II/ De la généralisation du microsillon
à la stéréophonie
Le monde du disque de l'après-guerre est marqué
par une succession d'innovations de produit et de procédé qui
bouleversèrent l'enregistrement en comblant ses insuffisances mais
également en une faisant une technologie puissante et souple. On se
souvient de la technologie du ffrr (full frequency range
recording), innovation incrémentale mise au point en 1945
par l'ingénieur anglais Arthur Haddy et qui fut utile durant la guerre
pour détecter les sous-marins. Le procédé permettait
d'enregistrer et de restituer toute la bande des fréquences perceptibles
par l'oreille humaine (20 à 20 000 Hertz), ce qui sur les disques
laissait entrevoir une fraîcheur et une qualité de timbre
inégalées jusque là : on écoutera Petrouchka
de
177 Il faut attendre 1979, avec le lancement du premier
scanner, une innovation qui entraîna la faillite de groupe tel qu'il
était issu de la fusion de 1931. Il est alors racheté par Thorn,
un constructeur britannique de matériel électrique et
électronique civil et militaire, d'équipement ménager et
de télécommunications, au sein duquel EMI Music constitue une
division spécialisée dans les produits de musique
enregistrée.
178 ANGELO, Mario d', La renaissance du disque : les
mutations mondiales d'une industrie culturelle, Paris, La Documentation
française, 1989, p. 22.
179 Les économistes considèrent qu'un
marché a une structure oligopolistique lorsque l'offre est
contrôlée par un nombre restreint de firmes et que l'action de
l'une a des répercussions immédiates sur les autres. La structure
oligopolistique de l'industrie du disque se situe dans une bonne moyenne : elle
est comparable dans le cinéma, l'automobile et le secteur
pétrolier, mais demeure moins poussée que dans le nickel ou le
matériel de la grande informatique. Idem, p.
21.
Stravinsky, enregistré par Ernest Ansermet chez Decca
en 1946, où les effets orchestraux sont magnifiquement
rendus180.
Néanmoins, le grand évènement de
l'après-guerre fut la mise au point d'une innovation radicale,
le microsillon, avec le ruban magnétique et, dans une moindre mesure, la
stéréophonie. Sans pour autant dresser une simple liste
explicative, je vais tenter d'analyser les répercussions de ces
innovations d'un point économique et géographique, montrant dans
quelle mesure la concurrence modifia en profondeur les structures et les liens
entre les grandes firmes discographiques. L'arrivée du microsillon, par
un véritable processus de « création destructrice » (v.
schéma infra) brisa à ce propos le confortable accord
qui engageait d'un côté les deux plus grandes compagnies
américaines, que sont CBS-Columbia et RCA-Victor, à vendre les
enregistrements d'EMI dans le Nord et le Sud de l'Amérique sous leurs
labels respectifs, tandis qu'EMI se chargeait de distribuer les disques
américains dans le reste du monde. Logiquement EMI devint
particulièrement dépendante de ces accords puisqu'en 1950 plus de
70% de son catalogue dérivait des États-Unis181. Or,
l'introduction du microsillon donna un coup de fouet au marché de la
musique enregistrée qui allait connaître au cours des
années cinquante et soixante, et grâce au soutien d'une excellente
conjoncture économique, une croissance de 10 à 20% par an.
L'invention, d'origine étatsunienne, fut dès lors un tel
succès qu'elle poussa les partenaires américains à rompre
l'accord et à se lancer eux-mêmes dans les tractations
commerciales en dehors du continent, et sans passer par EMI. Les raisons de
cette rupture sont les suivantes :
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