II. De la capacité du Burkina à
réaliser la vision prospective sur le plan social
Au Burkina, les valeurs socioculturelles sont suffisamment
ancrées dans le quotidien des citoyens. Cependant, celles-ci sont
menacées du fait de la monétarisation des échanges. Le
bien social tend donc à remplacer le lien social, si bien que l'on
assiste à une forte montée de l'individualisme. Les individus se
battent par tous les moyens, pour leur seul développement, occultant
ainsi et dans la plupart des cas, l'aspect collectif. C'est alors que les
fléaux sociaux tels que le viol et le banditisme sont de plus en plus
monnaie courante. De plus, les couches les plus vulnérables de la
société que sont les enfants et les personnes âgées
voient leur situation se déprécier. En effet, d'une part, les
enfants, qui, aussi bien dans la société traditionnelle que
moderne sont considérés comme sacrés, assistent
impuissants, à l'effritement de leurs droits pourtant consacrés
par les textes. C'est ainsi qu'il est commun de nos jours de voir des enfants
travailler sans repos. D'autre part, les personnes âgées, qui
étaient d'antan perçues comme des sages et permettant à la
société de produire, sont de plus en plus marginalisées.
Dans l'élaboration des politiques sectorielles, les femmes sont de plus
en plus prises en compte. Mais, il faut noter que, malgré cette prise de
conscience de l'importance des femmes dans la société, le
patriarcat tend à minimiser ce rôle. En outre, les politiques en
matière d'éducation mettent très peu l'accent sur la
relation entre la formation et le milieu de l'emploi. Cela se traduit par une
absence de vision de l'emploi, laquelle situation accroît le
chômage des jeunes diplômés. Pour le reste, il faut noter
que le PIB est croissant. De 2005 à 2008, il a connu une hausse de
46,41%4. Cependant, l'accroissement de 10,15%5 de la
population totale entre 2005 et 2008 combiné à la faible
efficacité des mécanismes de
4 Base de données 1960-2010 Banque Mondiale
5 Annuaire Statistique INSD 2008
Ces travaux ont été financés par le Projet
REGE 26
redistribution de la richesse nationale engendrent une
évolution lente des conditions de vie de la plupart des ménages
burkinabè.
Pour ce qui est de l'unité nationale, la situation des
conflits interethniques est relativement limitée, exacerbée, de
temps à autre, par les problèmes d'occupation des sols, notamment
avec les migrations agricoles vers l'Ouest du pays, réputée pour
ses terres fertiles, ce qui a réactivé les conflits entre «
autochtones » et « étrangers ». De plus, le
système des castes tend à disparaître à travers le
brassage implicite dû à la modernisation de la
société. Cependant, il existe des reliques, notamment les griots
de la société bwoaba qui sont enfermés dans un
système d'endogamie et de repli que l'on pourrait qualifier
d'identitaire. Ce qui atténue les conflits interethniques au Burkina est
l'existence de la parenté à plaisanterie entre divers groupes
ethniques dont certains avaient été longtemps en conflit avant
l'institution d'une telle parenté qui vident les antagonismes dans la
seule agressivité verbale.
Suite à ces analyses, il ressort que le Burkina n'a pas
la posture adéquate pour la réalisation de la vision prospective
sur le plan social. Tout d'abord, la société burkinabè se
caractérise de nos jours par son individualisme croissant et son lot de
fléaux sociaux qui vont même jusqu'à marginaliser d'une
part les enfants et d'autre part les personnes du troisième âge.
Ensuite, il y a la persistance de cette perception selon laquelle la femme a un
rôle limité dans l'architecture sociale. Enfin, d'une part,
l'emploi des jeunes diplômés devient de plus en plus
problématique. D'autre part l'unité nationale est menacée
par les conflits interethniques et les traces des systèmes de castes.
Ces analyses sont similaires aux résultats sur la rétrospective
sociale du Burkina fournis par l'ENP « Burkina 2025 ».
En matière d'emploi, l'observation fait
apparaître la prédominance de l'emploi précaire, un
développement du chômage en milieu urbain (18%) et un sous-emploi
en augmentation dans les zones rurales (40%).
Sur le plan culturel, malgré une population
burkinabè à plus de 80% rurale et la diversité culturelle
inhérente à la multiplicité des ethnies, on note une
régression des valeurs culturelles. Cet effritement culturel est
dû en partie à une diffusion médiatique largement favorable
à l'extérieur et à une quasi-absence d'une politique
culturelle indiquée. En outre, la pénétration de valeurs
étrangères induit des changements et est à l'origine de
nouveaux phénomènes de sociétés comme la
délinquance juvénile, l'abandon d'enfants et la prostitution des
jeunes filles.
Ces travaux ont été financés par le Projet
REGE 27
Dans le domaine du genre, alors qu'elles
représentent 51,7% de la population totale, les femmes, du fait de
certaines pratiques ancestrales dévalorisantes pour elles et de diverses
pesanteurs culturelles, demeurent l'une des catégories les plus pauvres
et les plus marginalisées de la société. Le manque
d'engagement ferme et de moyens appropriés ne permet toujours pas la
mise en oeuvre d'une vigoureuse politique de discrimination positive
[...].
Selon nous, la société burkinabè est
caractérisée par le fait que l'économique soit mis au
premier plan à tel point qu'il dirige les faits sociaux ; ce qui ne
devrait pas être car l'économique n'est qu'un aspect de la vie
sociale.
Il y a tout de même des tentatives de recadrage de la
vie socio-économique à travers notamment des fora de rencontres
et d'échanges entre le pouvoir politique et les différentes
catégories sociales : paysans, jeunes, femmes, entrepreneurs,
organisations de la société civile. Mais l'impact de tels fora et
rencontres annuelles reste limité et paraît, aux yeux de certains
observateurs, des entreprises plus médiatiques au profit du pouvoir que
d'actions en profondeur pour la cohésion sociale et la solidarité
nationale prônées par l'ENP.
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