Chapitre 2
Le tableau de bord
Introduction
Le tableau de bord est un outil de gestion permettant de
mesurer la performance d'une entreprise. Dans ce sens, il permet un soutien
informationnel à l'organisation pour une meilleure prise de
décision et une direction plus réfléchie des
opérations et de la stratégie d'ensemble. Un outil de gestion et
de mesure de la performance permet, entre autres, à une entreprise de
répondre aux questions suivantes : Avons-nous la bonne stratégie
? Atteint-on nos objectifs ? Quels sont nos points faibles à corriger ?
Les clients sont-ils satisfaits ? Quel contrôle avons-nous sur les
opérations de l'entreprise ? etc.
Une mesure de performance est une unité de mesure
permettant d'évaluer un aspect spécifique de l'organisation. Elle
est toujours liée à un objectif à atteindre. Elle peut
prendre une dimension temporelle, dimensionnelle, monétaire, statistique
ou autre. Un centre hospitalier pourrait avoir intérêt à
connaitre le nombre de patients par centre de service, par exemple. Cette
information constitue une mesure de performance pour le cas
étudié. Une bonne mesure de performance devrait avoir plusieurs
qualités. Elle se doit, entre autres, d'être
compréhensible, précise et compatible avec le système
d'information interne, en plus de refléter fidèlement la
réalité. (Crampton et al., 2004).
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Le tableau de bord comprend donc d'un ensemble de mesures de
performance et permet un soutien informationnel fiable pour les organisations.
Nous commencerons par faire un bref survol de l'historique de cet outil, avant
d'expliquer plus en détail en quoi cet outil est un outil de
communication de la stratégie et de la gestion de la performance, pour
conclure sur les principales critiques de la littérature
vis-à-vis de cet outil.
I. Historique du tableau de bord
Kaplan et Norton ont rendu célèbre le tableau de
bord dans un article de 1992, publié dans le Harvard Business Review
: « The Balanced Scorecard : Measures That Drive Performance ».
Ce texte est issu de la volonté des deux chercheurs de mesurer les
facteurs à l'origine de la performance d'une institution. Selon un credo
partagé avec Lord Kelvin, physicien britannique de la fin du
19ème siècle :
If you cannot measure it, you can't improve it.
Le tableau de bord s'articule donc comme un outil de gestion
regroupant un ensemble de mesures qui offrent au gestionnaire l'information
nécessaire à la bonne prise de décision dans
l'organisation. Autant pour les gestionnaires que pour les scientifiques, une
prise de mesure adéquate, ciblée et précise est
essentielle. La publication du texte en 1992 a entrainé l'adoption du
tableau de bord par plusieurs organisations publiques ou privées pour
l'implémentation de leur stratégie. Toutefois, le tableau de bord
en tant qu'outil de gestion et de mesure de la performance n'est pas une
idée nouvelle au début des années 1990, puisque d'autres
organisations avaient déjà adopté un modèle
semblable auparavant.
Parmi les pus anciens modèles de tableaux de bord,
certains se trouvent en France. À l'époque, le tableau de bord
était surtout le fruit du travail d'ingénieurs, dont la
volonté était d'offrir un outil aux dirigeants et aux
ingénieurs pour ne pas qu'ils perdent de vue leurs organisations, et
pour leur permettre de les observer et de les analyser de la manière la
plus efficace et efficiente possible (Lebas, 1994). Cet outil est venu
modéliser ce qui
n'était pas visible, permettant ainsi de
représenter et synthétiser la réalité de
l'organisation. Selon Pezet (2007), à partir de la seconde
moitié du 19ème siècle, les dirigeants
élaborent un système d'information de gestion présentant
les données, pour l'essentiel sous forme narrative, au travers d'un
« rapport hebdomadaire » ou « journal de marche ».
