B/ Une inévitable reprise en main
Dès lors, l'expansion du marché à la fin
des années soixante s'est accompagnée inexorablement d'une
stabilisation des goûts progressive de la part des consommateurs qui, se
ralliant aux nouveaux styles, ont petit à petit établi leurs
préférences. De la part des musiciens également, les
innovations musicales et technologiques des groupes des années soixante
bouleversèrent en contrepartie pour les décennies à venir
les nouvelles normes d'usage en terme de conception musicale. Autant
l'accélération d'un cycle d'obsolescence des tubes correspondait
à une période de croissance pour l'industrie musicale, autant il
faut remarquer que là où le tandem
créativité/désuétude bouleverse à nouveau le
marché, c'est à partir du moment où certaines formes
musicales deviennent populaires et s'uniformisent sur le marché national
: dès lors, les majors s'appuient sur leur poids économique afin
de racheter un catalogue édité sur un indépendant, pour
ensuite homogénéiser et formaliser la musique à
destination d'un « marché de masse ». D'où la
disparition, revente où encore fusion générale des petits
labels qui ne sont pas vraiment à même de gérer le
succès commercial. Ainsi, se ferme le paradigme que les petits labels
ont contribué à ouvrir. Deux rares exceptions peuvent
néanmoins être notées :
Lorsque que Immediate parvient à
débaucher les Small Faces de chez Decca au printemps 1967 pour 25 000
livres, le fondateur du label, Andrew Loog Oldham, se contente de marcher sur
les traces des majors, assuré de sa crédibilité d'ancien
manager des Rolling Stones, qui signèrent chez Decca. Sa connaissance
sérieuse du fonctionnement des majors lui permet même de placer
les royalties générées par l'énorme
succès du groupe de Steve Marriott sur un compte dans un paradis fiscal,
ne faisant que perpétuer des pratiques anciennes, mais compromettant son
rapport de confiance avec les artistes. Immediate ferme malgré tout ses
portes en 1970 suite à des problèmes de trésorerie.
Plus révélateur encore, les Beatles placent avec
leur société Apple dix singles dans le Top 10
des charts britannique entre 1968 et 1969. Elle tire également son
épingle du jeu grâce aux succès de ses membres en solo
même si elle doit restreindre ses activités à la seule
branche musicale au bout d'un an d'exercice. Apple, avec le label
américain Motown, parviennent ainsi tant bien que mal à maintenir
une structure qui constitue une sorte de refuge salutaire dans une industrie
globalisante qui ne fait alors plus rêver. Le reste de l'activité
est
principalement dominé par six maisons de disques, dont
quatre sont américaines : CBS, RCA-Victor, MCA, Warner, Capitol-EMI
(structure anglo-américaine) et Polygram (issu du groupe
néerlandais Philips).
Le résultat de cette mutation de l'industrie du disque
confirme que l'argent est bien le nerf de la guerre : «
L'époque utopiste du « tout est possible » contribue
à la multiplication des labels mais leur gestion souvent irrationnelle
et les obstacles qu'ils affrontent, comme la difficulté de trouver un
diffuseur indépendant, condamnent le projet à l'échec. Il
s'ensuit, à la fin de l'année 1969, un effet opposé :
alors que le marché se fragmentait en 1967, il se concentre
désormais en de puissants groupes qui se consacrent aussi bien à
des activités musicales que cinématographiques, coïncidant
ainsi avec la fin du rêve hippie. »370
Conclusion du chapitre :
En avril 1970, les Beatles se séparent et les
Conservateurs reviennent au pouvoir. En aucun cas, cette date ne marque la fin
d'une période musicale mais plutôt une phase de transition puisque
l'essor des innovations musicales continue sur sa lancée, et ce
malgré la réappropriation des indépendants par les majors.
Pour conclure, si on remarque que c'est la musique populaire qui en grande
partie dynamise l'industrie musicale en Grande-Bretagne à la fin des
années soixante, c'est pour la raison simple que cette catégorie
de musique se prête davantage à la réception de courants
qui renouvelaient son inspiration, et servait de support à une
société qui elle aussi était en plein changement : pour
Adorno, le postulat est clair, dans le domaine des musiques populaires, le
contexte prime même sur le texte et le contenu puisque ce sont les
contingences socio-économiques qui construisent les genres de musique
populaire. On comprend mieux pourquoi c'est là où le taux de
rentabilité est le plus élevé (le phénomène
des « tubes », variétés populaires) que la grande
entreprise à le plus de mal à exercer un contrôle.
Rajoutons pour finir que les supports de la télé et du
cinéma étaient moins accessibles à la création
populaire en raison d'un capital nécessaire à leur
fonctionnement.
370 RUFFAT, Guillaume, ARCHAMBAUD, Cyrille, LE BAIL, Audrey,
op. cit., pp. 58-59.
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