TROISIÈME PARTIE
LES DYNAMISMES DE LA
CRÉATIVITÉ : VERS UNE
RECONSTRUCTION DES INDUSTRIES
MUSICALES (1966 - DÉBUT DES
ANNÉES 1970) ?
« Il est juste de dire que la musique est le plus
universel des moyens de communication dont nous disposons actuellement,
traversant le langage et les autres barrières culturelles d'une
façon que les universitaires comprennent rarement... La musique
populaire est certainement l'aspect le plus « global » de notre
« village planétaire ».
R. BURNETT (The Global jukebox)
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INTRODUCTION À LA PARTIE
En 1966, trois ans après le scandale Profumo et les
débuts de la Beatlemania, et au moment où le travailliste Harold
Wilson remporte les élections anticipées, les Beatles donnent
leur dernier concert le 29 août au Candlestick Park de San Francisco, et
décident à la même période de s'enfermer dans le
milieu du studio d'enregistrement, afin de donner libre cours à la
créativité musicale et de parfaire des disques
dont la conception de plus en plus élaborée les rendait
difficilement reproductible sur scène. Premier point donc, la tendance
du début du siècle au sein de laquelle le disque disposait
d'ajustements techniques pour s'accorder le plus possible au modèle du
concert est désormais complètement inversée.
La date de 1966 est plus à prendre dans un sens
symbolique, il ne faudrait pas y voir un moment charnière dans la
constitution des industries musicales par exemple. Cependant, avec le recul,
alors que la culture pop restait liée à des impératifs
commerciaux immédiats liés à une culture médiatique
prédominante (v. précédente partie), le groupe de
Liverpool prend une décision beaucoup plus audacieuse que les apparences
ne pourraient le laisser croire : changeant les règles du jeu dans le
show-business, les médias audiovisuels et surtout dans la culture
populaire de masse, largement méprisée par les intellectuels, ils
parviennent dans un premier temps à donner ses lettres de noblesse
à la musique populaire. Pour schématiser, jusqu'à
présent, une pratique largement répandue était celle
du covering, à savoir la reprise d'un morceau qui tente d'en
reproduire le sound caractéristique, dans l'espoir que la
nouvelle version devienne elle aussi populaire que l'ancienne. Avec les
Beatles, les technologies de pointe s'investissent moins désormais
à la restitution « fidèle » du son par rapport à
un modèle préexistant comme c'était le cas jusqu'alors,
mais servent plutôt aux artistes comme des vecteurs de l'innovation
musicale. Création n'est donc pas que synonyme de nouveauté ou
d'originalité, mais elle est aussi synonyme de non-conformisme, de
rupture des normes établies.
En outre, sur le plan structurel, les Beatles libèrent
une phase de créativité qui, sur le long terme, prennent à
revers les grandes majors du disque et font éclore tout un lignée
de labels plus ou moins indépendants. La Grande-Bretagne prend
désormais sa « revanche culturel » sur l'Amérique, et
parvient en outre, par l'intermédiaire d'un contexte favorable au
bouillonnement musical et à l'ouverture sur d'autres genres dans un
effet de « syncrétisme » culturel, à
réécrire une page de l'histoire de la musique populaire au
tournant des années soixante et soixante-dix. En effet, au-delà
de la dissolution des Beatles au début de l'année
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1970, l'industrie musicale en Grande-Bretagne s'est tour
à tour transformée, entre phase de concentration et de
reconcentration, logique de rentabilité et logique de
créativité. Jamais l'interaction entre ambitions créatives
et nécessités économiques n'avait jusqu'ici atteint un tel
sommet, ce qui rend les analyses d'autant plus intéressantes qu'elles ne
se limitent pas à une borne chronologique stable et donnent accès
à de multiples ouvertures.
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