C/ L'industrie anglaise sur le devant de la scène
musicale européenne
Qui plus est, contrairement au modèle
américain287, ce ne sont plus les indépendants qui
provoquent le changement mais les majors (au départ du moins),
avec EMI en tête pour les Beatles. Voyons maintenant comment celles ci se
sont entichées du phénomène pop et en quoi leurs
décisions eurent un impact décisif sur les ventes de disques. Au
début des années soixante, EMI et Decca entrent dans une
période faste avec le succès foudroyant de la musique pop.
À cette époque néanmoins, les responsables des maisons de
disques ont des stratégies fondées sur des succès
éphémères ; ils sont persuadés, à tort, que
la beat music288 a
285 SOUTHALL, Brian, The Rise & Fall of EMI Records,
Londres, Omnibus Press, 2009, p. ?
286 HAINS, Jacques, « Du rouleau de cire au disque
compact » in NATTIEZ, Jean-Jacques (Dir.), Musiques : une
encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud /
Cité de la Musique, 2003, Tome I, Musiques du XXe siècle, p.
920.
287 L'exemple le plus célèbre reste celui
d'Elvis Presley, qui enregistra dans les studios de la petite firme Sun Records
avant d'être engagé par RCA.
288 La beat music ne signifie pas « musique des
Beatles ». C'est une forme de musique instrumentale et chantée qui
signifie « musique rythmée » et qui remplace le skiffle
à la fin des années cinquante. À mi-chemin entre la
variété populaire anglaise (Tommy Steele) et le rock and roll
américain, elle va trouver ses meilleurs représentants avec les
Shadows de Cliff Richard puis, dans un registre plus vocal, les Beatles.
vécu et qu'elle va être remplacée par une
musique dansante venue d'Amérique, le twist. C'est la raison majeure
pour laquelle Dick Rowe, l'un des responsables de Decca-UK qui pourtant avait
signé Lonnie Donegan, Tommy Steele ou encore Cliff Richard, rejette les
Beatles après une audition. Ils signèrent finalement sur le
sous-label Parlophone et font leur percée en 1963 avec le single «
From Me to You », leur second Numéro un en Grande-Bretagne
après « Please Please Me », succès confirmé de
nouveau avec « She Loves You », qui figure désormais dans le
classement des meilleures ventes de singles de tous les temps en
Grande-Bretagne. De son côté, Decca se rattrape en signant en 1963
les Rolling Stones, dont le premier album sort en 1964 et dont le succès
planétaire commence avec le 45-tours « (I Can't Get No)
Satisfaction » qui dès sa sortie à l'été 1965
devient Numéro un des charts anglais en américains. Le groupe
restera chez Decca jusqu'en 1970, terminant ces sept années de
collaboration avec l'album Get Yer Ya-Va's Out !,
considéré comme l'un des meilleurs enregistrements en public de
l'histoire du rock, et dont les albums publiés entre temps sont des
succès critiques et commerciaux (Aftermath, 1966 ; Beggars
Banquet, 1968 ; Let it Bleed, 1969). Ils partiront après
fonder leur propre compagnie, ouvrant ainsi une période de crise pour
Decca. Sur les traces des Beatles et des Rolling Stones, s'appropriant de
juteuses campagnes promotionnelles et véhiculant les titres par la
radio, l'industrie musicale européenne se réintroduit sur le
devant de la scène internationale même si ce sont en grande
majorité EMI et Decca qui profitèrent le plus de ces dizaines de
formation qui vont graver les principaux épisodes de l'histoire de la
musique pop anglaise : les Yardbirds (Five Live Yardbirds, 1964, EMI),
les Who (My Generation, 1965, Decca), les Them (The Angry Young
Men, 1965, Decca avec le fameux tube « Gloria ») ou encore les
Pink Floyd (The Piper at the Gates of Dawn, 1967, EMI) et bien
d'autres. Quant aux maisons de disques américaines, omniprésentes
sur le marché anglais malgré les origines américaines du
rock and roll, elles sont un autre fait marquant et capital car il est à
l'origine de la mondialisation du secteur. Les majors CBS, RCA et Warner
décident ainsi de s'implanter directement sur les marchés anglais
et européens et ouvrent des bureaux à Londres. Ce sont d'ailleurs
les majors américaines qui découvriront la seconde
génération de talents anglais avec par exemple Led Zeppelin en
1963289 (label Atlantic), en même temps qu'elles prirent les
leçons de la signature de groupes par des majors anglaises et non par
des indépendants290.
289 PICHEVIN, Aymeric, Le disque à l'heure
d'internet : l'industrie de la musique et les nouvelles technologies de
diffusion, Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales »,
1997, p. 27.
290 Par conséquent, après le festival de rock de
Monterey en 1967, des artistes aussi majeures que Janis Joplin signèrent
chez Columbia, Jefferson Airplane chez RCA et le Grateful Dead chez la
Warner.
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