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Le développement de l'industrie musicale en Grande-Bretagne de l'entre-deux-guerres aux années Beatles : une trajectoire d'innovation globale?

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par Matthieu MARCHAND
Université Michel de Montaigne - Bordeaux III - Master Histoire 2012
  

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II/ La « révolution électrique » de 1925 : un débat révélateur d'une écoute démocratisée ?

L'introduction de l'électricité et l'invention un peu après du microphone au sein du processus d'enregistrement constitua une véritable révolution qui bouleversa les catalogues de musique et les façons de la produire ; elle dopa les ventes et amenant de nouveaux adeptes au phonographe, tout en incitant les plus anciens à renouveler leur équipement et leurs disques

73 HAINS, Jacques, op. cit., p. 908.

sur une nouvelle base de qualité. Elle fut également une innovation suffisamment importante pour permettre aux firmes d'investir des vecteurs essentiels à sa promotion, à l'image de la presse. En effet, l'activisme anglo-saxon des revues spécialisées sur le sujet permet à partir des années vingt d'analyser un lectorat plus ou moins révélateur de la diffusion du disque dans l'ensemble de la population. Quant aux débats enclenchés autour d'une telle invention, ils apportent une nouvelle preuve tangible pour comprendre l'intérêt suscité auprès des amateurs de musique. Mais le nouveau système n'est pas seulement une amélioration quantitative de la musique enregistrée, c'est aussi le début d'un bouleversement dans l'organisation de l'ensemble du processus d'enregistrement, et qui se poursuivra encore des décennies après sous l'impulsion d'innovations successives74. Les studios rudimentaires de l'ère acoustique deviennent des machineries complexes qui deviennent à partir des années vingt des lieux incontournables de la vie musicale.

A/ Les principes techniques de l'enregistrement électrique et ses conséquences

L'année 1925 est donc cruciale dans l'histoire du son enregistré ; elle marque la fin de la gravure acoustique, au profit d'une gravure électromécanique qui permet de capter une plus large gamme de fréquences sonores, ce que montre le schéma ci-dessous. De plus, l'électricité va aussi permettre de réguler la vitesse de rotation des machines à graver, jusqu'alors dépendantes de systèmes à ressort.

38

74 Nous y reviendrons dans le chapitre deux de notre seconde partie du mémoire.

Figure 6

Auparavant, le son était gravé directement par le capteur sur lequel la voix agissait mécaniquement. On ne pouvait pas contrôler le volume. À partir des années 1920, dans un microphone, qui remplace dorénavant le cornet, une fine membrane métallique (le diaphragme) est mise en vibration par le son et exerce des variations de pression sur un matériau à travers lequel circule un faible courant électrique ; les impulsions électriques engendrées reproduisent exactement l'onde sonore : c'est le signal. Celui-ci est véhiculé par fil métallique, amplifié puis transmis à l'appareil de gravure. L'intensité du signal, visualisée sur un cadran (le vumètre) est contrôlée manuellement au moyen d'un potentiomètre (bouton de volume) ; elle doit être baissée dans les fortissimos afin d'éviter la distorsion et augmentée dans les pianissimos afin d'être audible.

Tiré de : HAINS, Jacques, « Du rouleau de cire au disque compact » in NATTIEZ, Jean-Jacques (Dir.), Musiques : une encyclopédie pour le XXIe siècle, Paris, Actes Sud / Cité de la Musique, 2003, Tome I, Musiques

du XXe siècle, p. 911.

