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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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B/ L'investissement des firmes392

Faire une liste de tous les groupes qui émergèrent durant cette période serait trop fastidieux mais on peut néanmoins lister les plus célèbres, dans des styles très différents les uns des autres : Pink Floyd, Genesis, Yes, Jethro Tull, Emerson, Lake & Palmer, Caravan, Soft Machine, etc. Un pic du rock progressif est atteint lors des années 1968-1969, à un moment où les succès obtenus par certains groupes entre 1965 et 1968 poussent les firmes à investir dans ce créneau porteur d'opportunités commerciales et à étoffer les nombreux labels parallèles qu'ils créent à l'époque. En Angleterre, une quinzaine de firmes du disque jouent un rôle fondamental dans la diffusion du rock progressif : on y retrouve autant des majors que les labels indépendants (v. schéma Chapitre 8). Ainsi, en août 1967, EMI, de manière prudente et encore indécise sur le réel succès de la musique « progressive », relance son label Regal Zonophone qui avait créé au début des années trente pour des oeuvres légères et consensuelles (v. Chapitre 3). De 1967 à 1975, une soixantaine de disques de « pop progressif » sont publiés dans cette collection, avec des enregistrements de Procol Harum, Tyrannosaurus Rex, Joe Cocker et des Move. Le succès de Regal Zonophone incite les

392 Je renvoie ici aussi à la Figure 21.

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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années

Beatles : une trajectoire d'innovation globale ?

directeurs d'EMI à lancer un second label progressif le 6 juin 1969, Harvest Records. Taxés d'opportunistes par ses concurrents, le label de Malcolm Jones est surtout l'exemple même d'un discours commercial qui jongle entre ceux qui lui reprochent de s'écarter du métier traditionnel d'une major - ce à quoi Jones répond que le rock progressif est en passe de devenir un genre puisque les disques constitueront en 1970 75% des hit-parades d'albums - et les artistes qui doutent de compromettre leur réputation entre les mains d'une firme commerciale que son fondateur souhaite justement distincte d'EMI afin de lui conserver une relative indépendance393. Harvest s'implante très bien en Europe, et en particulier en Hollande et en Allemagne, notamment en signant un groupe tel que Can, pionnier de la scène expérimentale germanique. Le catalogue de Harvest se constitue à partir de trois sources : les artistes découverts et signés directement par les responsables du label (Barclay James Harvest, Bakerloo), ceux qui sont introduits via Blackhill Enterprise, une société d'A&R dirigée par Peter Jenner qui profite de ses liens avec EMI pour promouvoir des artistes qu'il possède sous contrat (Edgar Broughton Band, Syd Barrett, Third Ear Band, Forest), et ceux qui sont transférés d'autres labels d'EMI (Pink Floyd est d'abord sur Columbia et Deep Purple sur Parlophone).

Dans un esprit tout à fait similaire, Philips fonde avec succès en 1969 le label progressif Vertigo puis, en 1971, le label Nepentha, rapidement abandonné. Quant à Deram, le label progressif de Decca, il aura davantage de succès, en grande partie grâce aux locomotives que sont les Moody Blues ou Move. Comme EMI et Philips, Decca créera aussi une seconde collection, Nova, mais qui n'attirera aucun groupe de renom. Les responsables de RCA ne seront pas plus heureux avec leur label puisque celui-ci, inauguré en 1971, interrompra son activité après seulement onze albums. Toutes ces tentatives d'embrasser la mode musicale de la part des majors ne sont donc pas toujours des succès d'une part parce que l'inscription d'un groupe au sein d'une major dépend parfois d'éléments tout à fait étrangers à ses orientations artistiques (sous le couvert de l'étiquette aguicheuse du « progressif », un groupe peut se faire signer aisément par une major pour disposer d'un contrat avantageux ou d'un appui logistique), et d'autre part si les labels créés par les majors n'accueillent que peu de groupes importants, c'est parce que dans cette course au recrutement, ils sont souvent doublés par une série de petites firmes indépendantes (leurs multiples avantages ont déjà été évoqué auparavant, je ne reviendrai donc pas dessus).

393 PIRENNE, Christophe, op. cit., pp. 262-263.

Les plus grands succès du progressif sont généralement rattachés à des firmes plus indépendantes comme Island (King Crimson, Jethro Tull, Emerson, Lake & Palmer, Procol Harum, etc.) ou encore Charisma, probablement l'un des plus influents. Comme pour Island, son histoire est liée à celle de son fondateur : Tony Stratton Smith. Celui-ci entame sa carrière dans la musique populaire par la création d'une firme de management qui a entre autres sous

son aile Creation et les Nice. Lorsque Immediate, la firme pour laquelle Nice enregistre, fait faillite, Stratton-Smith rend

le relais et crée son propre label. D'emblée, il se singularise

en mettant en place une nouvelle forme de management qui permet aux groupes de mieux supporter les charges

financières. Ainsi, il avoue que, pour le groupe Lindisfarne, la part du management est de 15%, alors que, toujours selon lui, certains managers s'octroient jusqu'à 50% des gains des groupes débutants 394 . Ses arguments financiers séduisent puisqu'en 1971, son catalogue comprend quelques noms prestigieux de la musique progressive dont Genesis, Nice, Van der Graaf Generator, Lindisfarne, Rare Bird, Belle and Arc, Audience, etc. Au cours des années quatre-vingt, Charisma sera rachetée par Virgin, une autre firme indépendante qui avait commencée comme compagnie de distribution spécialisée dans une branche particulière du rock progressif venue d'Allemagne, très expérimentale : le krautrock (Tangerine Dream, Faust, etc.). De même, c'est grâce au succès planétaire d'un pur disque de musique progressive, les Tubullar Bells de Mike Oldfield (1973) que Richard Branson a pu jeter les bases de son empire...

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault