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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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C/ La démocratisation de la lutherie électronique : des conséquences à double tranchant

Dès le début, les nouvelles technologies ont donc joué un rôle comme « accélérateur » du progrès musical. Sans technologie, pas de musique rock. Il est parfaitement logique que la production musicale inclue dans ses coûts une importante somme dédiée aux progrès techniques, ces derniers laissant leurs marques directement sur la musique. Les années soixante prolongent cette mouvance avec une nouvelle génération d'outils technologiques plus pointus les uns que les autres, et en parallèle moins coûteux à produire en série. Auparavant, les inventions qu'ont été les premiers synthétiseurs (comme le synthétiseur RCA) furent élaborées dans le confinement des laboratoires, au sein de cercles restreints. Peu nombreuses étaient les personnes assez fortunées pour se les procurer. Les années soixante font passer ces technologies de la sphère savante (musique expérimentale pure et dure) à la sphère populaire via leur industrialisation. Comme le montre Guillaume Kosmicki, les délais vont se réduire de plus en plus entre la découverte confinée et l'application au domaine du grand public : « De dizaines d'années entre l'invention et sa diffusion massive, ils vont se compter de jours en mois, ou en semaine parfois. »382 Ce sont aussi les années qui ouvrent l'exploration d'une nouvelle voie : celle de l'expérimentation sonore en direct.

Attention néanmoins, si j'ai mis l'accent au début de cette partie sur l'importance du travail en studio à partir de la date symbolique de 1966, en montrant que justement certains travaux étaient irréalisables sur scène, c'est avant parce que deux optiques sont non seulement

381 BUXTON, David, op. cit., p. 139.

382 KOSMICKI, Guillaume, Musiques électroniques : des avant-gardes aux dance floors, Marseille, Le mot et le reste, 2009, p. 47.

possibles (studio/scène) mais aussi par les enjeux artistiques ne sont pas tout à fait les mêmes : à la création purement artistique en studio, visant à élaborer un ensemble cohérent et parfaitement réfléchi, la scène, quant à elle, donne plus à entendre (mais aussi à voir) les audaces d'artistes désireux d'expérimenter sur des territoires sonores inexploités. Cette

expérimentation, on la retrouve sur scène au travers des appareils de contrôle (la table de mixage et ses

différents potentiomètres de filtrage et de réglage du

volume, les effets divers) ainsi que par l'intermédiaire des instruments de synthèse sonore.

Par exemple, le mellotron (v. ci-contre) est commercialisé à partir de 1963 en Angleterre. Chaque touche du clavier de l'instrument actionne une bande magnétique avec un son préenregistré. S'il n'est donc pas possible de générer des sons originaux à partir de cet instrument, on peut cependant reproduire des sonorités réelles stockées dans un ensemble de trente-cinq bandes enregistrées. Le mellotron constitue un premier pas vers ce que seront les échantillonneurs (samplers) numériques à la toute fin des années soixante-dix. On l'entend de façon remarquable sur le 45-tours à succès des Moody Blues, « Nights in White Satin ». Parmi les autres synthétiseurs on pourrait tout aussi bien citer le Fender Rhodes, lancé à partir de 1964, les orgues Vox ou Farsifa, ou encore le Moog (du nom de son inventeur, Robert Moog, et l'un des premiers à vendre ses synthétiseurs à grande échelle sous l'impulsion du Mini-Moog, inventé en 1971) dont chaque module, connecté librement à un autre selon la chaîne désirée, prend en charge une fonction spécifique de transformation sonore (générateur d'onde, filtrage, etc.)383. C'est un grand succès populaire, et on l'entend alors, à partir de 1968, au sein de nombreux groupes de rock, mêlé par exemple à des guitares électriques.

L'un des albums les plus célèbres et les plus représentatifs de cette tendance à la « technicisation » des musiques populaires au début des années soixante-dix reste le Dark Side of the Moon des Pink Floyd (mars 1973), riche en expérimentations sonores de toutes sortes. L'amalgame unique entre insertions de bruits d'ambiance, effets de synthétiseurs et de réverbérations destinés à « sculpter » le son, etc. contribue à forger une anecdote célèbre selon laquelle l'album, vitrine technologique

383 Idem, pp. 48-50.

à part entière, servirait de test d'écoute pour les futurs acquéreurs de chaînes hi-fi. À titre symbolique, le début des années soixante-dix marque ainsi le pic du déploiement des capacités technologiques en musique populaire. Autant les nouveaux instruments nés de l'évolution de la lutherie électronique au cours des sixties se démocratisèrent auprès des musiciens, autant ils façonnèrent en contrepartie une sophistication technique inappropriée aux studios les plus indépendants qui ne disposaient pas des fonds nécessaires, mais qui pourtant se devaient de se conformer tant la mode suivait une trajectoire parallèle à l'essor des technologies : « Chaque nouveau disque d'un artiste est meilleur que le précédent ; chaque nouvelle technique de production/reproduction du son offre une meilleure expérience d'écoute. Les vieux sons ne sont plus « à la page »384. Quant à la scène, l'invention des amplificateurs transistorisés a permis une énorme augmentation du volume sonore idéal pour les concerts à grande échelle, tandis que ces mêmes amplificateurs donnèrent naissance au genre hard rock ou heavy metal. De plus en plus, produire un disque devenait une opération onéreuse et qui prenait du temps385 : « [...] La décennie qui va de Pet Sounds à Wish You Were Here est caractérisée par un accroissement permanent de temps consacré par les groupes au travail de studio. »386 La séparation rigoureuse entre les deux formes de capital fixe dans la production de la musique - la star/image et les moyens de production (les machines) - devenait de moins en moins évidente. Encore une fois, la prédominance des majors joue avec habilité sur la part prise par les technologies pour rassembler en son sein, par le biais d'une médiation capitaliste, la production devenue de plus en plus homogène des groupes anglais « mastodontes » qu'ont été les Pink Floyd, Genesis ou, dans un registre différent, Led Zeppelin. C'est le paradoxe des innovations technologiques : tantôt capables d'ouvrir la voie à la créativité en diversifiant les produits et les genres musicaux, ces progrès avaient pour défauts d'alourdir et d'augmenter les coûts de la chaîne de production, ce qui rendait cruciaux les objectifs de devoir convertir les dépenses effectuées, généralement élevées, en bénéfices nécessaires387. Selon cette perspective, les changements technologiques initiés par l'évolution de l'industrie du disque permettent d'améliorer des aspects esthétiques

384 FRITH, Simon, « Écrire l'histoire de la musique populaire » in DAUNCEY, Hugh, LE GUERN, Philippe (Dir.), Stéréo : sociologie comparée des musiques populaires : France/G.-B., Paris, Irma éditions, Puceul, Mélanie Séteun, coll. « Musique et société », 2008, p. 48.

385 Alors qu'en 1963, Please Please Me des Beatles est capté sur un enregistreur deux pistes et terminé en une journée, Cream passe deux semaines pour réaliser la prise de son de l'album Disraeli Gears sur un huit pistes en 1967. En 1975, il faut six mois à Pink Floyd pour boucler Wish You Were Here aux studios Abbey Road, alors dotés d'un vingt-quatre pistes !

386 PIRENNE, Christophe, Le rock progressif anglais (1967-1977), Paris, Éditions Champion, coll. « Musique - musicologie », 2005, p. 289.

387 Les grandes maisons de disques avaient aussi de plus en plus tendance à placer les coûts de la production dans leurs contrats et donc, à les déduire des droits d'auteur.

déjà connus mais en aucun cas ils ne sont sources d'innovation et de création. La musique a donc du « progresser » par d'autres moyens.

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