C/ Bande magnétique et
stéréophonie
La seconde grande innovation de l'après guerre en
matière d'enregistrement sonore fut la bande
magnétique, bien qu'au départ ignorée par
l'industrie phonographique. L'enregistrement magnétique fut
réalisé pour la première fois en 1898 par le Danois
Valdemar Poulsen. Son « télégraphone » utilisait un fil
d'acier comme support magnétique ; par la suite, les supports
évoluèrent : on utilisa un ruban d'acier, puis une bande
magnétique sur support de papier (brevetée en 1928 par Fritz
Pfleumer) et, vers 1932, sur support de plastique. Là encore, la suite
de l'Histoire n'est pas anglaise mais allemande cette fois ci, dans un contexte
faisant de l'enregistrement électromagnétique, et par extension
du magnetophon commercialisé par la firme AEG-Telefunken, un
procédé destiné pendant la Seconde guerre mondiale
à être utilisé secrètement dans les studios de radio
(et notamment afin servir la propagande nazie). Déjà, en termes
de qualité sonore, celle-ci pouvait largement être comparable
à celle du disque, d'autant plus qu'elle ne se dégradait que
très peu même après plusieurs écoutes, avec qui plus
est un temps d'enregistrement pouvant être étendu à
plusieurs heures. L'innovation allemande fut ensuite transformée en
produit commercial grâce à la 3M Company (Minnesota Mining and
Manufacturing Company), dont les ingénieurs trouvèrent une
solution pour améliorer le confort d'utilisation des lecteurs de
cassettes antérieurs. Ils développèrent un ruban
magnétique de haute qualité, qu'ils vendirent sous le nom de
« Scotch » (avec une vitesse standard de 19 centimètres par
seconde). Dès 1948, la société Ampex lance sur le
marché américain le premier magnétophone. Même si
EMI joua un rôle clé dans le développement de
l'enregistrement magnétique et surtout dans la vente d'enregistreurs
destinés aux professionnels comme aux consommateurs, les majors dans
leur ensemble continuèrent à rejeter l'innovation de la bande
magnétique, préférant se centrer sur le microsillon. Les
raisons de cette négligence seront évoquées par la
suite.
Enfin, la stéréophonie,
dernière innovation majeure, remédiait à une autre
importante déficience de la musique enregistrée de la
première moitié du XXe siècle : le manque de relief
spatial. En effet, un orchestre entier déployé
sur la largeur de la scène était restitué en un seul point
de l'espace par le haut-parleur (v. infra), d'où une certaine
confusion sonore. On se souvient du physicien anglais Alan Blumlein et de son
rôle dans le développement du radar ; en 1931, il fait breveter
pour la première fois un disque stéréophonique dont EMI
fit quelques essais sans suite en 1933. En 1940, le public put
expérimenter au cinéma la répartition spatiale des sons
avec Fantasia de Disney et en 1956, EMI et RCA-Victor
proposèrent sans succès des enregistrements «
stéréophoniques » sur bande magnétique. Une forme
d'enregistrement stéréophonique de Sir Thomas Beecham dirigeant
la Symphonie n° 41 de Mozart, dite Jupiter189, fut
réalisée en 1934 mais ce n'est qu'en septembre 1958 que la
stéréophonie s'imposa avec les premiers disques vinyles
stéréo commerciaux lancés aux États-Unis par Audio
Fidelity Records et en Angleterre par Pye et Decca. La
stéréophonie se généralise en 1960 en radio
diffusion. Par rapport à la monophonie, elle procurait une sensation
d'espace et de légèreté, restituant l'espace physique y
compris en largeur (ce qui n'était pas le cas de la monophonie), elle
« instaurait une nouvelle façon d'écouter la musique,
analytique, grâce à la possibilité de discerner les
contours mélodiques et la texture harmonique, y compris dans le cas d'un
instrument solo comme le piano. La stéréophonie crée une
illusion d'espace sonore en jouant sur la physiologie auditive de la même
façon que la perspective en dessin crée une illusion d'espace
visuel »190.
Figure 16
189 Idem, p. 75.
190 HAINS, Jacques, op. cit., pp.
921-922.
Figure 17
Tiré de : HAINS, Jacques, « Du rouleau de cire au
disque compact » in NATTIEZ, Jean-Jacques (Dir.), Musiques :
une encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud /
Cité de la Musique, 2003, Tome I, Musiques du XXe siècle, pp.
912/922.
Dopée par l'innovation technologique, l'industrie
musicale en Grande-Bretagne dispose désormais de tout un arsenal de
moyens pour aborder un marché du disque qui double entre 1949 et 1954,
première véritable phase de croissance depuis la crise de 1929.
De plus, alors que jusque dans les années 1950, l'industrie se
développait dans le cadre d'une intégration entre le « hard
» (fabrication de matériel de lecture) et le « soft »
(production de musique enregistrée), une fois le microsillon
imposé, la croissance de cette industrie ne justifie plus une liaison
étroite entre ces deux domaines d'activités qui,
désormais, se développent selon
leur logique propre, celle de l'électronique dans un
cas et de la communication dans l'autre191. Ce changement de statut
et de position a son importance pour comprendre le fonctionnement et la prise
de décision dans les majors. Jusqu'à l'avènement du
compact, le microsillon allait rester l'unique support dominant en
matière de musique (en parallèle néanmoins du 45-tours),
ce qui permet dès lors aux entrepreneurs de se focaliser sur le contenu
des musiques à offrir aux consommateurs, contenu lui-même
bouleverser par l'introduction des nouvelles technologies.
|