1- L'étendue de l'ordre public
La question de l'étendue de l'ordre public a longtemps
été discutée. L'ordre public peut être limité
aux dispositions du droit musulman, il peut aussi être très large
et laïc sans tenir compte d'une religion spécifique.
22 H. ELEHWANY, L'explication des principes de
statut personnel « des égyptiens chrétiens »,
Édition universitaire, Le Caire, 2002 ( en arabe ), P. 160 - 163
22
La cour de cassation a tranché ce débat par un
arrêt du 17/1/1979, en donnant une solution intermédiaire et
satisfaisante de l'étendue de l'ordre public. Dans cet arrêt, la
cour de cassation égyptienne a défini pour la première
fois, la notion d'ordre public en précisant23 «
qu'il contient les règles qui ont pour objet l'intérêt
général de l'État ... l'idée de l'ordre public est
basée sur une doctrine laïque et générale à
laquelle croit toute la société ... mais cela n'empêche pas
que l'ordre public pourrait être lié à la religion lorsque
la croyance est bien liée au système juridique et social, ce qui
signifie que ces règles concernent tous les citoyens, musulmans et
non-musulmans, quelle que soit leur religion, il est impossible de diviser ou
de partager l'idée de l'ordre public et rendre une partie de ses
règles limitée aux chrétiens, et une autre partie
spécifique pour les musulmans, il n'est pas possible d'imaginer que le
critère de l'ordre public soit personnel ou communautaire, l'ordre
public doit avoir, en revanche, un critère objectif et conforme avec ce
que la majorité la plus générale des individus croit.
»
On peut déduire de cette jurisprudence que la cour de
cassation égyptienne a pris un critère intermédiaire pour
évaluer l'ordre public. D'une part, l'ordre public est
considéré pour la Cour comme ayant un caractère laïc
et général, mais en même temps, il doit être conforme
à la croyance de la majorité des individus, donc, avec le droit
musulman.
Monsieur le Doyen H.ELEHWANY déduit de cet arrêt que
l'ordre public est fondé sur la laïcité et avec une
idée de l'islam.
2- Les conséquences
L'ordre public ici est donc considéré comme
laïc dans le sens où il s'applique à tous les individus
quelle que soit leur religion. Mais, en ce qui concerne le contenu, l'ordre
public est basé sur une idée de l'islam ce qui signifie que les
règles impératives du
23 ibid. P. 173
23
droit musulman sont intégrées dans l'ordre public,
de même, les droits des musulmans ne doivent pas être restreints
par l'application d'un autre droit24.
Mais comment le contenu d'une législation confessionnelle
soit contraire à l'ordre public?
Parmi la jurisprudence de la cour de cassation égyptienne
: La norme juive sur le lévirat, prévue par Deutéronome
25:5-10 et reprise par l'article 36 du Code d'Ibn-Sham'oun, la source des Juifs
Rabbinites en matière de statut personnel énonce que : «
La femme dont le mari meurt sans laisser d'enfants, est
considérée comme femme du frère ou de l'oncle paternel du
mari défunt, de jure, si ce dernier en a. Elle ne peut se marier avec un
autre, tant qu'il est vivant, sauf s'il refuse de la prendre... ».
Cette règle a été considérée comme contraire
à l'ordre public, puisqu'elle met en cause le droit au mariage et la
liberté de mariage25. De même pour l'article 3
alinéa b de la collection des Grecs orthodoxes qui considère
l'existence de trois mariages précédents comme un
empêchement absolu pour en contracter un
quatrième26.
Un autre exemple : Parmi les cas de divorce prévus dans la
collection de 1938 des Coptes orthodoxes, le changement de religion. L'article
51 prévoit que « Si l'un des époux renie la religion
chrétienne et son retour à la religion s'avère impossible,
le divorce sera possible à la demande de l'autre époux. »
27.
Cet article ne peut pas être appliqué pour les
raisons suivantes:
1- Si l'époux se convertit au judaïsme, les
époux dans ce cas n'auront pas la même religion ce qui signifie
que c'est le droit musulman qui s'applique étant donné qu'il est
le droit commun en matière de statut personnel28.
2- Si l'époux se convertit à l'islam, il y a deux
hypothèses:
- Soit c'est la femme qui se convertit à l'Islam, dans ce
cas, si le mari refuse de se convertir lui aussi à l'islam, ils seront
séparés29.
24 Par exemple, le droit pour un homme musulman
d'épouser une femme kitabiya ( du livre ) ne peut pas
être restreint par une législation confessionnelle puisque ce
droit est d'ordre public, V. ibid., P.181
25 ibid., P. 187, s
26 V. le site de S. ALDEEB
http://www.sami-aldeeb.com/
27 Législations du statut personnel des
non-musulmans, Al amiriya, 3e éd., 1998 (en arabe).
28 V. infra 3e condition, page
suivante
29 En droit musulman, la femme musulmane ne peut pas
épouser un homme non-musulman, mais, un homme musulman peut
épouser une femme chrétienne ou juive ( kitabiya ).
24
- Soit c'est le mari qui s'est converti à l'Islam, dans ce
cas, le divorce (prévu à l'article 51) ne pourra pas avoir lieu,
puisque cet article pourrait être considéré comme contraire
à l'ordre public parce qu'il restreint le droit du mari musulman qui
peut, selon le droit musulman, épouser une femme
chrétienne30.
Le droit musulman s'applique aussi aux non-musulmans même
si les législations confessionnelles régissent tout le statut
personnel et leurs dispositions ne sont pas contraires à l'ordre public.
C'est le cas où les époux non-musulmans ne sont pas unis en
communauté et en confession.
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