C- Les époux non-musulmans ne sont pas unis en
communauté et en confession.
L'article six de la loi n° 462 de 1955 dispose que «
Quant aux litiges de statut personnel des Égyptiens non-musulmans,
unis en communauté et en confession, et qui ont des juridictions
communautaires organisées au moment de la promulgation de cette loi, les
sentences seront prononcées selon leur propre loi, en conformité
cependant à l'Ordre public. ». En d'autres termes, la loi
égyptienne prévoit que c'est le droit musulman qui s'applique
lorsque les époux ne sont pas unis en communauté et en
confession. C'est une solution très originale apportée par le
droit égyptien, elle provient du principe d'égalité entre
époux. Si un époux est juif et l'autre est chrétien, on ne
favorise ni l'un ni l'autre puisque c'est un autre droit qui sera
appliqué pour les cas de divorce. Mais le problème est que le
droit qui sera appliqué à la place de la législation
confessionnelle est lui aussi un droit religieux qui prévoit des cas de
divorce différents de ceux qui sont prévus dans les
législations confessionnelles de chacun des époux (comme pour
deux époux, l'un est protestant et l'autre est orthodoxe). De
même, les cas de divorce ne seront pas prévisibles puisque
l'époux peut se convertir à une autre religion ( ou à une
autre communauté ou une autre confession ) à tout moment, et
donc, on ne pourra pas savoir à l'avance quelle sera la religion des
époux et par conséquent les cas de divorce possibles le jour du
procès.
30 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P.449.
25
1- L'originalité du principe provient du
problème de la très grande diversité
Le problème provient de la diversité des
législations confessionnelles, non pas seulement pour chaque
communauté ( Orthodoxe, Catholique, Protestante ) mais aussi pour chaque
confession ( Copte orthodoxe et Copte catholique... ). Il est vrai qu'une
partie de la doctrine égyptienne31 considère toutes
les religions autre que l'Islam comme une seule communauté. Mais ceci
n'est pas le cas pour les législations confessionnelles. Chaque
confession a sa propre législation ce qui fait que si les époux
ne sont pas unis en communauté et en confession, on sera en face d'un
conflit de lois interne.
Mais la question se pose pour le moment où on tient compte
de la religion des
époux.
* Il y a certainement, plusieurs solutions possibles :
- Première possibilité : c'est de
retenir le jour de la conclusion du mariage comme date à laquelle
on tient compte de la religion des époux. Ceci signifie que toute autre
conversion ultérieure n'aura aucun effet sur la loi applicable, et par
conséquent, sur les cas de divorce.
Ce serait un bon critère, il favoriserait la
prévisibilité juridique. En d'autres termes, les époux
savent déjà depuis la conclusion du mariage quels sont les cas de
divorce disponibles et selon quelle législation, puisqu'on retient la
religion au moment de la conclusion du mariage. Ceci va créer une sorte
de stabilité juridique.
En outre, ce critère garantit la sécurité
juridique et il empêche les fraudes à la loi.
Mais, en revanche, il ne faut pas oublier que le fait de retenir
ce critère mettra en cause les droits acquis des individus. Par exemple
: si après quelques semaines du mariage, un des époux se
convertit à une autre communauté ou une autre confession, et
après une dizaine d'années de mariage, les époux ne sont
pas unis en communauté et en
31 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens », op. cit.,
P.180
26
confession et l'époux, qui s'est convertit a
été complètement détaché de sa religion
d'origine, se trouve en face des cas de divorce prévus dans la
législation de sa religion au moment du mariage et non pas sa religion
au moment du litige, ce qui pourrait être assez choquant.
De même, ce critère ne respecte pas la
liberté de religion et ses effets. Il ne suffit pas que l'époux
ait la possibilité de changer sa communauté ou sa confession,
mais aussi, il doit bénéficier des effets résultant de sa
conversion.
En plus, ce critère peut aller contre l'idéologie
de la loi de 1955. Cette loi a pour objectif d'appliquer la législation
confessionnelle aux non-musulmans unis en communauté et en confession.
On pourrait imaginer la situation suivante :
Si les époux n'étaient pas unis en
communauté et en confession au moment de la conclusion du mariage, mais,
après le mariage, ils deviennent unis en communauté et en
confession. Dans cette hypothèse, il serait préférable
d'appliquer la législation confessionnelle commune des époux au
lieu d'appliquer le droit musulman qui devient un droit très loin du
litige, et son application sera sans intérêt, car les
époux, au moment du divorce sont unis en communauté et en
confession, ce qui implique le choix de l'un des cas de divorce prévus
dans la législation confessionnelle commune des époux.
- Deuxième possibilité : C'est de
retenir le changement de religion à tout moment de la procédure
jusqu'au moment où le jugement est prononcé.
Ce critère garantit bien la liberté de religion,
les effets de la conversion auront lieu immédiatement. En revanche,
c'est le critère qui écarte le plus la
prévisibilité du droit. On ne saura pas quels sont les cas de
divorce possibles et en vertu de quelle loi même en cours de l'instance!
De même, ce critère favorise la fraude au maximum. L'époux
défendeur pourrait se convertir vers une autre communauté ou une
autre confession que l'autre époux pour choisir frauduleusement la loi
applicable ( soit qui favorise ou empêche le divorce ). Ces manoeuvres
peuvent aussi allonger la durée du procès ce qui met en cause le
principe selon lequel les parties doivent être jugées en un
délai raisonnable.
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- Troisième possibilité : C'est de
retenir la religion des époux au moment du dépôt de l'acte
introductif d'instance, ce qui signifie que tout changement qui aura lieu au
cours de l'instance ne prend aucun effet sur les cas de divorce. En d'autres
termes, toute conversion ne sera prise en compte que si elle
précède l'acte introductif d'instance.
