La dilution des marques renommées( Télécharger le fichier original )par Marion Pinson CEIPI - M2 droit européen et international de la propriété intellectuelle 2012 |
§2. Une protection dangereuseLa théorie de la dilution représenterait un danger en ce qu'elle ferait prévaloir de façon disproportionnée les intérêts privés sur l'intérêt général. En ignorant ainsi les intérêts des consommateurs ainsi que ceux des autres commerçants, elle opèrerait un détournement de la fonction du droit de marque (A) et porterait une atteinte excessive au principe de libre concurrence (B). A/. Un détournement de la fonction du droit de marqueLa marque a pour fonction essentielle d'indiquer l'origine des produits ou services qu'elle désigne28(*). Le bien fondé d'une protection de la marquecontre un risque de confusionest donc incontestable. Cette protection repose précisément sur un double fondement :elle est en effet tournée vers les intérêts du titulaire de la marque mais veille égalementà ceux du consommateur. Elle permet au premier de distinguer ses produits ou services de ses concurrents afin de « conquérir sa place dans la compétition et de se prémunir contre les abus de la libre concurrence » tandis qu'elle permet au secondde « faire un choix parmi l'offre abondante des concurrents et de retrouver les produits ou services qui lui ont donné satisfaction »29(*).La protection contre le risque de confusion joue ainsi le beau rôle en servant autant les intérêts des consommateurs que ceux du titulaire. Elle jouit de la plus haute légitimité et constitue ainsi la clef de voûte du système de protection des marques. La protection contre la dilution est loin de bénéficier d'une telle aura. Véritable anomalie du droit des marques pour certains, cette protection contre l'atteinte au pouvoir distinctif de la marque est accordée alors même qu'aucun risque de confusion n'est observé. La protection contre la dilution ne repose ainsi sur aucune considération « sociale » puisque seulsles intérêts du titulaire sont en jeu. Pour cette raison, ce préjudice seraitindigne de protection30(*). En effet, les justifications d'une telle protection sont d'ordre purement économique : il s'agit de protéger la valeur de la marque, et non pas la marque elle-même. Le droit ne s'empare-t-il pas là d'une question qui devrait lui échapper ? La réponse est assurément positive pour certains auteurs qui considèrent que le droit de marque n'a pas pour objet de protéger les investissements consentis par le titulaire31(*). On aurait pourtant tort de se laisser séduire par cette vision consumériste du droit des marques. La Cour de justice, en reconnaissant la fonction de garantie d'identité d'origine32(*), laisse certes l'impression que le droit de marque se préoccupe de la satisfaction des besoins des consommateurs. Pourtant, si le consommateur est pris en considération par le droit des marques, il n'est aucunement un sujet du droit de marque33(*). Loin d'être extravagante, la protection des seulsintérêts économiques du titulaire est naturelle.Il convient ainsi de relativiser la tyrannie d'une supposée fonction « sociale » de la marque et admettre l'existence de fonctions économiques garantissant les intérêts du titulaire. * 28 CJCE, 22 juin 1976, aff. 119-75, Terrapin c/ Terranova, Rec. 1976, p. 1039. * 29 F. POLLAUD-DULIAN, Droit de la propriété industrielle, Economica, Corpus droit privé, 2010, n° 1309. * 30 V. par exemple, S. ZLINKOFF, « Monopoly Versus Competition », 53 Yale Law Journal 514, 1944 ; R.-G. BONE, « A Skeptical View Of The Trademark Dilution Revision Act », 11 Intellectual Property Law Bulletin 187, 2007 ; « Schechter's Ideas in Historical Context and Dilution's Rocky Road », 24 Santa Clara Computer & High Tech Law Journal, 2008, p. 474. * 31 G. RIEHLE, « Markenrecht und Parallelimport », Enke Stuttgart, 1968, p. 130. * 32 CJCE, 22 juin 1976, Terrapin c/ Terranova, op. cit. * 33 Y. BASIRE, Les fonctions de la marque - Essai sur la cohérence du régime juridique d'un signe distinctif, Strasbourg, 2011, p. 473. |
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