On peut aisément parler de « révolution » tant c'est tout un pan de la musique qui fut réinvesti par la nouvelle technologie : d'un côté, parce que le microphone a l'avantage de restituer une partie des caractéristiques spatiales du son 75 , la qualité d'un

disque ne dépendait plus

nécessairement de la prestation des

interprètes (qui devaient auparavant

user d'acrobaties vocales et

instrumentales pour que le pavillon

puisse capter les sons le mieux

possible), mais dépendait également

des compétences du preneur de son, et de l'autre côté parce que les revues spécialisées et les cercles amateurs se sont vite entichés du phénomène. Le son apparaît explicitement comme objet à produire, et non plus seulement à reproduire. Le contrôle précis de l'intensité fut d'ailleurs le premier élément d'une palette de ressources créatives qui fera par la suite du studio d'enregistrement un véritable instrument de création (v. Partie III) : le 11 novembre 1931, EMI ouvre un nouveau studio à Abbey Road, St John's Wood. Les possibilités techniques offertes par l'enregistrement électrique vont permettre non seulement aux musiciens de donner une nouvelle dimension à leur jeu mais aussi aux industries du disque de réenregistrer leurs catalogues selon de nouvelles normes de fidélité. À ce titre, il est important de préciser que le terme même de « fidélité » se trouve reconsidéré : « Il perd sa référentialité étroite pour s'appliquer désormais plutôt à un référent interne à l'auditeur ou au dispositif d'écoute phonographique - il désigne l'adéquation entre la disposition de l'auditeur et le dispositif d'audition. »76 Cet engouement pour la « haute-fidélité » se prolongera tout au long du XXe siècle. Enfin, l'invention de l'amplification électrique permit la prolifération de nouveaux instruments, généralement conçus sur le

75 Les sons faibles étaient captés, la bande passante enregistrable, élargie, se situait désormais entre 100 et 5000hertz, les timbres étaient nettement mieux définis. Il n'y avait également plus de limite au nombre et aux types d'instruments enregistrables, les musiciens n'étant plus placés entassés devant le phonographe mais placés normalement dans la salle. L'enregistrement d'un concert en direct devenait possible puisque l'appareil de gravure, relié au micro par câble, pouvait être placé à distance. Néanmoins, la prise de son du microphone était toujours monophonique ; il faut attendre 1958 et la stéréophonie pour obtenir la localisation en largeur des sources sonores.

76 MAISONNEUVE, Sophie, « Du disque comme médium musical » in DONIN, Nicolas, STIEGLER, Bernard (Dir.), Révolutions industrielles de la musique, Paris, Fayard, Cahiers de médiologie / IRCAM, n° 18, 2004, p. 40.

modèle de l'orgue : l'Aethérophone de Léon Thérémine, le Sphärophon de Jorg Mager, le Trautonium de Friedrich Trautwein, les ondes Martenot de Maurice Martenot, etc.77

Mais revenons d'abord sur les recherches et expérimentations qui ont abouti à cette invention. Dès 1919, en Grande-Bretagne, le premier enregistrement est mis en pratique par deux ingénieurs, George William Guest et Horace Owen Merriman, lors du service funèbre pour le soldat inconnu en l'abbaye de Westminster de Londres le 11 novembre 1920. Le son est relayé par des lignes téléphoniques jusqu'à leurs machines dans une maison voisine. La nouvelle technique, directement issue des recherches menées au cours du premier conflit mondial dans le domaine de la télégraphie sans fil, est officiellement mise au point en 1924 par les laboratoires Bell Telephone, une des branches de l'American Telegraph and Telephone Company (AT&T). Elle est vendue premièrement en février 1925 à la compagnie Victor, à la recherche d'un second souffle commercial après une mauvaise année 1924 : l'année suivante est introduit l'Othophonic Victrola, machine basée sur un procédé acoustique mais qui permettait de lire des disques enregistrés électriquement. En 1925 est lancé le Panatrope Brunswick, premier appareil utilisant la technique électrique de reproduction du son puis, en 1926, c'est au tour de Columbia de sortir son Vitaphone. Deux ans après, c'est de nouveau au tour de Victor de produire le premier phonographe disposant d'un changeur de disques78 ! Ironie de l'Histoire, Edison, l'inventeur visionnaire de l'ampoule à incandescence, est aussi le dernier à adopter l'enregistrement électrique en 1927. Il quitte définitivement le secteur en 1929, refusant d'adopter le format du disque plat.

L'enregistrement électrique apparaît comme étant le point d'aboutissement d'un processus complexe combinant la succession des innovations techniques avec le développement des grandes firmes discographiques.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein