2. Responsabilité et contentieux
La question du contentieux de la responsabilité a
vocation à être étudiée sous deux aspects : il
convient d'abord de l'étudier au stade de la formation du contrat (2.1)
; puis, une fois le contrat formé, au stade de son exécution
(2.2).
2.1 La formation du contrat
La formation du contrat résulte de la rencontre de
l'offre et de la demande, tel est l'esprit originel de la liberté
contractuelle qui inspira la rédaction du code civil, et dont
découle le principe du consensualisme. Cependant tous les contrats ne se
forment pas instantanément, à plus forte raison lorsqu'ils sont
complexes. La formulation de l'offre peut mettre un certain temps à se
construire. C'est ainsi que la doctrine a consacré la théorie des
pourparlers. La jurisprudence encadre les pourparlers à travers les
principes de liberté contractuelle et de bonne foi. Nombre de
contentieux trouvent leur source dans une conduite inadéquate des
pourparlers par les parties.
Dans les contrats informatiques, la phase
pré-contractuelle est très importante dans la mesure où
durant cette phase, le client va définir ses besoins et tenter de
trouver le prestataire qui répondra au mieux à ses attentes et
à ses contraintes techniques ou économiques. Chacun peut conduire
les discussions au mieux de ses intérêts, quitte à
négocier en parallèle avec un autre candidat. Cependant les
parties qui négocient doivent le faire de manière loyale. Cela
implique qu'elles échangent l'information nécessaire,
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qu'elles ne prolongent pas la discussion lorsque la
décision de rompre a déjà été prise ou
encore qu'elles ne formulent pas de proposition inacceptable.
Pendant cette phase les parties peuvent être
amenées à échanger des informations confidentielles, c'est
pourquoi la signature d'un accord sur ce point s'avère souvent
indispensable, surtout en matière de nouvelles technologies. Il est en
effet fréquent que le client soit amené à communiquer des
informations qu'il ne souhaite pas voir divulguées à des tiers
pour faire connaître ses besoins et ses objectifs. De même, le
candidat prestataire peut être amené à décrire en
détail certaines des technologies qu'il maîtrise afin d'argumenter
son offre et faire valoir ses avantages. La rédaction d'un tel accord
implique une certaine précision afin de pouvoir déterminer
quelles sont les informations concernées ainsi que la portée et
la durée de l'engagement pris.
De plus les parties vont certainement exposer des frais
à la conduite des négociations, que ce soit pour le transport,
des études préalables, voire l'embauche de personnel, ce qui est
souvent le cas pour les projets les plus ambitieux. Elles peuvent donc
également s'engager à partager les frais ainsi
générés.
Le recours à une méthode agile n'est pas sans
influence sur cette phase pré-contractuelle. Le terrain des
négociations risque en effet de glisser des spécifications vers
l'organisation. Ceci s'explique par la méthode empirique de construction
du cahier des charges ou « product backlog ». Il est alors
prévisible que les parties préfèrent raccourcir la
durée des négociations pré-contractuelles pour rapidement
entrer dans un cadre défini par écrit. Cela est d'autant plus
facile pour elles puisque les principes agiles impliquent le changement, qui
peut consister en une rupture de la relation. La possibilité de rupture
étant envisagée dès le départ, les parties
engageront beaucoup moins leur responsabilité lors du recours à
cette option, si tant est qu'elles aient été loyales dans leur
démarche.
Si les parties sont bien imprégnées de l'esprit
des principes agiles pendant les négociations - principes qui impliquent
le changement donc une acceptation implicite ou non d'un certain flou dans
l'objet de l'engagement - cela va avoir pour effet, d'une part de
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faire perdre en précision la détermination du
moment où leurs volontés se rencontrent, et d'autre part de
précipiter le moment de la formation du contrat. En effet, en vertu de
l'article 1134 du code civil, seules les conventions légalement
formées obligent les parties. Entre professionnels l'écrit n'est
pas obligatoire, le contrat sera donc formé dès l'échange
des consentements. Ceci n'est pas sans conséquence, en cas de
contentieux, sur le travail du praticien. En effet ce dernier aura plus de mal
à déterminer le moment exact où le contrat s'est
formé, donc à distinguer entre phase pré-contractuelle et
phase contractuelle. De plus la phase pré-contractuelle aura tendance a
être plus courte puisque les parties sont d'accord sur une part
d'indétermination dans leur engagement, indétermination qui
résulte de l'adoption d'une méthode agile, ce qui par
conséquent accélère l'échange des consentements.
Autrement dit il sera plus difficile de savoir ce qui relève de la
responsabilité délictuelle ou contractuelle, ce qui relève
du droit commun des contrats ou du droit d'un contrat spécial.
La première distinction a toute son importance en
matière de stratégie judiciaire : soit on plaide que le contrat
s'est formé et on agit sur le fondement de la responsabilité
contractuelle, soit on reconnaît qu'aucun contrat ne s'est formé
et on demande réparation de la rupture des pourparlers sur le terrain de
la responsabilité délictuelle. Effectivement, la faute dans la
rupture des pourparlers est purement délictuelle25. En droit
allemand la solution est différente puisque l'on considère que
l'entrée en pourparlers constitue une sorte d'accord implicite,
autrement dit elle créé un rapport d'obligation dans le cadre
duquel on applique la responsabilité contractuelle.
Si les parties ont conclu un accord de principe, cela a pour
effet de mettre à leur charge une obligation contractuelle de
négocier accompagnée d'un devoir de bonne foi.26 La
rupture d'un tel accord ne peut être réparée que par des
dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité
contractuelle de droit commun, l'exécution forcée est exclue dans
ce cas puisqu'elle aurait pour seul effet de recommencer des
négociations.
25 Paris, 5 avr 2002, RTD civ. 2002.802, obs J.
MESTRE et B. FAGES confirmé par Cass. 2e civ., 4 mars 2004,
n°02-14022, inédit (demandes en première instance
fondées sur la R délictuelle, en appel sur la RCC :1978
irrecevables)
26 CA Paris, 7 nov. 2002, Europe Finance et Industrie (EFI) c/
Viel et Compagnie, Expertises 2003, no 269, p. 153
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Une alternative à ce type d'accord est le pacte de
préférence, par lequel l'une des parties reconnaît à
l'autre un droit de priorité à conclure le contrat
définitif, c'est-à-dire une sorte de droit de préemption
d'origine conventionnelle. Dès lors, si le promettant conclut le contrat
projeté avec un tiers sans le proposer au préalable au
bénéficiaire du pacte, il engage sa responsabilité
contractuelle. Ce type d'engagement peut se rencontrer dans les contrats
informatiques, généralement en faveur du prestataire, en
contrepartie d'une étude préalable.
Mais ce contrat préalable peut aussi comporter des
engagements supplémentaires. Ainsi en est-il de la clause
d'exclusivité, par laquelle chaque partie s'engage à s'abstenir
de toute autre discussion du même objet avec un tiers.
Il faut noter que le contentieux pré-contractuel
échappe aux stipulations habituellement existantes entre les parties si
elles sont déjà en relations d'affaires par ailleurs. Elles ont
pu par exemple s'engager sur des clauses attributives de compétence,
lesquelles ne seront pas applicables. En matière de contrats
internationaux c'est l'art 12.1 de la convention de Rome II du 11 juillet 2007
qui règle la question de la loi applicable aux obligations non
contractuelles : on applique la loi qui aurait été applicable si
le contrat avait été conclu. En outre, la mise en oeuvre de la
responsabilité suppose une faute et un dommage reliés par un lien
de causalité, la réparation ne pouvant consister qu'en des
dommages et intérêts.
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