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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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CHAPITRE 4 : LES DÉVELOPPEMENTS TECHNOLOGIQUES POST-
SECONDE GUERRE MONDIALE

Alors que successivement la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale affectèrent en profondeur les industries du disque, les décennies qui suivirent accumulèrent les innovations techniques. L'arrivée du magnétophone, du microsillon et de la stéréophonie constituèrent un tryptique de l'innovation technologique qui, en permettant la captation à la fois de performances live et leur reproduction quasi intégrale, réduira encore plus un divorce de fait entre musique enregistrée et jouée qui jusqu'alors était au coeur de notre sujet. En outre, l'arrivée de nouveaux genres musicaux comme le rock et la pop, en parallèle des mutations entreprises par des genres préexistants comme le classique ou le jazz, ne se sont pas constitués par hasard ; au contraire, ils constituent les étapes essentielles de la mise au point des instruments et des musiciens face à l'évolution de la technologie. Du son capté à l'objet consommé, le disque enregistré participe donc à la conception des genres musicaux et façonne ses paramètres.

I/ La guerre et ses effets sur l'industrie du disque

La seconde guerre mondiale fut à la fois un levier d'innovation pour l'industrie du disque, en même temps qu'elle la faisait entrer dans une période d'économie de guerre marquée par les restrictions : les produits ainsi que les usines furent réquisitionnés pour la production militaire, et les échanges internationaux suspendus, mettant fin à une période d'essor discographique qui venait à peine de se remettre de la crise de 1929. Il faut dès lors attendre l'après-1945 pour que les activités commerciales repartent à la hausse.

A/ La collaboration à l'effort de guerre : un tremplin pour l'innovation

La Grande-Bretagne, comme on le sait, fut touchée de plein fouet par les marasmes de la guerre, subissant de nombreuses destructions : le complexe d'EMI à Hayes fut touché le 7 juillet 1944 par un V1, tuant au passage 37 personnes162. Malgré tout, en parallèle de la production militaire et se devant de faire face aux menaces des attaques incessantes des bombes ennemies, le groupe EMI/HMV coopéra avec le British Council163 et n'abandonna pas pour autant sa production de disques qui chuta néanmoins, politique d'austérité oblige164. En l'occurrence, même si l'ingénierie électronique qui avait opérée à partir de l'entre-deux-guerres à l'amélioration progressive des technologies du disque fut détournée au profit de l'effort de guerre, et outre le fait que certains artistes prestigieux de la compagnie s'envolèrent pour les États-Unis pour signer avec des compagnies rivales, le disque fut mis à profit dès juin 1943, année de l'envoi des premiers V-Discs dans un but de divertissement des troupes mais aussi comme instrument évident de propagande. Fabriqués désormais avec de la vinylite, une nouvelle matière plastique mise au point par l'industriel américain Union Carbide dans les années trente, l'usage de cette nouvelle matière eut pour effet d'améliorer les qualités sonores du disque en diminuant les bruits de frottement, et de le rendre également beaucoup plus durable. Les V-Discs sont le fruit du travail d'un ingénieur américain, Robert Vincent, qui se fit octroyer le droit par les majors d'utiliser leur musique sous la seule condition que les disques en question soient distribués sans intention commerciale aux troupes américaines, pleinement impliquées dans la guerre suite à l'attaque de Pearl Harbor de décembre 1941. L'accord va jusqu'à stipuler que les V-Discs (V comme Vincent ou Victory) soient détruits après le conflit.

L'envoi des V-Discs aura pourtant une conséquence dont on peut mesurer les effets jusque dans les années de l'après-guerre. Non seulement leur succès à fait qu'ils furent distribués y compris après la fin de la guerre, mais ce fut également le premier moyen de faire connaître la musique américaine sur le territoire européen avec en outre l'intervention de l'American Federation of Musicians165 (AFM), qui émettait dans tous les pays où les

162 PANDIT, S. A., From making to music : the history of Thorn EMI, Londres, Hodder & Stoughton, 1996, p. 66.

163 Le British Council avait été créé en 1934 afin de promouvoir la Grande-Bretagne et sa culture à l'étranger, afin de répondre à la propagande agressive de l'Allemagne et de l'Italie.

164 La production de disques pour phonographes passe de 20 000 en 1935 à 11 000 en 1943. LEMONNIER, Bertrand, Culture et société en Angleterre de 1939 à nos jours, Paris, Belin, coll. « Histoire Sup », 1997, p. 23.

165 Le 1er août 1942, les sociétés d'enregistrement subirent une grève nationale déclenchée par les 140 000 membres de l'AFM : leur président, James Caesar Petrillo, réclamait et obtint que des redevances soient versées

Américains sont intervenus, et du Foreign Information Service (FIS) / Voice of America du président Roosevelt qui, à partir du 24 février 1942, débute sa diffusion vers l'Europe grâce aux émetteurs à ondes courtes de la BBC. Au total, durant les six années du « programme V-Discs », 3000 enregistrements furent produits avec un total de 2700 chansons au format 78-tours, et 900 disques seront enregistrés puis diffusés à huit millions d'exemplaires dans le monde166 jusqu'en 1949, en particulier en Grande-Bretagne, en France, en Italie et au Japon. Après des années d'échanges interrompus, l'irruption des V-Discs américains ouvrit la voie au paysage musical dominant des années cinquante et permit l'introduction de l' « American way of life », qui bouleversa en profondeur les goûts et les mentalités en Grande-Bretagne. On l'aura compris, les troupes occupant l'Europe mais aussi l'Asie contribuèrent ainsi à favoriser la population locale aux dernières tendances de la musique américaine. Beaucoup de musiciens comme Frank Sinatra ou Glenn Miller, qui étaient jusqu'ici inconnus outre-Atlantique, sont devenus des stars en Europe uniquement grâce aux V-Discs, d'autant que le jazz y était prédominant dans toutes ses diverses formes167 : le swing de Benny Goodman, le jazz vocal de Billie Holiday et d'Ella Fitzgerald, les « big bands » de Jimmy et Tommy Dorsey, en passant par Louis Armstrong, Bing Crosby, le « roi du juke-box » Louis Jordan, etc.

