CHAPITRE 6 : L'ÉMERGENCE DU STAR-SYSTÈME
ET LA STANDARDISATION DES LOGIQUES MARKETING
Avant d'entamer ce chapitre, commençons par
définir ce qu'est réellement le star-système : «
Économiquement, le star-system correspond à une
stratégie de l'industrie phonographique qui consiste à
rentabiliser l'exploitation d'un petit nombre de vedettes par la mise en oeuvre
de campagnes de promotion à grande échelle, afin de toucher un
très large public. »269 L'avènement de
nouveaux moyens technologiques à la fois dans la production et les
médias, devenus « audio-visuels » (radio,
télévision, disque), qui augmentent la visibilité de
l'artiste, ont été indispensables, à tel point qu'ils
constituèrent une passerelle systématique à tous ceux qui
souhaitaient faire carrière. Alors qu'un autre support technique, le
microphone, a pu servir de base quelques années auparavant pour attirer
l'attention sur le chanteur, qui pouvait désormais se sensibiliser
à toutes les subtilités de la voix et de l'émotion, cette
orientation précoce a permis au charisme de la star de se
développer et de fournir les instruments nécessaires à la
naissance des « idoles ». Quels sont ces instruments et de quelle
manière l'industrie du disque en Grande-Bretagne à telle pu se
les approprier ? Existait-il en parallèle des exceptions pour qu'un
artiste puisse se faire connaître, et peut-on affirmer que toutes les
innovations musicales de la seconde moitié des années soixante
sont naît de cette fusion entre une industrie globalisante et les
médias de masse ?
I/ Radio, presse et course à l'audience
269 CHOCRON, Catherine, « Les enjeux économiques
du rock » in GOURDON, Anne-Marie (Dir.), Le rock (1994)
cité dans PICHEVIN, Aymeric, Le disque à l'heure d'internet :
l'industrie de la musique et les nouvelles technologies de diffusion,
Paris, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », 1997, p. 25.
A/ La naissance du hit-parade
Alors qu'entre 1956 et 1958, les ventes de LP passent de 1,7
millions à 2 millions, et que durant le même laps de temps, celles
des 45-tours constatent une augmentation de 1,3 millions à 7
millions270, jamais l'enthousiasme pour la musique
enregistrée n'aura été aussi grand. Comparativement, on se
rend compte que le phénomène est généralisé
et s'étend y compris sur la longue durée puisqu'en Allemagne, on
passe de 40 millions de disques vendus en 1955 à 110 millions en 1973
tandis qu'en France, sur la même période, l'augmentation passe de
18 à 100 millions. Cependant, c'est aux États-Unis que la
croissance est la plus impressionnante avec 250 millions de disques vendus en
1946 et 600 millions en 1973. Cette augmentation continue des ventes est
favorisée grandement par la radio, qui participa aux bouleversements
organisationnels nés avec l'arrivée de la musique populaire.
Médium de diffusion à part entière, la radio contribua
à introduire les charts et à faire naître le
hit-parade, que l'on définit comme le classement des
meilleures ventes de 45-tours sur une semaine ou un mois. Le plus ancien en
Angleterre est le Top Twenty du Record Mirror, repris ensuite
par la BBC-TV pour son célèbre Top of the
Pops271. Cependant, les premiers hit-parades n'ont pas la
prétention de refléter les chiffres de vente des disques mais
simplement les demandes du public auprès des radios, en tenant compte
des appels des auditeurs dans leur programmation. Elle ne pouvait programmer
qu'un nombre limité de disques. En outre, bien avant la radio, ce sont
essentiellement les juke-box, fonctionnant dans les coffee bars et
les milk bars, qui permettent de diffuser au cours des années
cinquante des chansons populaires américaines inconnues sur les ondes
britanniques ; les disques contenus dans l'appareil sont changés une
fois tous les quinze jours par des sociétés de location, ce que
montre l'un des premiers « sociologues du juke-box » Richard
Hoggart272.
Le premier single Numéro un en Angleterre est
ironiquement un titre publié par Capitol, le « Here in My Heart
» d'Al Martino (novembre 1952), en même temps que l'instrumental
« Oh Mein Papa » du trompettiste Eddie Calvert, tandis que le
Songs for Swingin' Lovers ! de Sinatra fut le premier LP à
atteindre le top des charts (v. annexe 10). Une
réglementation stricte s'imposait cependant dans les règles du
hit-parade : un morceau de deux à deux minutes trente et si possible, au
niveau musicologique, une musique facile à écouter autant d'un
point de vue mélodique qu'harmonique, avec des paroles peu
sophistiquées et un rythme
270 SOUTHALL, Brian, The Rise & Fall of EMI Records,
Londres, Omnibus Press, 2009, p. ?
271 LEMONNIER, Bertrand, Culture et société
en Angleterre de 1939 à nos jours, Paris, Belin, coll. «
Histoire Sup », 1997, p. 117.
272 Cf. HOGGART, Richard, The uses of literacy
(1957).
sans rupture273. De cette façon, l'industrie
du disque pensait atteindre un marché de masse à même de
propulser le produit en tête des charts. Par la suite, les
découvertes du producteur anglais Norrie Paramor que furent Cliff
Richard et Helen Shapiro, alors que pendant ce même temps Parlophone
signe Adam Faith, ont permis entre 1958 et 1962 de faire rentrer cinquante
singles dans le hit-parade anglais tandis que Cliff Richard et ses Shadows ont
vendu au total plus de 5,5 millions d'albums.
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