Ce critère, d'une part, diminue les cas de fraude devant
le juge, et d'une autre part, garantit la liberté religieuse.
En revanche, ce critère ne garantit pas la
prévisibilité du droit. Les époux lors du mariage, ne
savent pas quels sont les cas de divorce possibles ou quel est le droit
applicable pour les cas de divorce. Un changement de communauté ou de
confession peut avoir lieu au cours du mariage, donc on ne peut pas savoir
à l'avance quel droit sera applicable.
Ces deux derniers critères ont été retenus
par le droit égyptien. Le deuxième critère a
été retenu pour la conversion à l'islam, et le
troisième critère a été retenu pour la conversion
à une autre religion que l'islam.
En effet, l'article 7 de la loi n° 462 de 1955
prévoit que : « le changement de communauté ou de
confession d'une des parties pendant le déroulement de l'instance
n'influe pas sur l'application du paragraphe deux du précédent
article à moins que le changement ne s'opère en faveur de
l'islam; dans ce dernier cas, la disposition du paragraphe premier du
précédent article s'applique ».
On déduit de cet article que l'unité en
communauté et en confession doit être appréciée au
moment de l'action en justice. C'est le critère mis en place par le
législateur égyptien qui a voulu fixer un moment clair et
précis, même s'il met en cause la prévisibilité du
droit. D'une façon plus concrète, au moment du mariage, les
époux ne savent pas quels sont les cas de divorce qui pourront
être utilisés pour mettre fin à ce lien. Le Doyen Hossam
ELEHWANY trouve que « le législateur a adopté la pire des
solutions, c'est celle qui ouvre la voie à la fraude à la loi. Il
suffit qu'une partie au litige sente que l'autre a l'intention d'intenter un
procès pour qu'elle se presse de changer de
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communauté, soit pour être unie avec l'autre en
communauté et en confession, soit pour faire cesser l'unité
»32.
Monsieur S. ALDEEB considère que « Cet article
signifie qu'un conjoint peut à tout moment se convertir à l'islam
pour se voir appliquer les normes musulmanes, alors que le changement à
une autre religion que l'islam ne peut être pris en considération
que si la conversion a lieu avant l'action en justice »33.
En effet, l'article 17 de la même loi prévoit
deux hypothèses :
a- La conversion à toute religion autre que
l'islam.
Dans ce cas, la loi prévoit que le moment où la
religion des époux est tenue en compte, est le jour de l'acte
introductif d'instance. Mais ce critère n'est pas le seul qui a
été pris en compte par le droit égyptien.
b- La conversion à l'islam.
Dans cette hypothèse, la loi égyptienne n'a pas
utilisé le même critère, c'est une exception («
... à moins que le changement ne s'opère en faveur de l'islam ...
»). Dans cette situation, la conversion produit ses effets quel que
soit le moment où elle s'effectue, ce qui signifie que même si la
conversion à l'islam avait lieu au cours du procès, cette
conversion aurait un effet sur la loi applicable, par conséquent, c'est
le droit musulman qui sera applicable pour les cas de divorce.
La question se pose donc pour la raison pour laquelle le
législateur égyptien a mis en place cette exception pour la
conversion à l'islam. Le Doyen ELEHWANY explique en disant que : «
cette exception repose sur le principe de la suprématie de l'islam, un
musulman ne pourrait être soumis à une autre loi que celle
islamique, quel que soit le moment où s'est réalisé le
changement ... »34. Ceci signifie que le législateur
égyptien considère que le droit musulman est supérieur aux
autres droits ce qui lui donne
32 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages, Puf,
2001, P. 598
33 V. supra le site de S. ALDEEB, Statut
personnel en Égypte.
34 C. BONTEMS, dir, Mariage - Mariages,
op. cit., P. 599
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un privilège de s'appliquer à tout moment
même après l'acte introductif d'instance pour influer sur les cas
de divorce. Mais la jurisprudence explique cette exception par le fait que la
conversion à l'islam ne peut pas être un simple moyen de
fraude35, puisque la conversion à l'islam n'a pas les
mêmes effets que la conversion à une autre confession de la
même religion autre que l'islam. La personne qui se convertit à
l'islam ne peut pas l'abandonner ultérieurement ( apostasier ), elle ne
peut même pas retourner à sa religion d'origine; dans ces deux cas
la personne sera considérée comme un apostat. Ce dernier a un
statut très difficile dans la société musulmane en
général. Par exemple, il ne peut pas hériter de sa
famille, en plus il doit être séparé de sa femme si cette
dernière est musulmane36. L'époux va devoir donc
réfléchir avant de se convertir à l'islam. Il ne peut pas
se convertir juste pour frauder car il sait bien qu'il ne pourra pas retourner
à sa religion d'origine, contrairement à la conversion aux autres
religions. C'est pour cela qu'on peut supposer que l'époux qui se
convertit à l'islam au cours du procès n'est pas un moyen de
fraude, donc, il n'y a aucun risque d'apprécier la religion même
au cours du procès.
De même cette exception est conforme au principe selon
lequel seul le droit musulman s'applique aux musulmans. Ceci signifie par
conséquent, qu'une loi confessionnelle ne peut ne pas s'appliquer pour
les cas de divorce d'un époux musulman. Ce dernier doit
bénéficier de cette conversion d'une manière
immédiate.
C'est de cette manière que la loi égyptienne a
retenu un critère particulier pour la conversion à l'islam qui
prend effet à tout moment, même au cours de la
procédure.
Après avoir examiné les cas de divorce où le
droit musulman s'applique aux non-musulmans, il est temps de savoir quels sont
les cas où cette application est atténuée ou
limitée pour les cas de divorce.
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