III/ Les reconsidérations musicales ambigües
des années soixante-dix
Les années soixante-dix sont charnières dans
l'histoire de la musique en Grande-Bretagne. C'est justement l'immobilisme
musical mais aussi technologique du rock qui empêchait toute
possibilité de changement, c'est du moins ce que pensait le mouvement
punk (Sex Pistols, Damned, Clash, etc.) en Grande-Bretagne à partir de
1977. Cette dernière sous-partie fait le lien entre ce que nous avons pu
analyser auparavant.
A/ La musique populaire à l'aube des années
soixante-dix : une évolution cyclique
Ce que fustigent les punks, ce n'est pas simplement le contenu
musical en lui-même ; en effet, comme le montre Simon Frith, les grands
principes de la musique populaire ont peu
394 Ibid., p. 266.
changé depuis les débuts de l'enregistrement
395 . Leur discours pointe du doigt ce « remplissage harmonique
», une surenchère musicale pas toujours à la hauteur des
ambitions affichées, mais aussi une utilisation vaine des technologies
qui ont plus servi de support à un étalage musical et visuel,
hors propos de la musique rock « originelle », qu'à une
réelle ambition de création artistique. L'innovation
technique compte certes toujours pour l'industrie du disque, mais beaucoup
moins que le passé, la nostalgie et l'héritage musical
qui, proportionnellement, rattrape inexorablement un genre musical pour en
forger un autre396, soit en se construisant sur ses cendres, soit en
récupérant d'autres éléments stylistiques.
Autrement dit, il est beaucoup plus rentable pour l'industrie musicale de
« piller » un héritage qui a fait ses preuves plutôt que
de lancer de nouveaux projets. L'évolution ne se fait plus par «
attrition », auquel cas chaque genre serait un progrès cumulatif
à la fois supérieur, plus riche, ou mieux adapté que celui
qui est arrivé précédemment, mais elle se forge au
contraire selon une conception nettement plus cyclique, plus circulaire. Dans
le discours dominant de la critique rock, il est en outre reconnu que le «
rock progressif » a été davantage utilisé
négativement que positivement, comme si la musique populaire
était par nature quelque chose qui ne devait pas « progresser
».
Toute l'histoire de l'émergence, du
développement et du déclin des styles musicaux dans la musique
populaire peut s'expliquer et s'analyser sous l'angle de périodes
cycliques. Chaque nouveau genre revêt une forme qui lui est propre,
jusqu'à ce qu'il atteigne une certaine perfection : en l'occurrence,
pour le rock progressif, cette perfection doit autant à sa part de
virtuosité musicale qu'à la prédominance des innovations
techniques, rendues possible par l'intermédiaire d'un arsenal
instrumental et visuel entièrement nouveau. Ensuite vient le temps du
déclin, de la corruption, de la perte d'un public, et le genre en
question de devenir une « parodie de ce qu'il a été jadis
», etc. La musique populaire évolue au sein d'un cycle
395 FRITH, Simon, op. cit., p. 48.
Allan F. Moore montre à juste titre qu'il existe quatre fonctions au
sein de la musique pop : la première articule une série de
pulsations, la seconde consiste à rendre explicite la série des
notes fondamentales de l'harmonie, la troisième consiste à
expliciter une série de mélodies et la quatrième est
appelée le « remplissage harmonique »,
comblant l'espace entre la basse et l'aigu. La structure de cette strate joue
le rôle le plus important quant à l'attribution, par un auditeur
ordinaire, d'une catégorie stylistique puisqu'elle se compose du plus
grand nombre d'instruments divers et variés : guitares, pianos,
saxophones, orchestres, etc. MOORE, Allan F., « La musique pop »,
in NATTIEZ, Jean-Jacques (Dir.), Musiques : une
encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud /
Cité de la Musique, 2003, Tome I, Musiques du XXe siècle, p.
836.
396 Les exemples sont très nombreux comme le mouvement
« grunge » des années quatre-vingt dix qui met un terme
à la New Wave des années quatre-vingt, la britpop qui
récupère quelques années après l'héritage de
la musique « pop » des sixties, la vague Madchester qui fusionne la
musique rock avec les rythmes dance et techno-house venus de Detroit et de
Chicago, etc.
infini de répétitions du processus de
naissance/vie/mort 397 . La vieille musique est continuellement
remise à neuf et le regret a toujours constitué l'essence de la
musique populaire. Plus précisément, la « mort » d'un
courant musical au profit de la « naissance » d'un nouveau trouve
souvent son origine dans les subcultures (contre-culture), qui ouvraient ainsi
une brèche dans la monopolisation d'une forme de musique populaire. Or,
dans le cas du rock progressif, cette opposition fut tardive et il faut
attendre l'arrivée du punk en 1977 et celle d'une nouvelle
génération de jeunes qui succède aux 25-40 ans nés
durant la Beatlemania pour que tout soit remis en question. En
établissant des passerelles entre les courants musicaux, si on
considère les expérimentations avant-gardistes des Beatles de la
seconde moitié des années soixante comme ayant ouvert la voie au
rock progressif, alors on peut isoler cette période brève de
l'histoire de la musique afin de comprendre pourquoi rien n'allait finalement
« progresser », surtout avec l'arrivée des punks anglais.
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