B/ Le progrès technologique, intrinsèque
à l'évolution des musiques populaires
Alors que l'acoustique était garante de
l'authenticité de la musique folk, les puristes critiquèrent la
musique pop/rock pour son utilisation de la technologie électronique,
signe
374 Idem, p. 142.
375 Ibid., p. 153.
376 Avant l'invention d'un mécanisme «
auto-synchronisant » en 1962, il fut impossible de « doubler »
une piste, et on enregistrait tout le groupe en même temps. Le cas
inverse le plus caricatural fut incontestablement celui de Pink Floyd puisque
lors des enregistrements de The Wall (1979), les tensions entre les
membres du groupe étaient si fortes qu'ils se croisèrent à
peine au cours des prises de son.
d'un compromis avec les intérêts du capital. Pour
ces idéologues, la technologie de la musique a renforcé
l'aliénation du musicien à ses moyens de production,
dorénavant sous le contrôle du grand capital. Nombreux en effet
sont ceux qui pensaient alors que la musique traditionnelle britannique et
irlandaise, affranchie des progrès techniques, pouvait
représenter l'antidote idéal à une éventuelle
colonisation culturelle américaine : ce fut par exemple le cas de la
Copper Family ou de Shirley Collins377. Néanmoins, le
folk-rock naît du croisement inévitable du folk américain
avec le rock et le blues britannique 378 : l'un des albums fondateurs fut le
Folk, Blues and Beyond de Davy Graham en 1964 (Decca).
Désormais, le message politique y est périphérique.
À la fois soucieux d'innovation, le paysage musical anglais est
marqué en contrepartie par la tradition.
Par la suite, dépassant les clivages et les
rassemblant, véritable force culturelle collective de la
génération du baby boom, l'arrivée du rock et des Beatles
durant les années soixante accentuèrent davantage encore la
collision entre technologie et construction d'une forme culturelle
internationale (le « village global » dont parle McLuhan), qui
dépasse le localisme étroit des cultures folk pour au contraire
se forger, comme on l'a vu lors des précédents chapitres, par une
interaction perpétuelle entre la Grande-Bretagne et les
États-Unis. Par exemple, c'est le blues, qui émerge dans le
quartier de Soho avec Alexis Korner et Cyril Davies, qui servit de terreau
à la création à partir des années soixante de
très nombreux groupes ayant assimilé l'héritage
noir-américain 379 . Alors que les ventes de guitares
électriques s'envolent (les premières sont mises au point dans
les années trente), que les instruments s'amplifient, réduisant
ainsi le nombre d'instrumentistes présents lors des séances
d'enregistrement, et que la télévision et les satellites
contribuent à la visibilité de cette nouvelle forme de culture
musicale380 transcendant les frontières pour réunir en
son sein un public jeune et adolescent, on retrouve encore le progrès
technologique qui singularise le rock par rapport à d'autres formes
musicales. Ainsi, « tout comme McLuhan a servi de tête de pont
entre les courants alternatifs et les besoins de la restructuration capitaliste
[...], le rock fut le
377 ROBERT, Philippe, MEILLIER, Bruno, Folk &
renouveau : une ballade anglo-saxonne, Marseille, Le mot et le reste,
2011, pp. 18-19.
378 D'après les historiens spécialistes,
l'évènement fondateur est l'électrification de la guitare
de Bob Dylan au festival de Newport le 25 juillet 1965, véritable
rupture entre puristes et modernes, les premiers y voyant une véritable
trahison. Le phénomène se reproduit le 17 mai 1966 au Free Trade
Hall de Manchester, en Grande-Bretagne cette fois-ci.
379 Pour plus de précisions, on consultera l'ouvrage
suivant : BLAMPAIN, Gilles, British blues 1958-1968 : la décennie
fabuleuse, Bègles, Le Castor Astral, coll. « Castor Music
», 2011, 165 p.
380 Dans le sillage de Marshall McLuhan, Robert Burnett
préfère à juste titre parler dans son introduction de
« global jukebox » afin de mieux cerner l'aspect musical de
la question. BURNETT, Robert, The global jukebox : the international music
industry, Londres, Routledge, 1996, pp. 1-7.
fruit d'une alliance historiquement unique entre la
technologie et des formes culturelles organiques »381. On
entend par « formes culturelles organiques » ce qui justement
constitue la base de la culture pop/rock : au départ une forme musicale
traditionnelle et marginale venue des États-Unis, le blues, qui
rapidement s'enticha de l'introduction des instruments amplifiés afin de
capter l'excitation, le bruit et la fureur des villes et d'un contexte social
en proie à la discrimination. Encore une fois, si la musique à
base électrique a pu dominer la base populaire, on comprend que c'est
parce qu'elle porte en elle un arrière plan social que la musique tente
de reproduire esthétiquement. De la même façon que l'on a
souvent lié le rôle social de la musique populaire au fait de
vieillir, et en particulier à la construction sociale et à
l'expérience de la jeunesse.
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