Inévitablement, l'arrivée du jazz dopa l'industrie du disque en Grande-Bretagne. En l'occurrence, Lindström, filiale d'EMI, et bien qu'inapte à reprendre ses activités directement pendant la guerre en raison des destructions, réalisa dès la fin de l'année 1946 des enregistrements d'Armstrong, de Duke Ellington ou encore de Bessie Smith, montrant le chemin que les compagnies européennes allaient suivre dès la fin des années quarante pour populariser le son de Tin Pan Alley168. Cependant, la volonté d'EMI de s'accaparer un monopole en tentant de freiner l'éclosion de concurrents potentiels ne lui fut pas toujours profitable : ainsi, la compagnie de jazz Swing, fondée en 1937 par les Français Charles Delaunay et Hugues Panassié, se détacha de la direction britannique de Pathé-Marconi suite à son refus de lui donner les moyens d'élargir une activité ayant largement profité du travail de fond mené depuis les années trente par l'équipe du Hot Club de France, et bénéficiant de

à l'association pour chaque disque vendu, afin de compenser le chômage des musiciens engendré par l'utilisation de disques dans les établissements publics et les stations de radios.

166 COLEMAN, Mark, Playback : from the Victrola to MP3, 100 years of music, machines and money, Cambridge, Perseus Books Group, coll. « Da Capo Press », 2003, p. 48.

167 Il existait également des V-Discs de musique classique comme par exemple celui d'Arturo Toscanini dirigeant l'Orchestre symphonique de la NBC. Idem, p. 48.

168 Surnom donné à la musique populaire américaine, et qui renvoie à la 28e Rue ouest de New York, où les éditeurs marginaux s'étaient regroupés à la fin du XIXe siècle. Parmi les artistes les plus populaires, on retrouvait Irving Berlin ou encore Al Jolson.

l'image positive des États-Unis depuis le débarquement de Normandie. Delaunay décide de se séparer d'EMI pour fonder en 1945 la célèbre société Vogue qui reprend le label Swing169.

Pour ce qui est de Decca, la grande rivale d'EMI, la guerre aura une conséquence inattendue : apportant également sa contribution à l'effort de guerre, elle s'investit dans le domaine de la recherche, afin de produire dans un impératif scientifique des enregistrements d'une extrême qualité à l'usage de l'identification des sous-marins. Le conflit achevé, Decca, par un procédé visant à diffuser l'innovation dans d'autres secteurs170, utilisera les mêmes méthodes pour améliorer la qualité de ses productions, appliquant à ses disques le procédé ffrr (full frequency range recording) qui permet, comme son nom l'indique, d'enregistrer et de

reproduire la gamme complète des fréquences perceptibles. C'est donc au

niveau de la haute technologie que se mesure l'impact de la guerre sur

l'industrie du disque en Grande-Bretagne. Revenons maintenant

quelques années auparavant au moment des premiers travaux sur la

détection des avions à distance, afin de mieux percevoir le rôle déterminant de ces industries en termes d'innovation. On se souvient de la contribution de Robert Watson-Watt à la Chain Home, nom de code pour la chaîne côtière de stations radar construites par les Britanniques avant et pendant la Seconde guerre mondiale, et qui jouèrent un rôle crucial dans la localisation des avions afin de pouvoir contrer leurs attaques. Le manque de précision de ce système ne permettait pas cependant de déterminer la position de l'ennemi en pleine nuit. Un des collaborateurs de Watson-Watt, Edward George Bowen, fut chargé de résoudre ce problème de taille. Il eut ainsi l'idée d'installer l'un des récepteurs télé d'EMI sur un avion ainsi de pouvoir capter par signal l'attaquant adverse : « This was the world's first airborne radar and with it began EMI's involvement in defence electronics. »171 La portée de ce radar aéroporté de nuit était cependant bien trop faible pour être utile car il demandait au pilote un effort surhumain pour atteindre sa cible. Finalement, il faut attendre les efforts Alan Blumlein, dont on reparlera plus tard, et de l'équipe dirigée par Bernard Lovell du TRE (Telecommunications Research Establishment) pour que le problème soit résolu, donnant naissance au A1 Mark IV, plus tard radar H2S, le principal radar de suivi de terrain des divers bombardiers britanniques utilisé par la Royal Air Force contre la Luftwaffe allemande. Alors qu'il testait un prototype du radar H2S, Blumlein s'écrase et meurt en juin 1942. Dès l'été,

169 Cf. TOURNÈS, Ludovic, New Orleans sur Seine : histoire du jazz en France (1999).

170 La haute technologie est en effet considérée comme la source essentielle du progrès technique, d'où l'intérêt d'en faire profiter des secteurs où l'intensité en recherche est moindre.

171 PANDIT, S. A., op. cit., p. 65.

EMI se lance dans la production du H2S, dont l'efficacité durant la bataille d'Angleterre et l'opération Gomorrhe n'est plus à prouver. En plus du radar, EMI s'impliqua qui plus est dans la fabrication de fusées de proximité.

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