B/ Le retour à des valeurs d'authenticité
artistique
Pour les punks, la musique du début des années
soixante-dix est marquée par un sens des possibles qui s'est
désormais évanoui : la rébellion, le sens de la
révolte et surtout l'authenticité. Avant que la musique
rock, au départ marginale et issue des minorités, ne se
standardise au contact des technologies et du marché international, il
existait je le répète une tendance à considérer que
le caractère régional ou national d'une musique garantit son
authenticité avant qu'elle ne soit mise au contact du «
progrès »398. On vient de le voir, le progrès a
envahit tous les dispositifs conçus pour faire de la musique, au point
d'en obstruer les prétentions artistiques et de faire de la performance
scénique une prétentieuse mise en avant du métier et de la
technique des membres du groupe, par le biais du contrôle et l'exhibition
de l'inventivité sonique et de la virtuosité instrumentale. Alors
qu'à la fin des années soixante, on clamait que la musique
populaire devenait de plus en plus intéressante à mesure qu'une
palette de musiciens travaillait les formes pop pour aborder des continents
sonores, lyriques, culturels et politiques insoupçonnés - on
retrouve en l'occurrence deux notions qui peuvent apparaître comme
antinomiques, la populaire et le novateur -, quelques années
après, le baromètre de la musique populaire était de
nouveau orienté vers les valeurs de simplicité,
d'immédiateté et d'accessibilité à tous, passant
outre les trajectoires d'innovation qui sont entre temps intervenues, qu'elles
soient musicales ou techniques. L'objectif fut de revenir à la forme
classique du rock (trio ou quatuor
397 Idem, p. 50.
398 Ibid., p. 51.
d'auteurs/compositeurs/interprètes utilisant
chant/guitare/basse/batterie), solution créative la
moins onéreuse dans le système économique
libéral anglo-saxon des années cinquante et
soixante399. Ce système a largement fait ses
preuves et n'oublions pas aussi que la créativité
avait pu se relancer au début des années
soixante justement parce qu'une génération de
groupe s'était dotée d'appareils d'écoute
et d'instruments peu onéreux pour former un groupe
sans passer par les industries du disque400. Le
phénomène se reproduit de nouveau dans
l'éclosion du « rock garage »
américain, défini comme une sorte de « pré-punk
». Lorsque la
British Invasion démarque en Amérique,
des milliers d'adolescents sont incités là encore à fonder
leurs propres groupes. Le recueil de rock garage intitulé
Nuggets - compilé par Lenny Kaye - rend partiellement compte de
cette floraison de groupes. Le terme « rock garage » signifie que les
groupes jouaient du rock dans les garages de leurs maisons ; il nous rappelle
l'origine domestique des groupes de rock. Autre exemple,
à l'époque du punk en Angleterre, la possibilité
d'enregistrer la musique chez soi, sur le fameux 4 pistes, à faibles
coûts et
pour une qualité d'enregistrement correcte, fut
à la base de la philosophie du « do it yourself ».
Encore une fois, ce sont les musiciens « du populaire » qui ont
réorienté les valeurs de l'innovation en partant d'une
volonté de démocratisation de l'objet technique,
débarrassé des inévitables conditions financières
auquel on l'avait contraint. Comment a réagi l'industrie musicale
anglaise à l'écoute de ce nouveau genre de discours ? Les majors
du disque qui avaient homogénéisées la production avant
l'arrivée des punks ont-elles étaient déstabilisées
?
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