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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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C/ Un usage musical qui reste à définir

À cet étape de notre étude, rien n'indique pour autant que le disque allait se constituer comme un canal de diffusion de musique auprès des auditeurs ; comme on le vient de le montrer, les innovations techniques sont rudimentaires et en aucun cas les contemporains ne pensaient faire du phonographe un moyen d'accès à la musique, surtout à un moment où la musique occidentale atteignait son apogée, avec les symphonies et les grands opéras. N'oublions pas qu'Edison ne faisait apparaître l'usage musical de son phonographe qu'au quatrième rang d'une liste qui privilégiait d`abord une vocation administrative (dictaphone, répondeur). Avant d'être objet musical, la « machine parlante », telle qu'on la surnommée péjorativement à l'époque, doit plus être considérée comme un produit du scientisme fin de

24 En octobre 1899, Gramophone acquit un tableau de Francis Barraud qui allait devenir le plus célèbre symbole de l'enregistrement : il représentait le fox-terrier Nipper prêtant l'oreille au son d'un gramophone et reconnaissant « la voix de son maître » (His Master's Voice ou HMV).

25 Victor est une société américaine créée en 1901 par Eldridge Johnson à la suite d'un conflit entre Berliner et ses associés.

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Beatles : une trajectoire d'innovation globale ?

siècle, consacré à la victoire de l'Homme sur le temps qui passe. Ainsi, l'idée d'archiver les sons se propage, mais dans une vocation au départ plus scientifique et patrimoniale que musicale : la première institution dédiée à la conservation des enregistrements est créée à Vienne en 1899. En Angleterre, il faut attendre juin 1951 pour voir l'apparition de l'Institut britannique de l'enregistrement sonore, basé à Londres26. Par extension, on pense également se servir du phonographe pour un travail de collectage des musiques traditionnelles, et ce même jusqu'en 1939 avec la création du label Topic, sous l'impulsion décisive des musiciens Ewan MacColl et Albert Lancaster Lloyd (dit « A.L. » Lloyd). Cette maison de disques, probablement le premier label à être qualifié d'« indépendant », publiera d'autres artistes de la mouvance folk revival comme les Américains Woody Guthrie, Pete Seeger ou encore Ramblin' Jack Elliott27. Néanmoins, on ne pense pas encore à faire du disque le moyen d'enregistrer des musiques nouvelles.

Or, c'est également tout l'objectif de cette partie que de montrer par quels procédés le disque s'est forgé en tant que médium musical. Avant d'étudier par la suite (v. II) la place prise par le phonographe au milieu des pratiques musicales existantes, ce qui suppose naturellement que la musique fut l'aspect privilégié par les firmes pour servir de critère de vente, il s'agit d'analyser les modifications des dispositifs techniques préexistants qui ont fait émerger le phonographe comme un vecteur d'accès au loisir musical.

En effet, le disque implique dans ses caractéristiques techniques mêmes l'invention d'un format musical nouveau. Sophie Maisonneuve définit par format « un ensemble de qualités techniques et esthétiques résultant de l'ajustement entre un « objet » musical, le(s) médium(média) technique(s) par le(s)quel(s) il advient et les dispositions culturelles qui les rencontrent »28. L'imposition du nouveau support disque + gramophone sur l'ancien cylindre + phonographe s'effectue en 1927 par l'intermédiaire du disque en laque 78-tours de 25 centimètres, commercialisé dès 1903. Il implique un ensemble de caractéristiques qui vont avoir une influence sur la musique enregistrée, dont en premier lieu l'évolution de la durée d'enregistrement, qui permet de passer des deux minutes suffisantes au début du siècle pour l'enregistrement d'un message aux disques double face adoptés par la Gramophone Company

26 DEARLING, Robert & Celia, RUST, Brian, The guinness book of recorded sound : the story of recordings from the wax cylinder to the laser disc, Londres, Guinness Superlatives Ltd, 1984, p. 111.

27 ROBERT, Philippe, MEILLIER, Bruno, Folk & renouveau : une ballade anglo-saxonne, Marseille, Le mot et le reste, 2011, p. 12. On peut également citer l'exemple aux États-Unis du label Folkways, fondé par Moses Asch en 1948, qui recueillit des musiques à vocation « documentaire », inspiré par l'activisme pionner d'Alan Lomax en matière de collecte de musiques.

28 MAISONNEUVE, Sophie, L'invention du disque 1877-1949 : genèse de l'usage des médias musicaux contemporains, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2009, p. 103.

en 191229, en passant par la commercialisation du 78-tours. Ce dernier devient le standard mondial vers 1930 et le restera jusqu'à l'apparition du microsillon 33-tours en 1948. Or, à partir du moment où les airs de musique savante sont en vogue, et que se dessine un marché susceptible de répondre aux attentes du public, alors les ingénieurs sont poussés à chercher des solutions pour augmenter cette durée trop restreinte qui jusqu'alors s'adaptait aux premiers catalogues de musique, soit la base de l'univers musical de la fin du XIXe siècle : la pièce musicale de deux à quatre minutes30. En outre, la Grande-Bretagne décrète en 1914 le blocus continental, privant son catalogue des artistes (la plupart américains) qui l'alimentaient jusqu'ici, mais poussant en contrepartie les firmes à promouvoir une politique artistique centrée sur l'essor d'un catalogue de musique classique destiné à alimenter le marché intérieur. Au lendemain de la Première guerre mondiale, les enregistrements de morceaux pittoresques et des pièces issues du répertoire de la musique populaire ont par conséquent quasiment disparu.

C'est donc dans cette rencontre entre un univers technique et un univers culturel qu'il faut comprendre comment le phonographe s'est peu à peu introduit dans deux sphères successives : celle du divertissement populaire, puis celle du monde de la musique savante, cette dernière étant largement mise en avant par l'industrie musicale naissante. À mesure que le progrès technique permet d'allonger la durée des enregistrements se construit alors un modèle d'écoute qui se rapproche peu à peu de celui du concert, très apprécié à l'époque.

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