A/ Le microsillon : une innovation radicale
180 HAINS, Jacques, « Du rouleau de cire au disque
compact » in NATTIEZ, Jean-Jacques (Dir.), Musiques : une
encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud /
Cité de la Musique, 2003, Tome I, Musiques du XXe siècle, p.
915.
181 PANDIT S. A., op. cit., p. 73.
Figure 15
Si depuis le début du XXe siècle, le disque en
shellac de 78 rotations par minute s'est imposé comme standard mondial,
il possède un défaut essentiel : sa durée d'écoute
ne dépasse pas quatre minutes par face182 ! De plus, il
était très fragile, lourd et dépendait en ce sens de
l'infrastructure de distribution en réseau des majors qui profitaient
d'un degré de concentration inégalé (entre quatre grandes
firmes) pour maintenir la concurrence indésirable à distance. La
demande accrue de disques après la guerre fut une occasion saisie dans
un premier temps par Columbia à l'été 1948. Même si
de nouvelles technologies furent testées auparavant pour étendre
la longueur des disques comme les tentatives avortées d'Edison en 1925
et de Victor en 1931183, seul Peter Goldmark de la firme Columbia
réussit avec le microsillon à la fois à diminuer la
vitesse de rotation et à tracer un sillon plus fin, sans pour autant que
l'on puisse constater une baisse de la qualité sonore. La durée
d'une face de disque passe d'un coup de vingt à trente minutes, ce qui
lui vaut le surnom de Long Playing/LP. Outre l'avantage de
pouvoir enregistrer des oeuvres beaucoup plus longues, le second
intérêt du nouveau support est l'amélioration de la
qualité sonore pour un confort d'écoute accru, et notamment la
diminution des bruits de surface grâce à l'utilisation de la
vinylite (déjà en usage à l'époque des V-Discs), un
matériau plus souple mais en même temps plus résistant que
la gomme-laque des vieux 78-tours. La réduction de la vitesse de
rotation qui en découlait (le « microsillon » prenait moins de
place, cents spires/centimètre au lieu de quarante) rendait
182 Par exemple, la Messe en si mineur de Bach
nécessitait dix-sept lourds disques ! HAINS, Jacques, op.
cit., p. 915.
183 On rajoutera également l'invention du sillon variable
en 1949 qui porte la durée du 78-tours à 9 minutes.
qui plus est le disque beaucoup plus durable. La vinylite
restera, avec diverses améliorations au cours des années, la
matière de base du disque jusqu'à l'avènement du
compact.
B/ La « bataille des vitesses » et le retard
d'EMI
Cette course à l'excellence technique, bientôt
surnommée la « bataille des vitesses », poussa
également RCA-Victor à tenter d'imposer son propre
microsillon184. Elle expérimenta au même moment un
disque vinyle de 18 centimètres qui tournait à 45 tours par
minute, avec une qualité sonore accrue mais un temps d'écoute
guère plus élevé que le 78-tours (cinq minutes).
Constatant la supériorité commerciale du 33-tours, RCA se rallie
au bout d'un an au nouveau standard, mais son travail sur le 45-tours n'aura
pas été inutile puisque quelques années plus tard,
celui-ci deviendra le format idéal pour véhiculer les tubes
mondiaux qui serviront de locomotives commerciales aux albums 33-tours.
L'évidente supériorité américaine
en matière d'enregistrement poussa les concurrents européens
à suivre les tendances du marché : alors que CBS offrit
gratuitement le brevet du 33-tours à toutes les compagnies nées
aux États-Unis après la guerre, Decca et la plupart des
sociétés européennes adoptèrent elles aussi
rapidement le 33-tours et se firent un devoir de réenregistrer leur
catalogue, à l'exception notable d'EMI qui, en raison de son
ancienneté, continuait de croire que le LP ne constituait en rien le
futur de la technologie. EMI résista quatre ans, réticente
à l'idée de convertir son important catalogue de 78-tours qui
représentaient toujours en 1956 40% des chiffres du marché
185 . En 1950, lors d'un communiqué de presse, Ernest Fisk
annonce sa volonté de produire des 78-tours « to meet the needs
of the millions of gramophones already in use throughout the world
»186. EMI finit malgré tout par céder en
octobre 1952, deux ans après sa rivale Decca, sous la pression de la
concurrence des nouvelles compagnies. Elle commercialise également ses
45-tours la même année. Les erreurs d'EMI lui
coûtèrent chères : 1952 marque aussi la fin du contrat de
distribution entre EMI et CBS-Columbia, qui trouva un nouvel allié
européen chez Philips187. Un an après, c'est au tour
de RCA-Victor de mettre un terme à la coopération avec la
célèbre firme anglaise188. Non seulement EMI perdit
l'accès au répertoire de musique américaine,
184 N'oublions pas le leadership qu'elle avait acquis au
moment où elle fut la première à sortir des
enregistrements électriques.
185 À titre comparatif, aux États-Unis et en
France, ces chiffres tombèrent aux alentours de 5%. PANDIT, S. A.,
op. cit., p. 72.
186 SOUTHALL, Brian, op. cit., p. ?
187 Dernier venu dans la cour des grands, le
néerlandais Philips crée en 1950 sa filiale Philips Phonographic
Industries comme complément de sa fabrication de matériel de
lecture.
188 Il faut néanmoins attendre 1956/1957 pour que les
ventes ne soient stoppées en intégralité.
toujours plus important, mais en outre elle n'avait plus de
partenaire pour le commerce de disques de musique classique aux
États-Unis.
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