel article dispose que : « Est non recevable la demande en
divorce entre des époux unis en communauté et en confession sauf
si leurs législations l'admettent ».
On voit immédiatement que la formulation du nouvel article
est assez ambiguë, parce que cet article concerne les époux unis en
communauté et en confession, et il est
40 ibid. P. 603
33
évident que dans ce cas c'est la législation
confessionnelle des époux qui s'applique. Par conséquent, si
cette législation n'admet pas le divorce, la demande en divorce sera
irrecevable41. Plus concrètement, cela signifie que deux
époux catholiques de la même confession ne peuvent pas divorcer.
Mais la question se pose pour le cas dans lequel les époux sont des
non-musulmans qui ne sont pas unis en communauté et en confession mais
un des époux est catholique, le divorce est-il possible ?
Le nouvel article de la loi de 2000 n'a pas donné une
réponse à cette question puisqu'il ne concerne que les
époux unis en communauté et en confession. Une partie de la
doctrine42 considère que la nouvelle loi de 2000 avec son
article 17 alinéa 3, limite l'ancien article puisque la demande n'est
recevable que si les époux sont unis en communauté et en
confession.
En revanche, une autre partie de la doctrine43
considère que le divorce heurte un principe fondamental de la
communauté catholique ce qui a pour conséquence d'écarter
les cas de divorce du droit musulman.
Comme l'admission du divorce en droit musulman se heurte avec les
principes fondamentaux de la communauté catholique, les cas de divorce
du droit musulman peuvent aussi heurter les principes fondamentaux des autres
communautés.
b- Une compatibilité assez contestée entre
la répudiation et les autres législations
chrétiennes
Pour les autres communautés autre que la communauté
catholique, le divorce existe, mais c'est un divorce judiciaire. Dans ce cas le
divorce ne heurte pas les principes fondamentaux des communautés
non-catholiques, mais la question se pose pour la répudiation. Il
s'avérait choquant que le mari chrétien ( mais pas catholique )
répudie sa
41 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P.245, s
42 F. ABDEL REHIM, En bref sur le statut
personnel des Égyptiens non-musulmans, El mansoura, 2e
éd. 2000, P. 28
43 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P. 238 - 242
34
femme qui diffère en communauté et en confession
étant donné que c'est le droit musulman qui sera applicable.
Il faut juste remarquer que la répudiation
unilatérale n'est pas un cas de divorce admis par les
législations confessionnelles chrétiennes. Par exemple, le
législateur copte orthodoxe a prévu dans la collection de 1938
plusieurs cas de divorce, mais ils sont tous des cas de divorce judiciaire qui
nécessitent une demande en justice pour prononcer le divorce. En outre
ce sont des cas de divorce prévus pour le mari comme pour la femme ce
qui signifie que l'homme n'a pas de privilège44.
Mais, malgré tout cela, la Cour de cassation
égyptienne a déclaré que la répudiation
unilatérale ne heurte pas les principes fondamentaux des
communautés non-catholiques45.
La majorité de la doctrine égyptienne conteste la
position de la Cour de cassation en disant que la répudiation
unilatérale porte atteinte aux principes fondamentaux des
législations chrétiennes qui admettent le divorce et qui le
limitent à des cas très précis46.
Ce mouvement de la doctrine, trouve aussi que la
répudiation unilatérale doit être cadrée par des
règles qui empêchent que le mari abuse de son droit pour
répudier, et le fait de permettre au mari chrétien de
répudier augmentera le nombre de divorce.
De même, la position de la cour de cassation favorise la
fraude à la loi puisque le mari, pour divorcer, au lieu de passer par le
divorce judiciaire qui peut durer des années devant les tribunaux pour
avoir un jugement de divorce, il suffit de se convertir (formellement) à
une autre communauté ou une autre confession ( autre que le Catholicisme
) pour que le droit musulman soit applicable et par conséquent, ce mari
pourra répudier unilatéralement sa femme.
44 Pour chaque cas de divorce prévu aux
articles 50 à 58 de la collection de 1938 des Coptes orthodoxes, le
législateur ( en rédigeant le texte ) mentionne les termes «
... un des époux ... » sans distinguer le mari de la femme.
45 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, op. cit.,
P. 604
46 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P. 251, s
35
La situation actuelle se complique encore plus avec le khol'
musulman crée par la même loi de 2000. On doit donc se poser
la question de savoir si le khol' s'applique lors de l'application du
droit musulman aux non-musulmans qui ne sont pas unis en communauté et
en confession. Il est vrai que la Cour de cassation égyptienne
considère que la répudiation unilatérale ne doit pas
être écartée des dispositions du droit musulman applicable
aux non-musulmans. Mais est-ce que le khol' sera traité de la
même manière pour garantir une forme d'égalité entre
l'homme et la femme pour les non-musulmans, sachant que le khol' est
un divorce judiciaire ? ( c'est-à-dire moins choquant que la
répudiation ). En effet, la jurisprudence du premier degré et
l'Église copte orthodoxe, considèrent que ce cas de divorce ne
peut pas être appliqué aux Coptes parce que le khol' ne
figure pas dans la religion chrétienne47.
§2- La non conformité de la
législation confessionnelle au droit religieux
Il s'agit d'un problème assez ancien ( A
), mais l'Église copte avait une position très
déterminante sur la question ( B ).
|