La révolution industrielle entraine la croissance de la taille des
entreprises et leur complexité. Le besoin des gestionnaires de plus
d'informations statistiques descriptives de la réalité
opérationnelle se fait de plus en plus important. En 1936, Robert Satet
(Pezet, 2007) propose un contrôle budgétaire permettant
la direction rationnelle des affaires. À travers son contrôle
budgétaire, il propose l'adoption d'une « documentation
appropriée », ou ce qu'il définit aussi comme des
« statistiques dont une sélection judicieuse est de rigueur
pour atteindre le but que l'on se propose ». Par exemple, Satet
considère dans le cas d'une organisation textile trois groupes de
statistiques : statistiques commerciales et économiques, statistiques
industrielles et statistiques financières. Ce système de gestion,
que Satet regroupe dans un contrôle budgétaire, semble
déjà définir les fondements de ce qu'on appellera plus
tard le tableau de bord.
Un modèle plus proche de la conception actuelle du
tableau de bord remonte au début des années 1950, avec le projet
de General Electric (GE) de développer les mesures de performance de ses
unités d'affaire (Kaplan et Norton, 2001). Pour ce faire,
l'équipe en charge du projet développa huit axes financiers et
non financiers de mesure de la performance tels qu'ils apparaissent dans cette
liste :
· Profitabilité
· Part de marché
· Productivité
· Leadership du produit
· Responsabilité sociale
· Développement des ressources humaines
· Attitudes des employés
· Balance entre objectifs long terme et court terme
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Avec l'expérience de GE, le tableau de bord
n'était plus un outil de gestion réservé à la haute
direction. En étudiant le cas de GE, Drucker (1958) introduit
le management par objectif et soutient ainsi une démocratisation de
l'outil à tous les paliers de l'entreprise. À travers un choix
judicieux d'objectifs de performance pour chaque employé, une
organisation pourra atteindre une performance plus intéressante et plus
profitable pour les actionnaires :
Each manager, from the «big boss» down to the
production foreman or the chief clerk, needs clearly spelled-out objectives.
These objectives should lay out what performance the man's [sic] own managerial
unit is supposed to produce. They should lay out what contribution he and his
units are expected to make to help other units obtain their objectives. [...]
These objectives should always derive from the goals of the business
enterprise. [...] Managers must understand that business results depend on a
balance of efforts and results in a number of areas. [...] Every manager should
responsibly participate in the development of the objectives of the higher unit
of which his is a part. [...] He must know and understand the ultimate business
goals, what is expected of him and why, what he will be measured against and
how.
(Drucker, 1958, pg. 126, cité par Kaplan
2008)
L'approche de Drucker est intéressante puisqu'elle
implique une intégration de l'employé avec l'organisation.
L'employé est plus impliqué dans la gestion de l'organisation et
sa participation et compréhension de la stratégie sont mises
à profit.
Plus tard, dans les années 1960, Robert
Anthony propose un cadre global de planification qui propose trois types de
systèmes de contrôle : contrôle de la planification
stratégique, de gestion et d'exploitation. Il rejoint Drucker dans une
proposition de système basé sur la décision d'objectifs,
et la définition des ressources nécessaires à l'atteinte
de ces objectifs. Il définit la planification stratégique
ainsi:
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The process of deciding upon objectives, on changes in
these objectives, on the resources used to attain these objectives, and on the
policies that are to govern the acquisition, use, and disposition of these
resources
(Kaplan, 2008, pg. 6)
Il se fait précurseur de ce que l'on définira
plus tard comme la carte stratégique, puisqu'il soutient que la
planification doit reposer « sur une estimation d'une relation de
cause-à-effet entre le cours d'une action et un résultat
désiré » (Kaplan, 2008, pg. 6).
Durant les décennies qui ont suivi,
l'établissement des objectifs est devenu un exercice bureaucratique
administré par le département des ressources humaines. Les
objectifs à atteindre étaient établis en fonction du poste
professionnel, rendant la remise en cause de ces objectifs et leur adaptation
à l'évolution de l'entreprise difficile. Le modèle de
Kaplan et Norton tente donc de rompre avec l'inflexibilité relative
à l'établissement des mesures de performance, tout en proposant
des lignes directrices pour générer un tableau de bord
équilibré. Au lieu de proposer des mesures de performance
standards et inflexibles, le modèle de Kaplan et Norton insiste
plutôt sur une structure selon quatre axes : finance (1), client (2),
processus internes (3) et apprentissage et innovation (4).
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